S’il vous plaît, évitons les stéréotypes réducteurs pour nos personnages, ils méritent bien mieux que cela. Ils sont fictifs, mais rien ne nous oblige à user de généralisations qui en font des caricatures de notre condition humaine. Il faut nous méfier de l’induction hâtive. Qu’est-ce ? Quand on tire une conclusion générale d’un échantillon non représentatif. Par exemple, quelques retraités, déprimés et oisifs, avouons-le, nous en avons déjà rencontré, alors induire hâtivement que tous les retraités le sont est une flagrante erreur de jugement. C’est-à-dire que c’est une absurdité de généraliser une observation sans chercher à nous la prouver autrement que par ce que nos sens (souvent trompeurs) nous renvoient ; à l’ensemble d’un groupe ou d’une situation.
La preuve n’est peut-être pas toujours la vérité, c’est le lot des lois ou des principes. C’est ainsi que la répétition d’une même observation dans des temps et des lieux différents servira de témoignage ou de signe pour en faire un principe. Du moins c’est ainsi lorsque la statistique se veut aussi rigoureuse que la science.
Donc, le problème avec le stéréotype et le préjugé, c’est qu’ils simplifient outrageusement la diversité bien réelle des individus. Je ne dis pas que quelques idiosyncrasies prises ici ou là chez quelques personnes (réelles ou déjà fictives) seront éliminées de l’élaboration de notre personnage ; je prétends seulement que, dans ce cas, il nous faut travailler davantage à étoffer ce personnage.
En effet, rien ne lui interdit de se fonder sur des idées culturelles ou sociales préconçues tant que nous allons au-delà. Emir Kusturica dans Le temps des gitans (1988) dépasse la culture rom (souvent associée à une opinion publique un peu trop hâtive) en tenant compte des dilemmes moraux, des liens familiaux et des aspirations de son personnage principal Pehran. Ingmar Bergman, quant à lui, dépeint dans Fanny et Alexandre (1982) une bourgeoisie du début du vingtième siècle. Cependant, il explore des thèmes reconnus et partagés comme le deuil, l’autorité et la spiritualité qui complexifient par leur substance même les conventions culturelles pour atteindre à des êtres psychologiquement riches.
Le refus du cliché
Quoi qu’on en pense, il y a une réalité humaine, c’est-à-dire des entités singulières, des êtres qui pensent, qui souffrent, qui aiment. Cela rend nos personnages forcément atrocement complexes. La diversité des expériences humaines qui forment notre conscience et notre mémoire ne peut se réduire à quelques traits un peu trop prévisibles : même un superhéros prend peur de temps à autre. Parce qu’il a des motivations, des conflits personnels (en soi et hors de soi, avec sa foi, avec les siens).
Le vécu fictif, bien qu’en tant que lecteur/spectateur, nous ne l’éprouverons jamais, permet néanmoins une reconnaissance : un être, même fictif, s’il souffre, nous pouvons reconnaître sa souffrance. Mais, dotez-le de préjugés, et pour reprendre l’exemple du retraité désœuvré, faire de notre personnage un individu devenu oisif et déprimé sous la figure du vieillard, et vous n’obtiendrez aucune compassion, aucune sympathie, voire empathie, avec votre personnage parce que, pour que nous comprenions par quoi il passe, c’est-à-dire que nous faisons plus que ressentir cet être, on le pense, on prend conscience qu’il a une conscience et qu’il nous renvoie le regard qu’on pose sur lui.
Donc, s’il y a bien quelque chose dont nous devons nous méfier, ce sont nos préjugés. Et sociaux, en particulier. On risque de marginaliser des communautés entières si nous figeons leur image dans des représentations restrictives. D’autant que cela ne refléterait nullement la vérité. Ne soyons pas injustes, car le monde, déjà, s’en charge.