Les complications graduelles sont un élément dramatique qui consiste en une série de conflits croissants en difficulté, de petits triomphes et d’écrasants échecs. Ces obstacles surviennent au cours de l’acte Deux et s’articulent autour de 3 ou 4 moments décisifs.Toutes les histoires commencent avec une idée. Il arrive assez souvent qu’il s’agisse simplement d’un Et Si… ?
Et si… un homme était mordu par une araignée radioactive et développait des super pouvoirs ? (Spiderman)
Et si… des parents louaient les services d’une jeune femme pour convaincre leur fils de quitter enfin le cocon familial ? (Playboy à saisir de Tom Dey)
Et si… le propriétaire d’une usine allemande établissait une liste d’employés juifs vitaux à l’effort d’armement et les sauvait en conséquence de l’holocauste ? (La liste de Schindler de Steven Zaillian)
Explorer une idée est généralement un bon départ pour commencer à construire une histoire.
Le meilleur choix est encore celui d’un sujet qui intrigue et qui n’a pas de réponse nette quant à savoir si cela est bien ou mal. En effet, l’exploration d’un sujet réclame une impartialité et l’auteur doit présenter les deux faces de son sujet. Le lecteur est généralement assez réticent à recevoir un sermon alors qu’il ne l’a pas sollicité.
En explorant une idée maîtresse, l’auteur inclut ce qui se passe mais aussi pourquoi cela se passe. C’est à une véritable démonstration de franchise et de vérité à laquelle assiste le lecteur et qui lui permet de comprendre pourquoi l’histoire se termine de cette façon-là plutôt qu’une autre.
– Un palefrenier amoureux d’une princesse est prêt à affronter d’insurmontables défis y compris la mort pour garder le cœur de sa bien-aimée (Princess Bride adapté du roman éponyme de William Goldman paru en 1973).
– Il y a toujours des raisons d’espérer même dans les pires circonstances parce qu’il y a encore encore du bon dans ce monde (Anne Franck)
– Une personne peut changer le monde parce qu’elle a le courage d’agir (Norma Rae)
Ces trois exemples de pitch appuient sur le pourquoi des événements. Que ce soit pour conserver une bien-aimée ou parce qu’il y a encore du bon dans le monde ou bien parce que le courage de ses actes fait bouger les choses, l’auteur précise son message et oriente son histoire en indiquant simplement le pourquoi des choses.
Sans cette justification des choses, il ne peut y avoir de prémisse.
A lire :
LA PRÉMISSE DE VOTRE HISTOIRE SELON LAJOS EGRI
La Question Dramatique
Après l’incident déclencheur et qu’une nouvelle situation se soit mise en place, le protagoniste doit s’engager envers quelque chose. Il veut ou quelque chose ou éviter quelque chose.
Ce quelque chose est la question dramatique de l’histoire. D’ailleurs, lorsque cette question est résolue, le lecteur sait que l’histoire est terminée.
Ce quelque chose est visible, tangible, au vu et su de tous les personnages et du lecteur. Ce n’est pas un objectif éthéré comme la paix dans le monde, l’illumination ou la réalisation de soi. La question dramatique oriente le cours de l’histoire et dessine nettement le point final de celle-ci.
Cet engagement envers un objectif est le premier point majeur d’une histoire. Ces points majeurs sont des moments importants et suffisamment forts pour modifier le cours de l’histoire, lui faire prendre une direction toute autre.
Lorsque le protagoniste prend en charge son problème (c’est-à-dire lorsqu’il fait sienne la question dramatique), cela change son destin. Il quitte son quotidien (Ordinary World pour Vogler et Campbell) pour pénétrer dans une nouvelle situation avec un but tangible.
Pour appuyer ce bouleversement dans la vie du héros, un changement de lieu (très fréquent d’ailleurs dans les scénarios) est appliqué.
Quelques questions dramatiques célèbres :
Est-ce que le Chef Brody parviendra à tuer le grand requin blanc ?
Les dents de la mer
Est-ce que Vinny réussira-t-il à défendre ses deux cousins injustement accusé de meurtre ?
Comme vous le constatez, cette question dramatique n’a nullement besoin d’entrer dans les détails en précisant par exemple le manque total d’expérience de Vinny. Pour qu’elle puisse se poser avec le maximum de clarté dans l’esprit du lecteur, elle doit aller à l’essentiel et être aussi dépouillée que possible.
Mon cousin Vinny de Dale Launer
Est-ce que Edward se débarrassera de Vivian une fois leur contrat rompu ?
