S’ÉCHAPPER

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Précédemment, nous avons vu que le cadre, c’est-à-dire l’environnement, la culture, le contexte dans lesquels nous inscrivons un personnage, influent très fortement sur son identité, sa manière d’être ainsi que les conflits personnels et autres contradictions qui ont une telle emprise sur lui. Cette influence du milieu social joue sur ses désirs, ses croyances et cela ne manque jamais d’une tension entre ce que le personnage aspire à être et le poids de la culpabilité s’il venait à trahir ceux qui ont mis tant d’espoirs ou d’attentes en lui.

La question que nous pourrions nous poser à nous-mêmes serait de savoir dans quelle mesure nous sommes libres de nous affranchir de notre milieu social. Pour Pierre Bourdieu (et son idée d’habitus), les structures sociales se sont tellement imprégnées en nous que nos pensées et nos actions sont toutes orientées dans le sens qu’elles nous imposent. Certes, ce monde ordinaire a toujours quelque chose de rassurant : c’est pour cela qu’il est si difficile de s’en désaliéner.
Pourtant, Sartre admet par son concept de facticité, c’est-à-dire que notre situation nous conditionne et entrave notre liberté, que celle-ci néanmoins n’est pas bâillonnée ; nous avons encore la possibilité de nous dépasser, de ne plus nous conformer passivement aux normes de notre environnement. Une nouvelle question se pose pour notre personnage : comment peut-il dépasser le cadre de son origine pour aller à la rencontre de lui-même, à savoir de son authenticité, étouffée jusqu’à présent.

L’arc d’un personnage est la réponse qu’il se donne à lui-même. À travers une espèce d’ascension dialectique, c’est-à-dire d’une confrontation entre ses aspirations et les principes dont il a hérités sans vraiment les demander, il peut s’élever jusqu’à une transformation d’une identité dont il prend conscience qu’elle ne lui sied pas vraiment vers cet autre lui-même qu’il possède d’ailleurs déjà en lui, mais obscurément. Nouvelle question pour notre personnage : jusqu’à quel point peut-il réécrire sa propre histoire face à ses déterminismes ?

Un exemple

Voici Élie : un jeune homme qui vit dans un village plutôt isolé aux traditions très enracinées. Et les Anciens y veillent avec le mauvais œil envers ceux qui expriment quelques tentations à déroger. La loyauté au clan, la méfiance envers l’étranger, le respect des ancêtres sont certes des valeurs conservatrices et prudentes, mais qui détonnent dans le jeune esprit d’Élie qui, intuitivement, aspire à d’autres horizons.

Il ne nie pas son héritage ; il sait néanmoins qu’il y a un monde au-delà des limites du village et son esprit curieux aspire à le connaître. Voilà bien un ferment pour un conflit, sinon en acte, du moins en puissance. En quoi consiste ce conflit ? Son éducation lui a apparemment démontré que le monde extérieur est dangereux autant pour lui que pour le village ; pourtant, il a ce désir de s’y rendre et il en a honte, car il le ressent comme une trahison envers les siens.
C’est un problème d’appartenance et d’émancipation : une sorte de coming of age, un récit initiatique. On peut assimiler ce problème à l’habitus de Bourdieu : ses croyances et ses comportements renforcent son appartenance à son milieu d’origine.

Alors quel sera l’événement par lequel le scandale arrive (on dit aussi incident déclencheur) ? Élie découvre au sein de son village une bibliothèque de livres très anciens et vraiment très poussiéreux. Ces livres antédiluviens parlent d’autres cultures, d’autres modes de vie et le dilemme d’Élie en devient plus aigu. Il est fasciné par des idées qui remettent en question l’autorité et l’inertie de son village.
C’est une illumination, un éveil de sa conscience critique, une fissure dans ce qu’il croyait être figé.

Puis survient un étranger. Et là, l’intrigue commence à prendre sens : Élie doit-il résister et rejeter cet homme de la liberté ? Ou bien s’émanciper et le suivre sur un chemin où il écrira lui-même son destin ? et c’est un risque à courir.

Et ce risque, Élie le prend. Non pas en détruisant ce qui a forgé une partie de son identité, car cette partie ne changera pas ; il réinterprète certains des principes afin de trouver un équilibre entre les valeurs qui le définissent et son besoin de s’accomplir aussi pleinement qu’il le pourra. Nous avons cette liberté ; nous ne sommes pas condamnés, quelle faute aurions-nous commise, à un emprisonnement, parce que nous sommes nés par hasard dans un lieu et un temps.

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