Vous n’y échapperez pas mais, quel que soit le genre, toute intrigue qui porte bien son nom se fonde sur une situation conflictuelle. Les éléments habituels d’une intrigue, c’est-à-dire les rebondissements, les renversements de situation, les obstacles et le danger qu’ils représentent reposent sur le conflit.
Ou dit autrement, votre idée est d’abord ce conflit sur lequel vous construisez.
Une situation conflictuelle concrète
Que signifie choisir un conflit qui a du sens dans le contexte de votre récit ? Il s’y intègre naturellement. Par exemple Fargo (1996) des frères Coen. Le contexte : une classe moyenne américaine dans le Minnesota hivernal. La situation conflictuelle : Jerry est endetté ; son beau-père est riche. Pour Jerry, il lui semble logique d’engager deux criminels afin de kidnapper sa femme et de réclamer une forte rançon au père.
Les motivations, les valeurs, le vécu de vos personnages, c’est-à-dire qui ils sont en fait, sera jeté dans une situation telle qu’il en émane nécessairement un conflit. Prenons Her (2013) de Spike Jonze. Théodore est introverti, mélancolique et cerise sur le gâteau, il divorce. Son activité professionnelle (très importante pour sa caractérisation) est écrivain public, c’est-à-dire qu’il comprend les émotions mais il a paradoxalement un vrai problème à exprimer ses propres émotions.
Le conflit est d’une délicatesse remarquable : Théodore tombe follement amoureux d’une intelligence artificielle. Pourquoi est-ce un conflit ? Parce qu’il ressent une véritable intimité avec Samantha l’IA mais il y a une impossibilité physique à unir ces deux êtres ou plutôt ces deux existences.
Bien-sûr le conflit s’adapte au genre de votre récit. Dans une comédie romantique, c’est l’histoire d’amour qui pose problème. Alors que dans un thriller, elle est considérée comme une intrigue secondaire. Cette hiérarchie est nécessaire pour rendre le conflit plausible dans l’univers de votre récit.
Une situation conflictuelle est de la matière et il vous en faut pour créer des complications et leur apporter des solutions. Considérons un moment Le Plongeon (1968) de Frank Perry. Comment définir le conflit ? Il est très personnel tout comme celui de Théodore. Ned se crée un fleuve imaginaire qu’il remonte de piscine en piscine. Ned vit dans une illusion. C’est au cours de ce voyage qu’il découvre une réalité qu’il ignorait ou qu’il avait oubliée ou refoulée.
Chaque piscine est une étape nouvelle dans cette redécouverte de soi. La mémoire, l’illusion, la communauté nourrissent l’intrigue de leur matière mais sans la gaver car trop d’informations données d’un coup sont aussitôt régurgitées par le lecteur/spectateur.
Quelque chose dont on est capable de se saisir
Nous aurons la sensation de vivre l’expérience du personnage. En quelque sorte, temporairement, notre conscience s’hasarde hors de soi pour habiter, métaphoriquement, l’âme ou mieux l’existence d’un autre, fictif ou non. Autant les relations sont importantes dans une œuvre de fiction, autant cette intersubjectivité entre le lecteur/spectateur et le personnage l’est aussi.
Cette porosité envers le conflit que vous avez savamment pensé est précisément ce dont vous devez vous assurer. Après tout vous écrivez pour un lecteur et une lectrice. Et ceux-ci ont la capacité de se projeter dans un être autre qu’eux-mêmes. Ils y prennent du plaisir.
Non seulement nous considérons le conflit tout à fait plausible et nous y projetons notre propre expérience. C’est l’œuvre de l’inconscient collectif si on veut. Puis il y a un effet cathartique car s’identifier au conflit, c’est comme si nos propres émotions, nos propres conflits sont mis au jour ce qui nous en libère. Ainsi la nature du conflit ne nous limite pas. Qu’elle soit physique, émotionnelle ou spirituelle, tout le récit sera essentiellement centré sur cette nature.