Écrire l’horreur, c’est provoquer chez son lecteur et sa lectrice une catharsis. D’après Aristote qui est à l’origine de la signification telle qu’on la conçoit dorénavant, elle est une purification des émotions. Une traduction plus précise serait purgation. A son époque, la tragédie était le moyen de cette catharsis.
Dans l’horreur, c’est la même chose. Considérer l’horreur comme une tragédie n’est pas déraisonnable et, à mon sens, c’est écrire bien mieux l’horreur. Dans l’horreur, nous éprouvons des émotions que nous fuyons dans la vraie vie : la peur, l’angoisse, des répulsions. Cependant, nous sommes en sécurité bien que notre esprit nous commande de fuir ou de combattre selon notre personnalité.
A propos de vraie vie, au quotidien, nous accumulons ou plutôt nous subissons des tas de tensions, ne serait-ce qu’une rencontre désagréable au coin d’une rue. L’horreur permet non seulement de nous délivrer ou plutôt de nous soulager des pressions accumulées mais aussi, pour ceux d’entre nous qui ont du mal à exprimer ou à gérer leurs émotions, l’horreur est effectivement une vraie délivrance. Certes, elle n’est pas définitive. Néanmoins, un scénario qui nous effraie alors que nous savons bien que ce n’est qu’un conte nous fera peut-être prendre conscience de nos peurs irraisonnées et nous donner à réfléchir, à reprendre le contrôle. L’horreur est thérapeutique en quelque sorte.
Et indirectement, ce sentiment de puissance nous valorise. Pourquoi ? Le dépassement de soi s’entend. Se faire peur, c’est affronter ses peurs et tout comme Nietzsche voyait dans la volonté de puissance une force créatrice, le lecteur/spectateur de l’horreur ne s’y complaît pas, il s’y dépasse. Maîtriser ses émotions, c’est devenir maître de soi-même.
Attention, cependant, car s’exposer au gore peut aider à vaincre ses propres répulsions et conduire vers une désensibilisation qui nous aiderait alors à mieux supporter des moments difficiles dans nos vies. En revanche, une exposition répétée révélerait un souci sur le plan psychologique. C’est l’instinct de préservation qui est convoqué dans le gore, ce ne sont pas nos peurs. L’effet cathartique fonctionne avec les peurs, c’est-à-dire nos émotions.
L’horreur en fiction est une expérience négative. Il nous faut l’admettre. Or, nous avons la capacité, croyez-moi, de transformer les épreuves négatives au cours de notre vie en sources de croissance, dixit Nietzsche. Si nous prenons conscience de nos faiblesses et l’horreur en fiction nous y aide, alors elles deviendront des forces.
Un autre aspect, plus matériel celui-là : les endorphines et la dopamine libérées par le cerveau après la peur procurent une sensation de plaisir et de soulagement. Cette récompense explique peut-être le succès de l’horreur auprès d’un large public. Maintenant, du point de vue psychanalytique, l’horreur met en avant les aspects les plus obscures de notre psyché. Cette ombre exposée au jour nous offrirait une opportunité de se réconcilier avec soi-même.
Soyons néanmoins prudent : alors que l’effet cathartique peut être puissant chez certains, il peut être traumatisant pour d’autres.
Les tabous
En société, il existe des interdits ainsi que dans nos cultures et dans nos religions. Les transgresser est de se mettre au ban de l’un de ces domaines. Alors on adopte des comportements considérés par autrui comme acceptables alors qu’en son sein intérieur, on se fait violence de paraître ce que nous ne sommes pas. En société, on tient un rôle comme le garçon de café de Sartre, mais face à nous-mêmes, à l’abri des regards, on se dégage de ce vernis social, culturel ou religieux.
Alors l’horreur lorsqu’elle se manifeste dans les mots ou sur un écran ose aborder ces sujets souvent de manière symbolique. La violence, la mort, nos peurs deviennent des symboles, des métaphores, des figures surnaturelles. L’humanité n’a pas que du bien en elle et l’horreur pointe souvent vers des contrées très étranges de notre propre psyché.
L’horreur devient ainsi un exutoire pour les tensions et les angoisses au sein de la société. Elle met au jour le refoulé sans que l’ordre social ne soit perturbé en aucune manière. La catharsis s’applique ici au collectif qui reconnaît et négocie ce qui le trouble tant dans sa culture que dans la psyché collective (si l’on admet qu’une communauté possède une psyché au même titre que l’individu).
L’horreur expose l’interdit de manière acceptable ce qui, paradoxalement, aide à maintenir une cohésion sociale. L’horreur s’adresse à ce que nous sommes et non à ce que nous ne sommes pas. Elle est une expérience artistique qui atteint l’essence même de notre être. Elle ne nous confronte pas à l’étranger mais à nos ombres et à nos passions qu’il nous arrive trop souvent de nier.
Il est nécessaire de se tenir informé de l’Histoire des tabous qui évoluent avec les époques. C’est une question de pertinence envers des cordes sensibles actuelles. Ne nous le cachons pas mais l’horreur est un genre largement saturé. S’instruire des dernières tendances en matière de tabous est peut-être le moyen de se démarquer.
Les tabous sont majoritairement matériels, corporels tels que la mort, la décomposition des corps, la sexualité ainsi que les perversions comme l’inceste, la violence, le cannibalisme mais aussi plus abstrait comme la profanation du sacré ou la folie.
Métaphores et allégories sont des instruments de persuasion. L’autrice et l’auteur les utiliseront pour rendre le message plus accessible. Dans L’échine du diable (2001) de Guillermo Del Toro, les enfants de l’orphelinat sont des symboles d’innocence confrontés aux horreurs à la fois humaines et surnaturelles. C’est une image de l’innocence sacrifiée.
Et lorsque l’envie se fait forte de dénoncer les travers de nos sociétés, aborder le tabou par le moyen de l’horreur est une critique plus artistique ; l’horreur devient art.