Tout converge en un nexus. Les thèmes, les métaphores du récit s’y rencontrent afin de créer de l’harmonie. Une harmonie densément poétique, car tout coïncide. Je m’explique par un exemple : Le Chevalier Vert (2021) de David Lowery. Le symbolisme du récit lui confère une densité sublime. Dans un récit et dans les scènes qui le décrivent, lumière, couleurs et ombres se joignent en métaphores, en suggestions, en poésie. Ainsi, le vert dans sa gamme d’intensité représente non seulement la nature (c’est tellement vrai) mais aussi cette étrange notion d’immortalité sous couvert de régénération.
Ces forces naturelles s’incarnent dans le chevalier et semblent nous dire la vanité du prétendu pouvoir des hommes.
La tête coupée est une image poétique de notre finitude et de l’angoisse existentielle qu’elle nourrit. La quête à soi de Gauvain est une métaphore de sa prise de conscience de son existence dans le monde. Tout dans ce récit est polysémique. Et au moment où le nexus s’accomplit, tout converge en une séquence très dense. C’est d’humanité qu’elle se densifie. C’est comme si, soudain, l’action déborde de sens. À nous d’écoper.
Mais pratiquement, qu’implique le nexus pour l’autrice et l’auteur ? C’est un entrelacs. Je dis bien non un fil de trame et de chaîne : la chaîne rompt la linéarité du récit (par un jeu d’analepses par exemple) tandis que la trame est précisément cette linéarité. Le terme chaîne est intéressant aussi à comprendre comme causalité, quand il explique parfois les réverbérations du passé dans le présent.
Tout ce qui a du sens dans votre récit (vos thèmes, vos sujets de prédilections, enfin toutes vos préoccupations et votre sens esthétique) se monte en réseau et s’explique et se répond. Et c’est une intention. De temps en temps, il m’arrive, sans l’avoir voulu délibérément, que mon écriture se construit en un réseau de significations ; ce n’est pas un privilège de la raison, l’imagination a toujours une image comme réminiscence ou pure invention.
Je justifie chacune de mes scènes même si cette démonstration n’est qu’une preuve pour moi-même. Je postule donc qu’un événement prend place dans un tout cohérent. Si j’espère que le pathos d’un de mes personnages touche mon lecteur/spectateur, il faut que l’émotion simulée par le corps de mon personnage (un personnage qui s’incarne dans celui d’une actrice ou d’un acteur) s’inscrive dans une continuité pour que je puisse la partager.
On est comme on est, et nous tirons satisfaction de ce qui nous paraît complet, achevé. Une relation amoureuse larvée parce que nécessaire à l’intrigue ? Alors, quelle que soit la qualité de celle-ci, nous ressentirons un manque. Pour Roland Barthes, c’est un bruissement du sens, une espèce de murmure entre tous nos éléments dramatiques. L’âme entend cette musique et le cœur s’en passionne.
Voilà que je m’interroge sur le tout. Les lieux, les personnages, les événements, les règles et lois qui gouvernent l’univers créé par l’autrice et l’auteur, cela me semble bien être ce tout.
Le tout se gonfle aussi de la structure, de l’intrigue principale et de ses intrigues secondaires, des arcs des personnages et de leurs relations ainsi que de la résolution des situations conflictuelles. Et puis j’ai un message à faire passer, des préoccupations détaillées dans des thèmes. Et à qui je m’adresse ?
À la lectrice et au lecteur, bien entendu. N’existe-t-on pas dans le regard de l’autre ?
Une œuvre de fiction, bien qu’elle soit de nature imaginaire (et c’est un pléonasme que de le dire) est-elle capable de provoquer en nous une réaction ? Après tout, c’est comme si nous assistions à un spectacle et que soudain, notre position d’observateur se dissipe dans les rets de la fiction. C’est un corps à corps.
Permettez-moi une analogie. Un trou noir est une masse si dense qu’elle attire tout ce qui est trop proche d’elle, y compris la lumière. Le nexus dans son principe concentre en son sein tous les éléments dramatiques. Je continue mon analogie avec Stephen Hawking et son concept de rayonnement qui entraîne une régression progressive du trou noir comme une évaporation. Le rayonnement du nexus, moyen par lequel il se dissipe, est du pathos, c’est-à-dire que les souffrances, les passions s’exacerbent au point d’éclatement. Et les personnages explosent leurs limites. C’est un triomphe ou un effondrement, dans tous les cas, un changement sans retour.
Les conflits aussi se mélangent au nexus. C’est le moment de confronter l’autre ou soi-même.