ÉCRIRE LE MYSTÈRE – 18

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Des motifs crédibles

Motifs et motivations sont semblables. Faisons seulement une légère différence : le motif est plutôt le pourquoi superficiel d’une action ou bien d’un crime dans la littérature policière ; par vengeance, par exemple.

Les motivations, quant à elles, seraient davantage les conditions de l’action (ou du crime) : les a priori psychologiques, émotionnels, contextuels qui font qu’on agisse. Il est dans notre nature humaine d’être attiré par des choses qui nous ressemblent, que nous pouvons comprendre. Quand un personnage possède des motivations que nous pouvons comprendre, alors quels que soient les motifs qui sont propres au contexte du récit, nous éprouvons de l’empathie. Qu’est-ce que l’empathie ? Peut-être bien de se reconnaître en un personnage.

Notre esprit a besoin de cohérence. Dans les temps éloignés, les mythes de créations ou de l’origine des choses donnaient déjà une cohérence à l’inconnu. Maintenant, et singulièrement dans l’écriture de mystères, appliquer une logique aux actions des personnages même si celles-ci sont totalement irrationnelles, est nécessaire pour que nous croyons en lui. Quelle est cette logique vis-à-vis d’un personnage ? L’autrice et l’auteur ont pris soin de maintenir en lui des schémas de pensée récurrents. Prenez Sherlock Holmes dans la série Sherlock (2010 à 2017), l’observation obsessionnelle est elle-même un mode de pensée qui priorise l’information sensorielle. C’est aussi un exemple de biais attentionnel où notre esprit est conditionné à remarquer davantage certains détails plutôt que d’autres, non pas qu’il les ignore, plutôt qu’il hiérarchise.

True DetectiveLa logique se trouve aussi dans des réactions émotionnelles en harmonie avec le vécu du personnage. Maintenant, à nous de croire ou non si le passé nous détermine vraiment mais pour le lecteur/spectateur, convaincu ou non de ce déterminisme, les réactions du personnage dans les situations dans lesquelles il est jeté seront justifiées par son vécu.
Des mécanismes de défense propre au personnage apportent aussi une logique à son comportement. Dans la série True Detective (2014), Rust crée une distance entre lui et les horreurs auxquelles il est confronté en s’interrogeant sur la nature de l’existence et de la société. C’est davantage qu’une idiosyncrasie même si cela nous permet de comprendre qui est Rust. De même, après la mort de sa fille, Rust s’est isolé, c’est aussi une distance contre la souffrance de la perte. Quand on ne s’attache à rien ni personne, quelle perte pourrions-nous éprouver ?

Nous avons tous des contradictions, des faiblesses et des forces. Quand on reconnaît cette humanité chez un personnage, cela nous rapproche de lui, nous le rend plus accessible sinon plus vrai. Donc, expliquer pourquoi (les motifs) un personnage agit est nécessaire. Et cela est particulièrement pertinent pour le méchant de l’histoire, le coupable dans l’écriture de mystères. Nous devrions même pouvoir trouver sympathiques les raisons d’agir du coupable. Et c’est assez malin en somme car cela nous fait ressentir, en tant que lecteur/spectateur, une certaine affinité avec des actes normalement répréhensibles.

Dans Un homme d’exception (2001) de Ron Howard, le méchant n’est pas véritablement incarné : il est la schizophrénie de Nash. Ses hallucinations nous sont présentées avec des motifs bien réels (ici, la guerre froide). Nous sommes bien obligés de sympathiser avec Nash et ses prétendues missions jusqu’à ce que la vérité éclate.

Une tension dramatique

La tension dans un récit nous rend captifs de celui-ci. Comment ? D’abord, notre esprit souffre lorsqu’il est accaparé par deux pensées contraires : dans un mystère, nous en venons à apprécier un personnage pour ses motifs ou parce que nous le comprenons mais, dans le même coup, nous détestons ce qu’il fait ou ce qu’il est obligé de faire. Voler de la nourriture quand son enfant meurt de faim est illégal et pourtant nous ne pouvons nous laisser de supporter cet acte.

