La séquence d’ouverture
Dans le mystère, l’accroche est la clef du succès, du moins en théorie. Donc, comment faire ?
Débutez In media res, c’est-à-dire au cœur de l’action ou de l’événement ou bien dans une situation inhabituelle. Quelques exemples nous seront utiles : Timecrimes (2007) de Nacho Vigalondo est un thriller un peu particulier mâtiné de voyage dans le temps. Le mélange des genres fonctionne assez bien avec le mystère, alors pourquoi pas ?
Donc la séquence d’ouverture nous montre le héros observant une femme se déshabiller dans le bois tout proche. Il s’en approche et se fait poignarder par un inconnu au visage bandé et couvert de sang. La séquence va droit au but : l’homme observe une femme ; on ne nous explique pas les conditions de cette scène. Nous sommes immédiatement au cœur de l’action. Transsiberien (2008) de Brad Anderson utilise la même technique : un officier de police russe découvre un cadavre gelé dans la neige.
Le In media res n’est pas toujours un remède à la séquence d’ouverture. Une situation un peu bizarre fera tout aussi bien l’affaire. Du même Brad Anderson, The Machinist débute sur un homme squelettique qui essaie de se débarrasser d’un corps. Reconnaissez que comme accroche, il est difficile de nier qu’elle n’est pas efficace. Et pour rester dans le domaine du fantastique ou plutôt de l’imaginaire couplé au mystère, Donnie Darko (2001) de Richard Kelly nous offre aussi une situation des plus étranges : un jeune homme se réveille au milieu d’une route de montagne sans savoir comment il est arrivé là. C’est précisément la question que cette accroche fait naître en nous.
Curiosité & Inquiétude
Pour commencer votre récit mystérieux, choisissez un lieu chargé d’un passé qui transparaît dans ce qu’il contient : un manoir abandonné, une petite ville perdue dans la campagne ou au cœur d’une chaîne de montagnes ou bien encore une mystérieuse institution ou bien si vous ne souhaitez pas créer une ambiance gothique, déplacez-vous vers un endroit ordinaire mais qui contient des éléments qui choquent avec notre familiarité de tels lieux.
The Lighthouse (2019) de Robert Eggers se situe dans un phare isolé de la Nouvelle-Angleterre au dix-neuvième siècle. Passé et mystère se conjoignent pour nous donner une atmosphère qui agit autant sur le comportement des personnages qu’elle préside à l’intrigue. Burning (2018) de Lee Chang-dong prend place dans le grand cadre urbain de Séoul et dans le petit village Paju (tout proche de Séoul d’ailleurs).
Lee Chang-dong et son coscénariste Oh Jung-mi introduisent des éléments inquiétants tels que le chat Choffo que Jong-su vient régulièrement nourrir mais sans jamais l’apercevoir. L’idée est celle de l’inquiétante étrangeté popularisée par Sigmund Freund. Ben et le mystère de ses loisirs, la banalité du quotidien de Haemi et Jong-su qui s’envahit soudain par quelque chose de sinistre, les métaphores, les symboles, la disparition de Haemi : tout cela concoure non seulement à nourrir notre curiosité mais à laquelle Lee Chang-dong ne donne pas de réponses définitives mais aussi notre inquiétude alors que Jong-su s’immerge dans une réalité incertaine. A nous, alors, lecteur/spectateur, d’interpréter le discours.
La séquence d’ouverture devrait perturber quelque peu le lecteur/spectateur. Un objet mystérieux comme le fait Richard Kelly dans The Box (2009), un comportement étrange comme dans Mulholland Drive (2001) de David Lynch qui s’ouvre sur une femme brune qui survit à un accident de voiture sur Mulholland Drive à Los Angeles et s’enfuit en allant se réfugier dans un appartement vide. Tout le mystère s’éploie à partir de ce moment là.
