Choisir une profession pour un personnage de fiction, c’est le construire déjà. Le métier choisi exprimera des valeurs fondamentales par exemple : ce peut être l’altruisme pour un médecin, la quête de justice pour un juge, la liberté d’expression pour un artiste. L’activité professionnelle aide à définir le personnage. C’est un projet d’existence.
L’activité professionnelle participe de son estime de soi. Nous pourrions faire en sorte que cette activité lui offre un sentiment d’utilité sur le plan social. À l’inverse, le personnage sera frustré s’il juge que son activité est dégradante ou insignifiante. Et dans ce cas, il se crée une tension que nous pouvons exploiter pour justifier une situation conflictuelle. Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1975) de Chantal Akerman dépeint la vie quotidienne de Jeanne, une veuve qui s’occupe de son fils adolescent. Pour survivre, elle se livre de temps en temps à la prostitution dans son appartement. Cette activité marginalisée offre néanmoins à Jeanne une satisfaction, car elle sait qu’elle agit pour le bien de sa famille. Toutefois, le manque de reconnaissance sociale et l’aspect moralement dégradant de cette activité influence négativement l’estime qu’elle se porte.
Jeanne mène une existence extrêmement ritualisée entre ses tâches domestiques et son activité clandestine : il apparaît qu’elle cherche à contrôler totalement son environnement. Pourtant, elle souffre d’être dévalorisée, non reconnue et tous ses gestes comme mécaniques sont dénués d’émotions : Jeanne subit de plein fouet le manque de sens de son existence.
Progressivement, ce rituel établi se fissure : ce sont des détails, comme les pommes de terre mal préparées, les retards dans son emploi du temps, qui nous le révèle. Puis, soudain, un événement qui ne libérera pas Jeanne comme nous pourrions le croire ; au contraire, c’est l’apogée de sa perte totale de contrôle à travers son corps qui la mène à libérer plutôt une violence intériorisée.
Dissimulation
La profession ou ce qui lui sert de profession peut servir de masque, une illusion aux regards des autres afin d’y cacher sa véritable nature. Le personnage joue un rôle selon le contexte. Et ce masque peut être littéral comme figuré : Michael Myers (La Nuit des masques (1978) de John Carpenter) manipule la perception que les autres ont de lui en portant ce masque inexpressif. Son apparence en devient terrifiante et anonyme et marque à la fois son absence d’humanité et pousse l’absurde jusqu’à devenir une pure incarnation du mal. Avouons que cette absence d’expression est terriblement présente.
Sur un plan plus positif, la profession peut être le moyen d’atteindre non pas nécessairement un accomplissement, mais plutôt une évolution de soi. Un personnage introverti qui s’ouvre dans une profession médiatique et toute une nouvelle lumière de lui-même dévoile l’obscurité. Prenons exemple sur Barry Champlain (Conversations nocturnes (1988) de Oliver Stone). Barry se sert de son émission de radio pour asseoir ces opinions quelque peu excessives. Dans ce monde médiatique se révèle des aspects troublants de sa psyché qui entrent en conflit avec ses auditeurs et son entourage.
Pourtant, cette profession lui permet d’extérioriser des conflits internes, des contradictions et des vulnérabilités qui le consumeraient autrement. Barry, bien que controversé, évolue dans son milieu professionnel.