Le Projet Blair Witch (1999) et Häxan (1922) de Benjamin Christensen partagent de nombreux points communs. J’ose dire que l’un s’est inspiré de l’autre sauf que l’épaule a remplacé la manivelle. Sinon, mêler la réalité (du moins, un semblant de vraisemblance) à de la fiction, c’est-à-dire une approche quasi-documentaire en éliminant les effets spéciaux pour préserver une atmosphère, sont communs.
Si vous souhaitez aller au-delà des conventions, afin de renouveler le genre pour votre prochain scénario d’horreur, rendez votre récit hybride.
Peur collective
La peur est collective lorsqu’elle se détend comme une traînée de poudre. Son comburant est l’irrationnel. Quand on ne peut pas expliquer quelque chose, c’est un mystère et face à celui-ci, nous sommes pris d’une révérencieuse crainte. Ainsi sommes-nous faits !
Le souci, pour nous, humains malgré nous, c’est que certains ont bien compris comment manipuler les masses en prenant bien soin d’entretenir le mystère. Benjamin Christensen, pédagogue, s’est penché sur ces thèmes de la sorcellerie et de la superstition pour expliquer ces étranges comportements à la fois des temps médiévaux mais qui semblent bien avoir perduré dans nos communautés modernes.
Inutile donc pour votre prochain scénario d’horreur de chercher de nouvelles traces surnaturelles, regardons plutôt du côté de notre psychologie. Dites-vous que la peur est une contagion non pas comme la peste, une métaphore en vogue dans les années 1920 pour désigner la déliquescence des sociétés, plutôt une angoisse probablement liée à notre sentiment de finitude. Nous sommes limités et notre temps nous est compté. Les superstitions exacerbent ce sentiment face à l’inconnu. Il intervient alors cet étrange comportement qu’est le biais de conformité qui consiste à adopter le comportement des autres par sécurité ou besoin d’appartenance.
Et là, c’est une contradiction. En effet, nous réclamons un ordre humain, c’est-à-dire des normes, des règles et des institutions pour juguler la nature et notre nature humaine chaotiques et nous exigeons concomitamment notre liberté. Comment concilier notre besoin d’appartenance et la revendication de notre liberté ?
Ce que montre Christensen est que la suspicion de sorcellerie entraîne une accusation de tous. Et cela fonctionne avec n’importe quelle suspicion ; il est facile de détourner l’attention de soi en pointant l’autre. Mais surtout, ce qui est démontré, est que n’importe quel individu d’hier comme d’aujourd’hui perd tout jugement critique sous l’effet de la masse. Le Village (2004) de M. Night Shyamalan fonctionne sur cette peur collective. Les habitants de ce village vivent continuellement dans la crainte d’une menace extérieure totalement infondée et que les figures d’autorité (dans d’autres cas ce sont les anciens et leurs rituels) maintiennent afin de préserver cet ordre humain qu’ils ont instauré. Charles Laughton dans La Nuit du Chasseur (1955) explique comment un prêcheur particulièrement doué arrive à détourner l’attention vers les innocentes victimes que son Rachel (la mère), Pearl et John (les enfants). Ici aussi, c’est une figure d’autorité (à l’imposture religieuse) qui détourne la suspicion pour préserver ses propres intérêts.
Développons une paranoïa jusqu’à ce qu’elle prenne le dessus sur la logique ; que les personnages se méfient les uns, les autres et nous aurons le fondement d’une intrigue d’horreur qui fonctionnera probablement. Et quand je dis collectif, ce n’est pas nécessairement au niveau d’un village, d’une ville, d’une société. Plus proche est la famille. The Witch (2015) de Robert Eggers se situe certes au dix-septième siècle mais explique comment des événements inexplicables (à l’époque comme de nos jours, cela est tout aussi efficace) font s’installer une méfiance entre les membres d’une même famille jusqu’à l’éclatement tragique de celle-ci.
Superstition
Face à l’inexplicable, la superstition explique bien des choses. Mais pourquoi faut-il donc que nous cherchions à donner du sens à tout ? Lorsqu’une situation paraît illogique comme un être qui se complaît à faire le mal ce qui est en contradiction avec l’ordre humain que nous avons nous-mêmes mis en place, alors pour expliquer ce comportement, nous versons sans retenue dans l’irrationnel.
C’est rassurant parce que cela nous donne l’impression (erronée s’entend) que nous maîtrisons encore les choses.
