ÉCRIRE L’HORREUR – LES ANALYSES

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Frankenstein (1910) de J. Searle Dawley

FrankensteinUne considération générale se porte sur les limites éthiques de la science. Jusqu’où le scientifique peut-il aller sans briser l’ordre naturel des choses ? La création d’un être artificiel ou d’autres entités soulève la responsabilité morale de l’humanité toute entière face aux progrès inéluctables. La créature est vue comme un monstre. Toutefois, elle est une victime qui s’est forgée un désir bien compréhensible : prendre possession chez autrui de ce qui le rend vivant.

Une conscience

La créature de Victor Frankenstein n’est pas une existence dénuée de toute conscience. Dawley montre bien que la conscience rudimentaire de la créature est comme aspirée par celle de son créateur mais elle réagit aussi de manière instinctive envers la fiancée de Victor. Le récit par Dawley est une approche assez éloignée du roman de Shelley dans lequel la créature apprend à parler et à raisonner. Shelley la conçoit sous une approche philosophique.

Le corps et l’âme sont-ils irrémédiablement liés ? Ce qu’on peut affirmer est que la conscience de la créature se développe comme celle d’un enfant qui se frotte à son environnement. Dawley nous donne l’impression que la créature poursuit Victor mais en fait, elle est attirée par lui. Sous cet angle, leur relation devient plus passionnante.

Shakespeare aurait pu dire de la créature qu’elle est un nouveau-né tout nu pour exprimer sa vulnérabilité et son innocence, après tout Victor lui a donné la vie, et elle est à la recherche d’une figure parentale. Son combat n’est pas contre les forces de la nature, étant elle-même une force extraordinaire, mais bien contre la société des hommes, ce qui explique la longue procession des invités félicitant Victor et sa fiancée.

A la recherche de soi

Dawley en a fait une créature muette et lorsqu’elle s’agrippe à Victor, ce n’est point pour lui faire violence mais c’est parce qu’elle exige des réponses que son créateur, probablement honteux, ne saurait lui apporter. Dans ce genre de récit, l’être considéré monstrueux ne cherche que reconnaissance et acceptation. Et puisqu’elle est rejetée par les hommes (chez Dawley, elle n’est aperçue que de Victor et de sa fiancée), ce dont elle a besoin, c’est au moins de l’approbation de Victor, ce regard de cet autre seul lui conférant alors une légitimité.

En animant de la chair morte et pourrissante, Victor lui a donné dans le même coup un instinct de survie. Comme un enfant, la créature cherche à se rassurer auprès de ce qu’elle considère comme une figure parentale. Et elle est persuadée qu’il possède les réponses à ses questions. Mais comment Victor pourrait-il lui avouer qu’il n’a agi que par pur égoïsme ? Par une ambition qui est le véritable mal ?

L’altérité

FrankensteinLe qualificatif de monstrueux pour la créature est un préjugé, fruit de l’ignorance. Sartre l’a dit : L’enfer, c’est les autres ; ce n’est pas la différence qui nous fait craindre l’autre, il s’agit plutôt de la manière dont nous nous percevons dans le regard d’autrui. Chez Dawley, la créature s’aperçoit soudain dans un miroir et elle comprend ce que les autres voient d’elle. Elle prend conscience de la déviance de son corps par rapport à la norme : une norme qui n’est autre que le regard social dont le miroir est le symbole.

C’est à ce moment que la créature forme son identité en prenant conscience de sa différence. On se demande pourquoi la créature réagit si négativement à sa propre image. Il y a là le présupposé qu’elle a déjà intériorisé l’anormalité. C’est une incohérence car, en effet, l’expérience limitée du monde par la créature ne lui permet pas de distinguer les critères esthétiques du jugement social. Cette scène qui semble être un deus ex machina est pourtant essentielle car elle établit le conflit majeur du récit : le combat de la créature, le personnage principal, contre elle-même.

Le lecteur/spectateur d’aujourd’hui n’accepterait pas cette simplification : il faut lui montrer le processus de cette intériorisation. Mais, à l’époque, ce qui importe à Dawley est de démontrer le choc de la découverte de soi. Et pourtant, nous sommes toujours aliénés à notre image telle qu’elle nous semble perçue par les autres et cette image nous sépare de nous-mêmes. Ce dégoût de soi-même nous est imposé par la société. Donc la créature n’est pas un monstre en soi : elle est simplement la projection de nos peurs.

