Au-delà des séquences, des scènes et des actes, un scénario s’articule aussi autour des 5 moments d’une intrigue. Ces 5 moments sont ceux que le film lui-même utilise pour se structurer.
Selon Robert Towne :
« A movie, I think is really only four or five moments between two people; the rest of it exists to give those moments their impact and resonance. The script exists for that. Everything does. »
Je pense qu’un film est vraiment seulement 4 ou 5 moments entre deux personnes ; le reste existe pour donner à ces moments tout leur impact et leur résonance. Le scénario existe pour cela. Et tout se passe bien. »
LES 5 MOMENTS CRUCIAUX
De manière générale, un récit se conçoit en trois actes avec deux changements majeurs dans l’intrigue à la fin des actes 1 et 2. Bien que ces tournants majeurs du récit soient indispensables pour permettre à votre histoire d’avancer, la structure globale de votre récit doit s’articuler autour de 5 moments clés :
1. L’INCIDENT DÉCLENCHEUR
2. LE POINT DE NON RETOUR
3. LE POINT CULMINANT MINEUR
4. LE POINT CULMINANT MAJEUR
5. LE COUP DE THÉÂTRE DU TROISIÈME ACTE
Ces moments très particuliers procurent un moyen dynamique à votre récit et orientent votre protagoniste vers une voie radicalement différente ou le font changer d’objectif. Ces 5 moments sont des avancées majeures dans le déploiement de votre récit. Bien sûr, il y a des exceptions à toute règle et c’est tant mieux mais comprendre et savoir utiliser ces 5 points dans votre histoire vous aidera à écrire plus sereinement un meilleur scénario.
1. L’INCIDENT DÉCLENCHEUR
L’incident déclencheur intervient au milieu de l’acte Un et à la fin de la première séquence. Cette première séquence nous expose une situation, une sorte de statu quo car les personnages sont dans leur quotidien. L’incident déclencheur à la fin de cette première séquence bouleversera ce statu quo. Il incitera les personnages vers de nouveaux points de vue, vers une prise de conscience que la situation a changé.
Les personnages seront ainsi amenés à prendre des décisions à partir de cet incident déclencheur qu’ils n’auraient jamais prises au cours de leur quotidien figé. Ce tout premier moment est donc décisif pour la suite de votre histoire. Car soudain dans la vie de votre héros, c’est comme si une porte, inconnue jusqu’à présent, venait de s’ouvrir.
Votre héros n’en a pas encore franchi le seuil, il n’a peut-être pas du tout l’intention de franchir ce seuil, mais nous, lecteurs, nous savons déjà qu’il franchira cette porte qui le conduira vers l’accomplissement de son nouvel objectif.
A propos d’objectif, vous comprendrez que si votre héros n’a pas d’objectif, pas de motivations, il n’a aucune raison d’être et donc, vous n’avez pas d’histoire. L’incident déclencheur mettra en place cet objectif (et les enjeux correspondants).
Dans Le Lauréat en 1967 de Mike Nicols adapté du roman de Charles Webb, Ben, fraîchement diplômé, est invité par Madame Robinson, une amie de ses parents, à la ramener chez elle. Une fois sur place, elle le convainc de la suivre puis tente de le séduire. Nue devant lui, elle lui affirme qu’elle sera disponible pour lui à tout moment alors qu’il essaie nerveusement de quitter la chambre.
A ce point, il n’y a encore aucune relation entre Ben et Madame Robinson, cependant, une porte a été ouverte pour cette relation. L’acte Un n’est pas encore clos mais il ne fait aucun doute que cette relation amoureuse verra le jour.
2. LE POINT DE NON RETOUR
Le point de non retour se produit à la fin de l’acte Un. Il propulse le héros vers une toute nouvelle direction avec de nouveaux objectifs qui rendra impossible le retour au statu quo initial. C’est comme si ce protagoniste était enchaîné à une situation inextricable, sans issue. Il a conscience qu’il ne peut faire marche arrière et de nouveaux objectifs (ou plutôt, il prend conscience de son objectif) s’imposent à lui.
La porte qui s’est ouverte au moment de l’incident déclencheur au cours du premier acte s’est violemment refermée derrière notre héros et le force à continuer son chemin dans l’acte Deux.
Dans Matrix de Andy et Lana Wachowski en 1999, Morpheus explique à Néo que la matrice est une fausse réalité construite pour cacher la vérité. Il lui explique aussi que tout le monde naît en état d’esclavage et qu’il est un esclave.
Morpheus lui tend alors deux pilules et lui demande de choisir entre la pilule bleue et la pilule rouge. Si Néo choisit la pilule bleue, il se réveillera dans son lit et pourra continuer à se bercer de toutes les illusions qu’il puisse rêver mais s’il choisit la pilule rouge, Morpheus lui montrera alors la réalité.
Ayant choisi la pilule rouge, il est évident pour Néo qu’il ne pourra plus faire marche arrière. En se libérant lui-même de la fausse réalité de la matrice, il est forcé de vivre comme un homme libre, de rejoindre la résistance et d’engager le combat contre la matrice qui oppresse la race humaine.