Et malgré l’empathie que nous éprouvons pour un tel acte, il entre en conflit avec notre moralité, du moins ce sens du bien et du mal qu’on nous a inculqué dans nos bonnes sociétés. Vous savez, ne cherchez pas à rendre votre personnage sympathique ou bien à faire en sorte qu’on le désapprouve, donnez-lui ses motifs et ses motivations et laissez votre lecteur/spectateur interpréter et juger et s’embrouiller à la fois de sentiments positifs et négatifs à son égard.
Night CallEt cela le fera questionner ses propres limites morales. Dans Night Call (2014) de Dan Gilroy, Lou est détestable à tous égards. Mais il n’est pas mauvais en soi et bien que ses actions sont moralement condamnables, sa motivation de survivre et de réussir dans une société impitoyable (qui se fonde sur une critique virulente du capitalisme) nous rend admiratifs.

Ce récit nous immerge dans l’univers du fait divers. La compétition y est terrible et nous nous surprenons devant cette évidence à comprendre les choix de Lou mais sans les approuver bien-sûr. Il n’est pas dans l’intention de Dan Gilroy de nous culpabiliser. Les motivations de Lou s’ancrent dans des désirs très reconnaissables : une reconnaissance, lutter pour vivre et une admiration pour ce qui reluit dans un monde consumériste.

Des désirs partagés créent forcément une proximité. Et lorsque celle-ci s’accompagne de situations moralement ambiguës, vous gagnez votre lecteur/spectateur.

Une expérience intellectuelle

Dans la construction de votre intrigue, semez ici et là des indices qui semblent soit incongrus soit imperceptibles mais qui prendront sens plus tard dans le récit. Ainsi, vous nous incitez à formuler des hypothèses et nous tentons de résoudre par nous-mêmes le mystère.

Nous déduirons aussi les motivations et la psychologie des personnages de leurs dialogues, de leurs attitudes et postures diverses selon les circonstances, le travail sur une scène peut aider aussi à cette expérience intellectuelle. C’est précisément ce qu’il se passe dans la première saison de True Detective dans laquelle des indices tels que des dialogues obscurs, des symboles occultes, des ellipses temporelles nous incitent à élaborer nos propres théories.

BrickDans tous les genres, il y a des conventions. Vous jouerez alors avec les attentes de votre lectrice et de votre lecteur afin de maintenir le suspense. Rian Johnson fait exactement cela avec Brick (2005). Ce récit transpose les codes du film noir dans un lycée moderne. La technique narrative consiste à mêler les situations typiques du récit noir dans le contexte de l’adolescence.

crashUne convention habituelle du genre du mystère est que le coupable est très souvent le personnage le moins probable. Des suspects nous sont bien évidemment présentés qui offrent toutes les caractéristiques de la culpabilité. Et pour finir, on nous révèle qu’en fait non ! Le coupable est celui qui nous paraissait au-dessus de tout soupçon. Donc, pour tromper cette attente, on fait en sorte que celui ou celle sur lequel ou laquelle repose tous les soupçons soit en fait le véritable coupable. L’autrice et l’auteur s’inspireront de Agatha Christie lorsqu’elle fait de tous des coupables. Même le personnage qui se fait le moins remarquer est tout autant tremper dans le crime. Ou inversement, il n’y a pas de coupable car il n’y a pas de crime : un bête accident en somme.

On crée de l’incertitude et il n’y a rien de mieux pour insuffler de la tension dans un récit de mystère. Sans tension, vous passez à côté de votre lecteur/spectateur qui vous ignorera. Crash (1996) de David Cronenberg a comme à son habitude une approche originale tout en nous troublant par cette relation qu’il crée entre la sexualité et les accidents. C’est le comportement des personnages qui engendre le mystère et l’incertitude car on ne devine pas jusqu’où ils franchiront les limites. C’est cette anticipation et le malaise qui en émane qui maintient le suspense dans ce thriller.

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