Pretty Woman
Les Complications
Les complications sont le moyen dramatique par lequel est démontré le combat du protagoniste pour atteindre son but.
Ces complications devraient s’intensifier logiquement en commençant par la réponse la plus simple en tout premier.
En effet, toute personne raisonnable qui poursuit un but prend, assez naturellement d’ailleurs, les décisions et solutions les plus prudentes d’abord (car il est inutile de se casser le cou si les choses peuvent être faites en douceur).
Lorsque Mitch McDeere (La Firme) apprend qu’il travaille en fait pour une organisation criminelle, sa première réaction n’est pas la fuite ni de jouer un double jeu avec les fédéraux. Sa première démarche est de vérifier avec un détective privé si ces assertions sont vraies.
Cette montée en puissance des obstacles et des épreuves posés sur le chemin du héros ajoute aussi au rythme de l’histoire. Une intrigue tournera court si les conflits ne montent pas en intensité au fil de celle-ci.
Dans La revanche d’une blonde de Karen McCullah Lutz et Kirsten Smith, d’après une nouvelle de Amanda Brown, les challenges s’intensifient dans un ordre logique.
Pour récupérer son ex petit ami, la protagoniste doit réussir à se faire admettre dans la même université que lui et survivre aux humiliations d’un rude professeur. Elle est piégée par sa rivale Vivian au cours d’une fête et ainsi de suite… jusqu’à ce que toutes ces épreuves lui permettent une révélation qu’elle n’aurait pu découvrir par elle-même sans avoir ou réussi ou échoué devant tous ces obstacles.
Une progression logique
La progression doit être logique et par paliers de difficulté. C’est un modèle largement répandu et éprouvé. L’avantage dramatique de ce schéma est que plus la situation du protagoniste s’aggrave, plus sa désespérance est marquée et efficace. Plus les complications s’accroissent en magnitude, plus les actions génèrent un risque de plus en plus grand.
L’idée est que le protagoniste poussé dans ses derniers retranchements soit amené à faire des choses dont il (et nous en tant que lecteurs) ne se soupçonnait pas capable de faire au début de l’histoire. Seul un état psychologique extrême peut amener un personnage à agir contre toute attente (ce qui ajoute à l’intérêt du lecteur envers ce personnage).
Il faut aussi tenir compte que même les meilleurs efforts d’un personnage peuvent se retourner contre lui. Le but recherché par cet outil dramatique peut être significatif (pour l’intrigue, pour la morale ou le message de l’histoire) ou simplement être utilisé pour ajouter de la tension.
Par exemple, lorsque John Dumbar (Danse avec les loups) essaie de prévenir la tribu Sioux de l’arrivée d’un grand troupeau de buffles, il interromps accidentellement une cérémonie religieuse et manque de se faire tuer.
Des erreurs de jugement peuvent aussi conduire le protagoniste à éprouver encore plus amèrement les situations dans lesquelles il se trouve. C’est d’ailleurs ce que souhaite la plupart des auteurs : rendre les choses encore plus difficiles pour leur héros car cela augmente la tension et le rythme. Souvenez-vous que plus le protagoniste est désespéré et plus le lecteur éprouvera de la compassion pour lui. Le lecteur veut que le protagoniste gagne sa victoire, néanmoins celle-ci ne doit pas être facile à obtenir.
Aucune victoire n’est facile
Votre protagoniste ne doit rien obtenir sans combattre. Il n’y a pas de victoires faciles pour lui ni de hasards bienheureux pour le sortir (Deus Ex Machina) de situations périlleuses.
Si votre personnage veut quelque chose, il devra se battre pour l’obtenir et il ne gagnera pas toujours. Souvent son combat pour réaliser son objectif se retournera contre lui le plaçant dans une situation encore plus difficile qu’il ne l’était avant de prendre la décision d’agir. Cela symbolise souvent la différence qu’il y a entre nos désirs et ce que nous obtenons vraiment.
Explorez les différents niveaux du conflit
Les conflits s’expriment sur au moins trois niveaux : avec soi-même, avec autrui et avec son environnement (naturel ou social).
Le conflit le plus fondamental est celui que l’on se livre à soi-même. Il y a une ambivalence dans chacun de nous et celle-ci devrait se retrouver aussi chez nos personnages. Vouloir quelque chose et son contraire est une attitude commune que les auteurs se doivent d’explorer.
Ce conflit personnel, intime peut être à la source de l’histoire ou être une dimension de celle-ci. Vous constaterez souvent d’ailleurs que pour résoudre le problème extérieur (souvent posé par la question dramatique), le protagoniste devra au préalable surmonter son problème personnel.