3. LE POINT CULMINANT MINEUR
Le point culminant mineur se produit de manière générale vers le milieu du second acte. Son importance dans le récit est moindre que le point de non retour ou le point culminant majeur. Il est cependant indispensable et consiste soit en un nouvel obstacle plus grave encore que celui qui est à l’origine de l’acte Deux lui-même, soit à une fin heureuse intermédiaire (dans ce cas, le dénouement risque fort d’être tragique).
En fait, c’est vers le milieu du second acte que le protagoniste connaît soit son premier vrai succès, soit son premier vrai échec.
Si c’est un succès, le personnage a résolu un premier objectif qui doit le mener vers l’accomplissement du véritable objectif. Ce succès intermédiaire change l’équilibre des forces en jeu dans l’intrigue en faveur du héros. Et si c’est un échec, le personnage s’éloigne encore plus de l’objectif salvateur.
Dans les drames, ce point culminant mineur sera un échec. Dans des comédies, il est généralement une sorte de Happy End. On a le sentiment que l’histoire pourrait s’arrêter là. Le héros a atteint ses objectifs ou bien, il a échoué. Nous sommes devant un moment où l’intrigue semble avoir répondu à toutes les questions qu’elle nous a posées.
Forrest du film de Robert Zemeckis (Forrest Gump, 1994) adapté du roman de Winston Groom se retrouve par hasard à prendre la parole lors d’une manifestation contre la guerre du Vietnam au National Mall devant la Maison Blanche à Washington.
Bien que le micro cesse de fonctionner en plein discours, Jenny (l’amour d’enfance perdu de Forrest) entend son nom et se met à hurler au milieu de la foule. Forrest et Jenny se précipitent l’un vers l’autre et se retrouvent enfin ensemble au milieu d’une fontaine, acclamés par les centaines de personnes présentes.
Malgré tout ce qu’a accompli Forrest jusqu’à présent, ce moment où il retrouve Jenny est l’instant le plus fort de sa vie. Tout ce qu’il a jamais voulu était de retrouver sa Jenny perdue. C’est un Happy End intermédiaire qui oriente le film vers une autre destinée.
4. LE POINT CULMINANT MAJEUR
Le point culminant majeur intervient à la fin du second acte. Il met un terme à la tension créée tout au long de l’acte Deux et simultanément crée une nouvelle tension pour l’acte Trois. Ce point nous donne d’ailleurs une petite idée de ce que sera cette tension au cours du troisième acte.
Il s’agit du plus haut ou du plus bas point que connaît votre protagoniste jusqu’à présent. On considère ce moment comme le climax (enfin cela dépend des théories), c’est-à-dire que votre personnage a atteint le pinacle de son voyage. Il ne peut aller plus haut ou plus bas, il ne peut aller plus loin.
Dans Les Evadés (1994) de Frank Darabont et écrit par Stephen King, avec l’apport de nouvelles preuves l’innocentant, Andy Dufresne demande à Warden Norton de l’aider à réviser son procès.
Assurant Norton qu’il ne révélera pas le blanchiment d’argent dont Norton est coupable, Norton réagit en jetant Andy en cellule d’isolement. Non seulement, Andy se voit refuser l’opportunité de prouver son innocence, mais Norton fait aussi assassiner le détenu dont le témoignage aurait été une porte de sortie pour Andy.
Andy Dufresne est au plus bas. Pourtant, il est vraiment innocent mais n’a plus aucun espoir. Le seul air qu’il respirera jusqu’à la fin de ses jours sera celui de la prison de Shawshank.
5. LE COUP DE THÉÂTRE DU TROISIÈME ACTE
Ce coup de théâtre comme son nom l’indique est inattendu. Les événements du troisième acte sont totalement imprévisibles. Sans ce coup de théâtre, sorte de Deus Ex Machina, le troisième acte serait trop linéaire et fade. Parfois, il s’agit d’une ultime épreuve pour le héros. Il se produit généralement entre le point culminant majeur et la conclusion de votre histoire. Il faut le considérer comme un outil qui vous permettra de débloquer l’objectif du troisième acte. Cet objectif et la nouvelle tension qui l’accompagne seront rapidement mis en place lors de la première séquence de l’acte Trois.
Votre personnage changera radicalement : ses attitudes, sa façon de voir les choses. En un mot, il ne sera plus le même. Il prendra le contre-pied de toutes les positions qu’il avait affichées jusqu’à présent.
Ce n’est pas un changement mineur puisque l’intrigue elle-même est changée. Pour asseoir encore davantage ce fait, le rythme est soutenu par des scènes courtes, un montage accéléré, les scènes sont relativement dépouillées.
Dans Les Affranchis de Martin Scorcese (1990) adapté de « Wiseguy » de Nicholas Pilegg, Henry retrouve son meilleur ami Jimmy à qui il voue une véritable admiration à un dîner et réalise que les plans de Jimmy sont seulement.. de le tuer. C’est un événement majeur qui forcera Henry à coopérer avec les autorités contre son ami et à bénéficier du programme de protection des témoins.
En conclusion,
- Une structure en 3 actes
- Des séquences construisent chaque acte
- 5 pivots
Ces 5 pivots ou moments spécifiques de votre intrigue sont les briques essentielles de sa constitution. Si vous savez où commence votre histoire et comment elle se finit, vous pouvez échafauder sa structure en déterminant ses 5 points cruciaux. Les actes seront ensuite étayés par une série de séquences.
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