Une intrigue est une succession d’événements, de faits. Ils se colorent souvent d’une situation conflictuelle. Pourquoi sommes-nous astreints au conflit ?
D’abord, en tant qu’autrice et auteur, nous cherchons l’engagement de notre lecteur/spectateur. L’émotion est certainement le biais par lequel nous pouvons l’atteindre intimement sans qu’il oppose une résistance trop farouche. Plus ce sera compliqué pour les personnages et plus le lecteur et la lectrice seront attentifs. C’est-à-dire qu’ils reconnaîtront les passions qui opèrent en arrière-plan de l’action : de l’espoir, de la peur ou simplement une compassion momentanée pour la situation actuelle du personnage.
Par ailleurs, l’élaboration d’un personnage gagne en puissance à travers le conflit. Cela lui permet de mettre en avant ses forces, ses faiblesses, ses dilemmes. Nous-mêmes n’aurions point de préoccupations si nous ne prenions pas de temps en temps conscience que nos habitudes nous retiennent virtuellement prisonniers, si nous ne remettions pas en cause des préjugés dont on se demande soudain de la légitimité. Quand on se confronte à des obstacles, ce que nous sommes vraiment, à savoir non ce que l’on croit être notre identité personnelle, qui n’est souvent que superficielle et qui ne nous apporte qu’une sécurité illusoire, peut enfin se manifester. Et de manière qui nous étonne nous-mêmes.
Faisons de même avec nos personnages.
C’est un problème d’expériences que l’autrice et l’auteur doivent résoudre. Ce n’est pas tant ce qui nous atteint de l’extérieur qui est le plus passionnant ; c’est davantage ce qu’il se produit en nous quand quelque chose de l’extérieur nous frappe ; cette lutte en interne est précisément ce que nous devons décrire chez nos personnages. Prenons la scène où Norman, le jeune novice, est forcé par le sergent Wardaddy (Fury (2014) de David Ayer) de tuer un soldat allemand capturé.
Pour Wardaddy, c’est une leçon de survie sur le champ de bataille, leçon d’autant plus importante dans ce contexte car Wardaddy est devenu une espèce de mentor pour Norman. Et l’intensité qui nous touche tant, nous, lecteur/spectateur, ce n’est pas proprement l’action, mais ce que nous devinons ou ce que nous découvrons nous-mêmes, c’est ce qu’il se passe en Norman. Son dilemme éclate puissamment : doit-il obéir et perdre son innocence ou briser la cohésion du groupe ?
Ce que nous comprenons de cette lumière si intense qui recouvre Norman est qu’il est terrifié par la violence qu’il découvre en lui et qu’il ignorait parce qu’il était conduit jusqu’à présent par des valeurs totalement anéanties dans un contexte de guerre.
Il semble bien naturel que nous nous projetions dans cette situation et ce n’est pas parce qu’elle possède en elle quelque chose d’universel, ce n’est pas ce qu’on demande à l’auteur et à l’autrice, ce que nous voulons, ce sont des exemples.
Et ces exemples font de nous des témoins. Nous sommes témoins de la manière dont Andrew (Whiplash (2014) de Damien Chazelle) confronte et accepte une part sombre de lui-même qu’il ignorait auparavant pour atteindre l’excellence.