La croyance en la sorcellerie est une réponse que nous trouvons adéquate face aux aléas climatiques, aux épidémies et même aux comportements que nous jugeons déviants. Et les figures d’autorité tout azimut ont énormément joué sur cette faculté qu’on aimerait ne pas savoir si humaine. Alors la superstition comme moyen de manipulation est un bon ingrédient pour un récit d’horreur quand il s’agit de manipuler la peur d’autrui pour servir ses propres intérêts.
Autre outil utile à l’autrice et à l’auteur de récits d’horreur est la dissonance cognitive. Cette expression explique que nous nous retrouvons avec deux croyances contradictoires. Ainsi, dans une chasse aux sorcières, on éprouve à la fois notre foi en la justice et un sentiment de culpabilité à participer à une telle action. Dans les années 1980 aux États-Unis, des accusations de pratique satanique ont été portées sans preuves tangibles. Ce fut une panique collective qui s’abreuvait de rumeurs. Et l’affaire Outreau ? Entre 2001 et 2004, sur la base de témoignages versés sans discernement à l’instruction, de nombreuses personnes furent injustement incarcérées. Ce sont des exemples pertinents lorsque la justice vire à la persécution d’innocents.
Cela peut donner une idée de dilemme : par conformité, un personnage participe à une chasse à la sorcière. Mais il se rend compte que le monde est dominé par la peur et s’éveille alors en lui une crise qui l’amène à se confronter à sa communauté.
Un symbole
Benjamin Christensen a écrit ses scènes avec une intention didactique. Les sabbats, les invocations démoniaques et les scènes de torture n’ont d’autre visée que de nous informer. Dans une fiction d’horreur, bien-sûr que de telles scènes peuvent être dépeintes. Il faut seulement qu’elles soient justifiés par les thèmes qui vous préoccupent ou bien parce qu’elles révèlent quelque chose sur vos personnages. L’utilisation d’images symboliques peut grandement aider. Par exemple, dans Les Innocents (1961) de Jack Clayton, la lumière qui pénètre à travers les fenêtres ouvertes représente le doute de l’héroïne comme si quelque chose d’inquiétant s’immisçait dans son esprit.
Le symbole nous permet de saisir l’état psychologique du personnage même si nous ne nous le formulons pas. En fait, le symbole tout comme ici le surnaturel s’introduit en nous. Amelia dans Mister Babadook (2014) de Jennifer Kent ne parvient pas à faire son deuil. Le livre est un symbole de l’impossibilité pour Amelia d’échapper à son traumatisme. Le babadook lui-même est un symbole ou une métaphore, si on veut, de la souffrance et des émotions refoulées.
Dans sa volonté de nous informer et pour ne pas nous obliger vers un jugement, Häxan joue constamment entre la croyance et le scepticisme. Il nous présente les deux arguments très honnêtement. Un récit d’horreur nous proposera aussi deux points de vue contradictoires avec leurs propres arguments de façon à nous laisser dans l’incertitude et ouvrir grandement notre imagination. C’est la même ambiguïté entre croyance et scepticisme qu’exploite The Witch.
Ce qui importe est que nous ressentions une perte de repères. Dans Midsommar (2019) de Ari Aster, on ne saisit pas véritablement le sens de ce qu’il se passe entre la réalité des événements vécus et les rituels, entre la banalité et l’horreur. Il existe des mystères que notre esprit est incapable de saisir, du moins pour le moment.
Humains ?
Dans un récit d’horreur, les personnages ne sont des monstres que parce qu’il dévie de l’espèce à laquelle ils appartiennent. Sous ces êtres difformes, qu’ils soient la créature du célèbre docteur ou un innocent bossu, il y a encore de l’humanité mais le regard de l’autre ne la voit pas. Quand vous avez un personnage en tête, demandez-vous ce qui le meut. Quelles seront donc ses motivations et si c’est une entité malfaisante, pourquoi agit-elle ainsi ?
Dans Häxan, les démons et les sorcières sont d’abord des êtres humains dotés de motivations que nous pouvons comprendre. Pumpkinhead : le démon d’halloween (1988) de Stan Winston nous conte l’histoire de Ed qui pour venger la mort de son fils invoque un démon. Mais qui est ce démon sinon la souffrance de Ed ? Certes, le message de ce récit nous dit qu’en chacun de nous réside le mal. Et dans Dark City (1998) de Alex Proyas, les étrangers cherchent à comprendre ce qu’est l’humanité parce leur espèce est en voie d’extinction et dans cette expérience qu’ils mènent, ils espèrent trouver la survie. Décrivons dans notre prochain scénario d’horreur des êtres qui apparaissent aux regards comme monstrueux (ou même à leurs propres yeux) mais faites qu’ils conservent en eux des relents d’humanité à travers leurs motifs et leurs aspirations. La tendance naturelle au mal n’est pas très attirante pour le lecteur/spectateur qui, de toutes manières, refusera de s’y reconnaître.
