LIEU & PERSONNAGES

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Il est presque évident que le lieu caractérise déjà le personnage. Ne serait-ce que parce qu’il l’imbibe de son atmosphère : sa personnalité, ses comportements, ses motivations, ses aspirations et ses préjugés et autres croyances, tout se définit à partir du lieu qui leur sert, en l’espèce, d’origine. Les valeurs que l’on tire d’une enfance en milieu rural sont différentes de celles d’un enfant de la ville. Les expériences ne sont pas les mêmes : je connais des enfants qui n’ont jamais vu de poules et d’autres quasiment au bord de la panique s’ils n’étaient accompagnés dans les transports en commun des grandes zones urbaines.

Des personnages seront fortement attachés à la mémoire et aux traditions et d’autres y seront indifférents dans les grandes largeurs. Tout dépend du contexte qui doit appuyer ce que vous tentez de dire avec votre personnage. Et en effet, un personnage se pense non seulement selon ce que le contexte dans lequel il vit lui offre et aussi selon ce qu’il lui refuse.

Ce que j’éviterais de faire, si j’étais un auteur, est d’avoir un recours trop conforme aux stéréotypes. Bien sûr, lorsqu’on a besoin que le lecteur/spectateur reconnaisse immédiatement un personnage, et quand je parle de reconnaissance, c’est de savoir ce qu’il est : un rustre, un intellectuel, un chien battu… Le souci est qu’il ne faut pas s’en contenter. Prenez un stéréotype, mais, s’il vous plaît, creusez-le au-delà des apparences. Nos sens sont suffisamment trompeurs pour que nous surprenions la lectrice et le lecteur.
Alors, défiez les attentes. Votre personnage est un astronome très sérieux qui vient de découvrir qu’une comète a un rendez-vous avec la terre ? Opposez-lui l’incrédulité : des médias, des politiques, des réseaux sociaux… Cela crée une intensité plus forte que si un groupe de savants débattent du meilleur moyen de dévier la comète.

Le contexte intervient dans l’arc dramatique d’un personnage. Un lieu poussera un individu dans des retranchements qu’il ne soupçonnait pas lui-même. Le désert, par exemple, est symboliquement un lieu de solitude et de mise à l’épreuve. Demandez au Christ ! C’est bien dans le désert qu’il fut mis spirituellement à l’épreuve avant le début de son ministère public.

La problématique des thèmes

Un thème est possible parce que, nous autres, êtres humains, avons le pouvoir d’abstraction. Nous voyons au-delà des événements pour en saisir les concepts qui ont été leurs conditions et ce qu’ils impliquent d’une manière générale.

Sinon la métaphore est l’outil par excellence : un océan devient un espace d’inconnu et de peurs et tout aussi un horizon infini de possibilités nouvelles. Les demeures hantées ne sont pas seulement des volontés de terreur, elles sont un passé qui refuse de sombrer dans l’oubli ; j’ai déjà parlé du désert comme espace de renaissance symbolique.

Le contexte donne du sens aux thèmes. Il devient symbole : sans avoir à faire dire un sentiment de déclin personnel ou de pertes de valeur, je peux situer l’action au cœur d’un quartier misérable, dans une époque encore plus misérable. Un pont me servira comme moyen concret de transition entre deux moments de la vie. Donc, quel est le thème et comment le contexte peut-il l’exalter ?

NomadlandLes lieux servent de support à l’action, ils sont cependant bien plus que cela. On ne pose pas un personnage dans un décor parce que ce contexte est joli à voir. Ce lieu nous montre une intériorité, c’est-à-dire comment un personnage le perçoit : il peut être une contrainte pour l’un contre laquelle il lui faut résister et soumission pour l’autre par désir de conformité ou de sécurité (de fausse sécurité). Fern, dans NomadLand (2020) de Chloé Zhao, traverse des paysages qui ne sont pas seulement des cartes postales très réussies, mais aussi l’état intérieur de Fern après sa perte personnelle et son espèce de refus d’obéissance. La beauté des lieux contraste avec les difficultés et les choix difficiles d’un mode de vie non conventionnel.

Le contexte est organique pour l’intrigue : il participe à la formation des nœuds dramatiques qui sont des points de basculement du récit. Je ne pense pas, en effet, que les arcs dramatiques des personnages et de leurs relations soient vraiment affectés par les situations dans lesquelles nous les jetons : une nouvelle épreuve dans la vie d’un personnage suffit parfois comme mise au jour d’une vérité sur lui-même.

Cependant, les lieux sont des articulations du récit. La Première Guerre mondiale dans 1917 (2019) de Sam Mendes n’est pas un contexte historique, du moins n’est pas seulement considérée comme le contexte historique du récit. Les actions qu’elle permet de décrire ou les terres dévastées que les personnages traversent sont autant de nœuds qui articulent la progression thématique du courage et du sacrifice. Repérez les lieux qui porteront vos thèmes.

Néanmoins, n’importe quel lieu ne peut traduire ce qui vous préoccupe. Méfions-nous de nos sens, ils peuvent tromper notre imagination. Ainsi, les dilemmes d’une société bourgeoise ne sauraient être crédibles dans une communauté rurale aux prises avec des enjeux totalement différents.

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