Dans Le Poison de Charles Brackett et Billy Wilder, tiré d’un roman de Charles R. Jackson, Don Birnam doit lutter contre son problème d’alcoolisme et c’est une guerre totale contre lui-même.
Un autre type de conflit est celui avec autrui. Cette autre personne n’est pas seulement l’antagoniste déclaré du protagoniste.
Le conflit interpersonnel peut se nicher jusqu’à la scène sans que le méchant de l’histoire – ou némésis ou simplement antagoniste parce qu’il s’oppose à l’objectif du héros même peut-être de la manière la plus innocente qu’il soit – ne soit impliqué.
Dans Amour et Amnésie de George Wing, le protagoniste est en conflit avec la femme qu’il aime et surtout avec l’amnésie de celle-ci qui fait qu’elle ne souvient pas qu’elle l’aime aussi.
Le troisième type de conflit est celui qui dépasse l’individu. L’antagoniste est alors une entité assez souvent représentée par un individu. Dans Benjamin Gates et le Trésor des Templiers, Ben est aux prises avec les Archives Nationales qui refusent de prendre au sérieux ses allégations sur la carte d’un trésor au dos de la Bill of Rights.
Il est poursuivi par les fédéraux après avoir subtilisé la Bill of Rights pour la protéger des abominables Bad Guys et il est évidemment en conflit avec ces derniers.
Les histoires les plus passionnantes opèrent sur les trois niveaux à la fois. Les Infiltrés de William Monahan en est un bon exemple. L’un des protagonistes, Billy Costigan, est un flic infiltré qui est en conflit avec lui-même à cause des connections que sa famille entretient avec le crime organisé. Il est déchiré entre l’honnêteté et la corruption et se bat avec sa moralité tout au long de l’histoire jusqu’à sa dernière scène où il lutte pour récupérer un flic corrompu plutôt que de le descendre.
Simultanément, il est en butte contre ses supérieurs qui l’ont infiltré et la baron du gang qui peut découvrir à tout moment que c’est un flic sous couverture et l’éliminer.
Finalement, il est en lutte contre le système en général qui permet à des truands d’acheter des juges, des flics et même des agents fédéraux.
Points majeurs et Complications
Les points majeurs d’une histoire (connus comme Turning Points dans la littérature anglo-saxonne) sont ces moments qui obliquent l’histoire dans une toute nouvelle direction. Cependant, si un point majeur est par nature une complication, toutes les complications ne sont pas des moments décisifs sur le devenir d’une histoire (et la destinée d’un personnage dans la foulée).
La différence entre une complication et un point majeur est dans l’implantation des Turning Points dans la structure et les conséquences qu’ils impliquent (autrement plus profondes que lors de simples complications).
Si l’on ne tient pas compte de l’incident déclencheur (certaines théories le dénomme Opportunité, ce qui n’est pas faux), le premier point majeur d’une histoire intervient à la fin de l’acte Un et assoit clairement la question dramatique. Il met en place aussi une nouvelle direction pour l’histoire en créant une nouvelle situation pour l’ouverture de l’acte Deux. Cette nouvelle situation s’accompagne souvent d’un changement de lieu.
Les Dents de la Mer
Premier Point Majeur :
Le fils de Brody est menacé par le requin propulsant Brody au cœur du problème. Cet événement lance Brody dans une nouvelle direction. Il veut maintenant tuer le grand requin blanc personnellement et est prêt à quitter la terre ferme (malgré sa phobie de l’eau) pour le faire. Notez le changement de lieu entre la terre ferme et l’océan.
Question dramatique :
Est-ce que Brody tuera le requin ? Ou bien le requin dévorera-t-il Brody ?
Complication :
Quinn détruit la radio de bord coupant les communications. Bien que cela soit un revers et une complication pour Brody, cela n’envoie pas l’histoire dans une autre direction (et il n’y a pas non plus de changement de lieu). Cette complication se produit vers le milieu de l’histoire et n’est pas un point majeur.
Une histoire a besoin de complications et de points majeurs pour maintenir le rythme. Les complications multiplient les déboires pour le protagoniste et ajoute à son désespoir. Dans un scénario, les points majeurs sont stratégiquement positionnés pour obliquer à bon escient le déroulement de l’histoire.
L’ultime point majeur est appelé Crisis (c’est une crise majeure pour le héros) par Robert McKee.
Michael Hauge le dénomme Major Setback (un revers majeur).