Nous abordons dans cet article comment Joseph Campbell comparait les mythes de création selon la Bible et d’autres religions et expliquait que les religions et leurs cosmogonies en particulier devait s’adapter aux temps afin de se maintenir pertinentes dans la vie des êtres humains.
Le livre de la Genèse
Chapitre 1 – versets 1 & 2
Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux.
C’est une lecture poétique d’un mythe de création qui se sourcerait selon Campbell auprès des indiens Pimas et Pápagos . Les indiens Pimas sont un peuple Nord-Amérindiens originaires du Mexique et de l’état du Sonora.
Pour ces indiens d’Amérique du Nord, avant le commencement des temps, il n’y avait rien qu’un espace sans limite plus enténébré que la nuit la plus noire.
Dans cet espace sans fond et obscure flottait une minuscule graine portée par des filaments duveteux. Pendant un temps incommensurable, elle a erré dans cet espace devenant progressivement un être à la forme humaine, Suuhu Chuwutumaka, le créateur.
De sa poitrine, il prit quelques cuticules qu’il frotta entre ses paumes afin d’en faire un disque épais et souple.
Il laissa ce disque devant lui pensant qu’il reposerait là tranquillement. Mais non ! Le disque se retourna et se dirigea vers l’ouest. Par ce signe, Suuhu Chuwutumaka comprit qu’il devait accompagner le disque vers l’ouest parce qu’il n’avait pas encore trouvé le lieu où il devait reposer.
Suuhu Chuwutumaka tenta plusieurs fois de fixer un lieu pour le disque. Cela prit du temps pour trouver le bon endroit.
Et puis le disque trouva enfin le lieu qu’il cherchait.
Suuhu Chuwutumaka pensa alors qu’il pouvait continuer sa création tranquillement. Il commença par créer la terre. Mais la terre était instable, parcourue de soubresauts. Alors il créa le ciel et il lia la terre au ciel. Et la terre se calma.
Mais elle était encore dans l’obscurité. Alors Suuhu Chuwutumaka pensa qu’il devait y avoir de la lumière afin que ses créatures puissent voir.
Il façonna alors le soleil avec de l’argile de la terre pour en faire un bol dans lequel il congela de l’eau de la terre pour la rendre solide et après quelques tâtonnements, il créa l’est et le soleil ne chuta plus dans le néant.
La comparaison que fait Campbell avec la genèse biblique est assez pertinente. Il traduit ce mythe des indiens Pimas par Au commencement, l’obscurité recouvrait tout. Il y avait les ténèbres et l’eau. Et pour Campbell, les ténèbres possèdent comme un battement. En certains endroits, elles se renforcent puis se dilatent et s’épaississent de nouveau pour enfin perdre de la substance.
Peut-être peut-on y voir une allégorie de l’ignorance.
Genèse Chapitre 1 – Versets 3 à 5
Dieu dit : Que la lumière soit. Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres. Dieu appela la lumière jour, il appela les ténèbres nuit. Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour.
Campbell rapproche ces versets des Upanishads. Les Upanishads sont un ensemble de textes philosophiques qui forment la base de la religion hindoue.
Dans le premier chapitre de l’Aitareya Upanishad (composé entre -700 et -500 dans un style comparable à celui de la Genèse), on nous dépeint Brahman, le créateur suprème,
Il y est fait mention de Ātman, le souffle de vie, le Soi.
Ātman seul était ceci à l’origine. Rien d’autre que lui ne clignait.
Ātman est le vrai soi ce qui le distingue de l’ego. Et pour Campbell, Ātman se voyant seul eut ces premiers mots : Je suis.
Joseph Campbell et la découverte des mythes
C’est lorsqu’il se trouvait dans un musée quand, enfant, Joseph Campbell découvrit les totems et les masques. Il fut subjugué par ces artefacts et voulut savoir ce qu’ils signifiaient. Qu’y avait-il au-delà de l’esthétique de ces objets ?
Il se lança dans une quête sur les mythes et les légendes indiennes. Sa passion était née et son savoir devint immense autant dans le folklore que dans l’anthropologie. Et celle-ci devint vivante sous le regard de Campbell.
L’idée directrice de Campbell était de comprendre le pouvoir des histoires (comprenez fabula, l’histoire, la fable, le mythe différents de l’histoire selon l’historien ou l’historiographe qui à leur manière injectent aussi de la fiction lorsqu’ils relatent des faits et événements réels) et des légendes qui accompagnèrent l’histoire de l’humanité depuis le début des âges.
Campbell recherchait ces thèmes communs, ces principes fondamentaux dont il avait l’intuition car il s’était persuadé qu’un tronc commun, une essence commune existait prenant alors des formes et esthétiques variées à travers les époques et les cultures.
Et pour Campbell, notre imaginaire collectif s’est nourri de ces mythes et légendes, comme une énergie venue du fond des âges.
Il prend comme exemple que bien que le Dieu exclusif d’Abraham n’est pas celui des histoires indiennes qui ne montre ni colère, ni compassion, et bien que ces traditions mystiques soient si différentes, elles sont cependant en harmonie au moins sur un point. Ils appellent les femmes et les hommes de ce monde à une prise de conscience plus profonde de l’acte même de vivre.