Le très mystérieux Pique-Nique à Hanging Rock (1975) de Peter Weir propose à sa manière une disparition, c’est-à-dire quelque chose qui manque de manière suspecte. Ici, ce sont trois écolières et une enseignante qui disparaissent. C’est le cœur du mystère. Un manque, c’est un vide et Peter Weir tout comme Lee Chang-dong laisse délibérément des questions sans réponse. Un mystère n’est pas voué à être élucidé pour être un bon mystère. Inversement, il est possible de remplir l’espace avec quelque chose qui ne devrait pas y être. Par exemple, la parfaite copie de vous-mêmes en deux endroits différents en même temps.
Le thriller se marie avec moult genres. La Variété Andromède (1970) de Robert Wise est ainsi un thriller d’anticipation qui présente un intérêt pour l’écriture de mystère et, en particulier, dans sa séquence d’ouverture qui constitue une accroche immédiate du lecteur/spectateur lorsqu’il découvre que dans une petite ville américaine tout à fait ordinaire, tous les habitants sont morts.
La technique consiste à créer un contraste en juxtaposant (la juxtaposition est une figure de rhétorique) l’extraordinaire dans le familier.
Le contraste est aussi possible par une espèce d’ironie : le paradoxe. Pour illustrer ce concept, posons que les effets attendus sont contraires à ce qui est prévu. En conséquence, vous obtenez de l’imprévu ou une contradiction qui, par essence, sont capables de tension dramatique. Peur Primale (1996) de Gregory Hoblit est en effet un bon exemple de paradoxe : un jeune homme timide, qui bégaie, qui a souvent des absences est accusé d’un terrible acte de violence. Le paradoxe réside dans l’innocence et la cruauté de l’acte.
L’intérêt d’une telle séquence est que le lecteur ou la lectrice cherche aussitôt à comprendre la situation car c’est ainsi que nous sommes faits.
Une question dès la séquence d’ouverture
Attraper son lecteur ou sa lectrice dès les premières minutes est essentiel dans la séquence d’ouverture d’un mystère. On y arrive en le déstabilisant. C’est ce que parvient à faire Borgman (2013) de Alex van Warmerdam. Borgman échappe à une chasse à l’homme. Ce qui nous déstabilise ? La présence d’un prêtre et la violence de ce qu’il se passe, des êtres humains qui vivent sous terre, cette chasse, comment est-elle possible ? La séquence d’ouverture ne donne pas de réponses mais les questions qu’elle soulève en nous sont suffisantes pour que nous ressentions un malaise dès les premières minutes. Ce que la séquence d’ouverture tente de faire est de créer en nous un inconfort que notre esprit cherche aussitôt à dissiper. Donc, nous sommes accrochés.
Ne donnons pas trop d’informations au lecteur/spectateur. L’ouverture crée une situation mais elle n’a nul besoin d’en justifier le contexte. Rendre confus votre lecteur/spectateur ? Mais c’est comme cela qu’on écrit le mystère. The One I Love (2014) de Charlie McDowell s’ouvre sur une séance de thérapie d’un couple en crise. Le thérapeute leur suggère une retraite dans un lieu isolé comme remède. Des événements étranges s’y produisent et nous sommes perplexes. Mais sans cette perplexité qui peut paraître rebutante à écrire, nous n’aurions pu être amenés à réfléchir par nous-mêmes sur les questions philosophiques du récit : l’amour, l’identité, le couple.
Un personnage suscitera en nous la même perplexité si nous faisons sa connaissance alors qu’il est dans un état psychologique inhabituel mais dont nous ne comprenons pas la cause, du moins pas encore. Lantana (2001) de Ray Lawrence est très énigmatique dans son ouverture : une femme bouleversée et désorientée erre dans un champ de lantanas. De la même façon, Emprise (2001) de Bill Paxton nous introduit à un homme agité et nerveux qui se présente au FBI.
Des émotions comme celles-ci nous font nous demander Mais Pourquoi ? Et si une attitude ou une posture ne sied pas à l’ouverture, alors faites en sorte que ce soit les dialogues qui soient énigmatiques. Dès l’ouverture, on peut entendre des non-dits du moins les deviner.