Victor Frankenstein

Le désir de Victor est-il critiquable ? Ici, le progrès scientifique n’est pas vraiment questionné. La créature est davantage l’incarnation du refoulé de Victor, qui, une fois libéré dans le monde, ne saurait être maîtrisé sans les garde-fous de notre psyché. La créature est notre ombre maléfique qu’il ne fait pas bon de mettre à la lumière.

La chambre dans laquelle mûrit la créature est comparable à un utérus. Le temps de gestation est d’ailleurs représenté par l’impatience de Victor soulevant plusieurs fois le volet pour surveiller le processus.
Vouloir créer un être à sa propre image, c’est jouer à Dieu. Ce que l’œuvre de Frankenstein nous dit est que l’on ne peut éprouver que de la répulsion envers ce qui émane de nous. En quelque sorte, il manque à ce narcissisme le divin ou du moins l’idée du divin. Victor Frankenstein a transgressé les lois naturelles mais est demeuré aveugle aux conséquences.

Des conséquences qui, en ce début du vingtième siècle, marque les anxiétés de l’époque face aux avancées technologiques dont on sait déjà combien elles peuvent être néfastes.

Quelques conseils

Lorsque vous créez une entité pour votre scénario d’horreur, n’en faites pas un monstre. Comprenez les motivations de chacun de vos personnages et les dilemmes auxquels ils se confrontent. Le monstre est le créateur, non la créature. Misery (1990) de Rob Reiner démontre comment un être humain tout à fait ordinaire devient monstrueux lorsqu’il cède à ses propres désirs et obsessions. Et le Candyman (1992) de Bernard Rose est le fruit d’une société qui crée ses propres monstres.

Inscrivez votre récit dans les angoisses et dans les préoccupations actuelles. Dawley parle des craintes face aux avancées scientifiques de son époque. Mais, tout comme les individus, les choses changent. Nos peurs se sont déplacées. Alors, tentez de comprendre l’esprit du temps et nos peurs collectives. Host (2020) de Rob Savage revient sur l’isolement social et le recours à la réalité virtuelle (la présence d’autrui par écrans interposés) pour démontrer les dangers des technologies actuelles. La Black Box (2020) de Emmanuel Osei-Kuffour se penche sur les inquiétudes liés aux neurosciences et à l’intelligence artificielle. Alors que le Frankenstein de Dawley insiste sur la séparation de la créature et de son créateur, La Black Box met en avant la confusion actuelle entre l’homme et la machine (ou l’entité).
Malignant (2021) de James Wan s’intéresse à la thérapie génique et au clonage et aux conséquences ignorées de telles expérimentations tout comme Victor Frankenstein.

En somme, assumez une mise en garde sans être moralisateur : vous témoignez.

L’horreur vient de l’intérieur. Nos peurs, les désirs que nous refoulons, nos luttes intérieures sont les dimensions de l’horreur. Ils sont la matière même de ce genre. La créature de Frankenstein est à la recherche de son identité et est bouleversée par un puissant désir d’acceptation. Inventez des personnages en proie à des tourments personnels. Ils sont tellement plus passionnants. L’Échine du Diable (2001) de Guillermo del Toro façonne Carlos selon ses peurs et ses traumatismes. Quant au fantôme de Santi, il est la manifestation de secrets volontairement enfouis et d’injustices cachées. Tous les personnages sont en fait tourmentés par leurs démons intérieurs, leurs regrets et leurs désirs inaccessibles.
L’idée de Cure (1997) de Kiyoshi Kurosawa qu’une force psychologique est à l’œuvre derrière les crimes signifie que le mal et ses pulsions violentes est en tout individu apparemment normal. Tom de Hypnose (1999) de David Koepp ne se sent pas à l’aise dans son quartier. Il a de plus grandes aspirations. C’est le point de départ de sa sensibilité à l’hypnose. Celle-ci provoque en lui une libération de ses angoisses.

Les symboles et les métaphores seront aussi de la partie. Par exemple, le miroir dans le Frankenstein de Dawley est un symbole de la prise de conscience de sa différence et l’intériorisation du regard social, probablement le pire de tous.

Et si vous avez une entité dans votre récit, faites en sorte qu’elle ne soit pas un monstre. Sans nécessairement en faire une victime, travaillez néanmoins sur l’idée que la monstruosité est une construction sociale ou bien une projection de nos propres peurs. Cette notion est avant tout subjective.

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