Le passé fournira un bon mobile pour expliquer des actes cruels. J’ai pour habitude de distinguer le mobile comme conditions d’une action, c’est-à-dire les circonstances qui font qu’on est amené à faire tel choix plutôt que tel autre ; et le motif qui, contrairement au mobile qui se situe dans le passé, est une anticipation du futur. En effet, quand on agit, c’est avec une intention en tête ; on vise quelque chose. Hannibal Lecter (Le Silence des Agneaux (1991) de Jonathan Demme) malgré l’opacité de ses intentions réelles a connu un passé douloureux qui explique son comportement actuel.
Quant à Buffalo Bill, son motif s’explique parce qu’il s’est construit une image de lui-même comme une seconde peau. Concrètement, il réalise ce qu’il projette de lui dans le futur.
Nous sommes nous-mêmes emplis de contradictions. Prenez Jack Torrance par exemple. Il aime sa famille mais il ne contrôle pas ses pulsions de mort. Stephen King dépeint Annie Wilkes (Misery) avec une dualité semblable. La lycanthropie est intéressante sur ce sujet. Lawrence Talbot dans Le Loup-garou (1941) de George Waggner est un homme bon mais la bonté n’empêche pas la culpabilité.
L’autrice et l’auteur de récits d’horreur dépeignent souvent un personnage qui tente d’échapper à ses contradictions. Ils lui font adopter une espèce de mécanisme de défense qui se manifeste par un déni, une addiction et plutôt que de contenir ses impulsions violentes par exemple, cette posture défensive contre lui-même exacerbe sa tendance au mal.
Le souci de l’homme est qu’il est à la fois rationnel et instinctif. Il n’est pas simple mais double. La question à laquelle on devrait tenter de répondre est de savoir si cet alter ego n’est pas en fait notre vraie nature réprimée par notre besoin du vivre ensemble. Il serait donc bien judicieux de ne pas faire de nos personnages des êtres monolithiques.
C’est par ce biais, en montrant un personnage qui ne peut échapper à une spirale destructrice, que le lecteur/spectateur éprouve une empathie même devant des actes horribles. Un personnage qui a recours à la violence parce que son instinct de survie le lui commande rencontre notre sympathie. La rage de vivre n’est-elle pas une réaction humaine bien naturelle ?
Pour d’autres auteurs comme Ari Aster et son Hérédité (2018), l’héritage que l’on reçoit de ses ancêtres force une fatalité à laquelle nous n’échappons pas malgré nos efforts. Ne cherchons donc pas l’horreur ailleurs que dans nos traits humains.
L’arc dramatique
L’être humain n’est pas figé. Nous faisons des expériences et avec ou sans visée particulière, celles-ci sont éclairantes. Elles nous expulsent de nos habitudes. Nous passons par des états affectifs variés au cours de nos expériences. Ceux qui n’apprennent point parce qu’ils refusent d’accepter que leur action les enjoint à changer ne peuvent connaître le salut. Réciproquement, s’il change, un être maléfique connaîtra la rédemption, à moins de croire à la fatalité.
Dan Torrance de Doctor Sleep (2019) de Mike Flanagan est brisé par son sombre passé. Il compense par l’alcoolisme tout comme son père qui tente ainsi de juguler ses pulsions. Mais Dan fait une rencontre et décide alors de cesser de se fuir lui-même.
Nous avons la puissance, le pouvoir de changer. Mais en avons-nous vraiment la force ? Parce qu’on veut conserver ce qui est parce qu’on craint ce qui n’est pas, on n’avance plus. Tenez, William Weir de Event Horizon : le vaisseau de l’au-delà (1997) de Paul W.S. Anderson, refuse d’admettre qu’une dimension terrifiante, voire démoniaque, se soit emparée du vaisseau qu’il a conçu. Mais Weir refuse de changer de perspective et cela le mène progressivement à la folie. Il se laisse happer par ses convictions. Ce n’est pas que celles-ci le dépassent et qu’il n’y peut résister : il n’a pas la volonté de le faire. Il est en stase, si on veut. Il demeure fidèle à ce qu’il croit être son identité.