Le moment ou les circonstances d’une scène sont très importantes dans la signification de celles-ci. Quand une scène insiste sur le mystère, par exemple, son effet sera plus efficace si l’on tient compte des circonstances de sa survenue. Par exemple, dans Sunshine (2007) de Danny Boyle, lorsque l’équipage monte à bord de l’Icarus I, l’impression recherchée est celle d’une perception sombre baignée d’une étrange lueur. Ce moment a pour dessein de signifier la lente décomposition du vaisseau.
La combinaison de l’espace et du temps participe de manière essentielle à la justification de la scène. Ainsi, dans In the mood for love (2000) de Wong Kar-wai, la temporalité est vouée à l’attente et à l’hésitation. La relation de Monsieur Chow et de Madame Chan est toujours pénétrée de lueurs crépusculaires et de lieux plus ou moins clandestins (comme métaphore de l’imprégnation du secret sur leur relation).
Le Chronotope selon Bakhtine
Le terme chronotope combine les mots grecs chronos (à savoir le temps) et topos (c’est-à-dire un lieu), et désigne ainsi une unité de temps et d’espace selon Bakhtine. Selon lui, chaque scène se compose d’un espace et d’un moment indissociables.
Une scène s’écrit à l’attention du lecteur/spectateur. Elle aura un effet sur lui. Cette impression recherchée se détermine par le lieu et le moment que choisissent sciemment l’autrice et l’auteur. C’est comme quand on se saisit d’une matière à pleines mains, il en résulte une sensation tactile. La densité de la matière dramatique agit de même sur l’esprit du lecteur ou de la lectrice. Même si la perception d’une scène n’est pas totalement identique en chacun de nous, son fondement s’oriente vers une impression singulière. L’espace et le temps ne font qu’un dans une scène. Dans le très sensible A Ghost story (2017) de David Lowery, toute l’intrigue se fonde sur l’espace de la maison marqué par le temps. Mais le temps n’est plus linéaire, car le sentiment de perte et de nostalgie sont intemporels. Continuons sur notre lancée avec La Proie d’une ombre (2020) de David Bruckner. Ici aussi, une de:meure chargée de souvenirs. L’effet de sensation nous est fourni pendant la nuit alors que Beth, seule avec son deuil, entend des bruits qu’elle ne comprend pas dans la maison. Vous noterez l’importance de la nuit pour renforcer les ombres comme métaphores de la hantise de Beth, et comment ses perceptions, donc son intériorité, acquiert pour nous une matérialité afin de nous les rendre sensibles.
Le but du moment est d’influencer la perception de l’espace par les personnages et partant, par le lecteur/spectateur. Le contexte, c’est-à-dire les circonstances dans lesquelles se produit une scène, se construit en un espace et une temporalité. Un événement a toujours lieu dans un contexte. Admettons que ce que nous projetons au monde dans une espèce de façade à l’intention d’autrui se télescope sans cesse avec notre véritable nature. Alors le contexte pourrait être celui de conventions sociales juxtaposées aux espaces privés dans lesquels notre nature se révèle totalement.
Je prends un exemple : Le Conformiste (1971) de Bertolucci. Ce sera la scène du bal chez le ministre fasciste. Le contexte est donc celui de l’allégeance au régime. Le héros, Marcello, est en prise avec une volonté de se conformer et du même coup, il réalise son manque de conviction personnelle. Le contexte particulier de cette scène est la prise de conscience du mensonge de l’illusion. Dans cet espace à la fois public et privé dans les alcôves loin des regards car dans la pénombre se révèlent d’autres désirs.
Transitions et ellipses
L’intériorité des personnages, qui nous est inaccessible, se manifeste néanmoins par le passage du temps. Dans Call Me by Your Name (2017) de Luca Guadagnino, c’est le temps de l’été 1983 qui imprègne l’espace. Vous le savez, les relations sont au cœur d’un récit ; alors, celle de Elio et de Oliver bat au rythme de cet été particulier. La fin de l’été et de leur relation est symboliquement teintée de lumières, couleurs et ombres. L’espace aussi pulse au fil du temps.