Tous deux nous guident à travers nos épreuves et nos traumas de notre naissance à notre mort.
Joseph Campbell disait que si nous voulons vraiment aider ce monde, ce que nous devons apprendre, c’est comment vivre en lui.
Alors comment les mythes peuvent-ils encore éveiller en nous un sentiment d’émerveillement et même de béatitude ? Qu’est-ce que les mythes peuvent apporter à ma vie ?
Comprendre les mythes
D’abord, il ne faut pas comprendre les mythes comme un sujet d’importance parce que d’autres le croient ainsi. Comprendre les mythes est une affaire personnelle. Il faut qu’ils nous parlent alors ils nous seront utiles.
Ces bribes d’informations des anciens temps ont des thèmes en rapport avec la vie de l’humanité, de ces grandes réalisations en termes de civilisations, et élaborées des religions au cours des millénaires.
Ces informations traitent de problèmes intimes profonds, de mystères dans la profondeur de nos âmes, de seuils de passage qu’il nous faut franchir et si nous n’apercevons pas les signes au long du chemin ou si nous ne les comprenons pas, il nous faut alors nous débrouiller seul et souvent maladroitement.
Mais si nous faisons l’effort de comprendre ces signes pourtant si apparents, de ces traditions il ressort toujours un sentiment d’une vie riche, vivifiante, qui n’est pas superficielle.
Les mythes sont précisément cette quête de l’humanité à travers les âges pour le sens, pour les valeurs, pour faire en sorte que la vie est un sens. Ils nous autoriseraient une approche du surnaturel ou mieux de la déité. Ils nous aident à comprendre ce qui nous est encore mystérieux bien que la science ne cesse d’en faire reculer les frontières, le mystère ne peut disparaître car il se déroule constamment devant nous.
En fin de compte, les mythes nous font comprendre qui nous sommes. Cependant, dire que nous cherchons du sens à nos vies est une notion abstraite. Et Campbell a raison de dire que ce que nous voulons, c’est éprouver l’expérience d’être vivants.
Selon Campbell, tout notre vécu, tous ces événements qui ne cessent de s’égrener dans nos vies au quotidien doivent entrer en résonance avec notre vécu intérieur, avec notre vie mentale ou spirituelle qui est notre être le plus intime, notre réalité.
Notre ego que nous offrons aux autres, ce n’est pas notre réalité. Notre quête est foncièrement intime.
C’est seulement ainsi que nous pouvons éprouver ou ressentir le fait d’être vivant. C’est une béatitude que de se sentir vivant. Et c’est en nous que nous pouvons trouver cette joie. Les mythes nous aident à trouver ce lieu en nous-mêmes.
Les mythes nous indiquent le chemin
Ils nous révèlent ce possible spirituel de la vie humaine. Ils nous content ce que nous pouvons connaître en nous. Et connaître, c’est en faire l’expérience. Pour Campbell, un mythe ne répond pas à une recherche de sens. Il est une expérience du sens.
Parce que si l’on ne comprend pas la signification, nous pourrions passer à côté de quelque chose d’important. Si nous nous trouvons face au chœur d’une cathédrale et que nous levions les yeux, nous pourrions nous offusquer du mystère.
Mais si nous nous laissons imprégner par la majesté des lieux, sans énoncer la moindre signification dont les mots réduiraient à néant l’expérience, nous pourrions être submergé par une spiritualité qui ouvrirait notre âme à une autre dimension.
C’est l’expérience de la vie, insiste Campbell. Dans la branche japonaise Zen du bouddhisme mahāyāna, on nous conte le Sermon de la fleur.
Le Bouddha se trouvait près d’un lac sur le Mont du Vautour (Mont Grdhakuta). Il se préparait à prononcer un sermon devant ses disciples assemblés. Le Bouddha aperçut alors une fleur de lotus d’or qui était parvenue à éclore de l’eau boueuse. Il cueillit la fleur.
Il l’éleva bien haut pour que chacun puisse la voir. Et longtemps il se tint ainsi sans prononcer un mot. L’assemblée restait silencieuse aux visages vides d’expression. Seul un homme Mahakashyapa lui donna un signe. Il lui sourit. Il avait compris le Bouddha.
L’expérience de la vie. C’est en soi que l’on trouve ses réponses. Nous sommes tellement engagés à faire les choses que nous en oublions cette dimension de se sentir vivant, de trouver en nous notre raison de vivre.
Nous pensons à Dieu. On lui donne un nom et nous en faisons une idée. Mais Dieu ne se pense pas. Car Dieu transcende toutes pensées. Le mystère ultime de l’être est au-delà de toutes pensées. Dieu est un concept qui ne s’énonce pas. Notre esprit ne peut se saisir de Dieu car la pensée de Dieu se réfère à ce qui ne peut être pensé.
Cependant, les mythes contiennent des métaphores. Ces métaphores nous permettent d’appréhender ce qui nous est totalement transcendant et imprononçable. Ce qui ne peut être connu et ce qui ne peut être nommé.
Pour Joseph Campbell, le langage est bien misérable pour exprimer ce qui nous est transcendant. Et l’ultime mot pour désigner cette transcendance est Dieu.
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