ÉCRIRE LA SF – 28

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La création de mondes en science-fiction est fondamentale : elle fournit un cadre cohérent et crédible, elle nous plonge dans un univers différent du nôtre, elle expose des concepts scientifiques, sociaux ou philosophiques par le biais de l’imagination ce qui les rend aussitôt bien plus accessibles.

Des descriptions

Nous sommes naturellement attirés par la nouveauté. Lorsque l’autrice et l’auteur de science-fiction nous précisent les détails de leur monde, cela stimule notre curiosité et ferre notre attention sur ce qu’il se passe à l’écran. Notre esprit possède une capacité formidable : il se remodèle et se réorganise en réponse à nos expériences, quelles qu’elles soient.
Matériellement, une foultitude de nouvelles liaisons se noue dans notre cerveau mais ne nous font pas nécessairement grandir plutôt, en quelque espèce, nous rend meilleurs. Ainsi, lorsque l’autrice et l’auteur de science-fiction nous proposent de nouveaux concepts visuels, cela encourage la création de nouvelles liaisons et partant, de changer de perspectives ou de manières de penser.

La description d’un monde étranger provoque en nous une distance d’avec ce qui nous est familier. Mais elle ne nous arrache pas pour autant à notre monde : plutôt elle nous permet de prendre du recul pour examiner des problèmes ou des concepts familiers sous un angle inédit.

Un récit de science-fiction est sans doute un moyen de s’évader de notre quotidien, ce qui importe pourtant est qu’il suscite en nous un sentiment d’émerveillement. Notons immédiatement que cet émerveillement n’est pas nécessairement agréable. Il peut être fait d’émotions positives mais pas seulement. L’émerveillement suscité par 1984 de George Orwell est intellectuel et teinté d’horreur. Nous sommes fascinés par la sophistication de ce système totalitaire. Nous sommes bouleversés par l’anticipation de Orwell sur des aspects de notre société moderne tels que la surveillance ou la manipulation de l’information.
Nous sommes admiratifs aussi des personnages de Orwell qui veulent garder leur humanité dans un système qui les déshumanise.

Les mondes de la science-fiction nous rappellent que nous ne sommes pas seuls, j’allais dire dans l’univers, mais cela signifie plutôt qu’en tant qu’êtres humains, nous sommes doués d’empathie. Et par analogie, cela renforce notre compréhension et notre acceptation des autres.

La durée

Le souci pour un auteur ou une autrice d’un scénario de science-fiction est qu’ils sont contraints par le temps. En science-fiction, il est souvent préférable de se concentrer sur quelques concepts au risque de surcharger le récit avec une foultitude d’idées autrement. Le tout premier bénéfice est la clarté. Quelques concepts sont plus faciles à expliquer et à intégrer de manière cohérente dans le récit.
De surcroît, cela aide le lecteur/spectateur à s’en saisir car trop de concepts nouveaux auront tendance à le submerger. Et il n’apprécie pas et se lasse. Ainsi, l’autrice et l’auteur peuvent consacrer plus de temps aux implications sur les personnages et l’intrigue.

SolarisSolaris (1972) de Andrei Tarkovsky se concentre sur un concept principal et cela suffit pour nous offrir une profondeur narrative et thématique remarquable.

Le récit porte essentiellement sur l’idée d’une planète (Solaris) capable de matérialiser les souvenirs et les désirs des humains qui l’étudient. Cette limitation conceptuelle permet à Tarkovsky d’étudier les implications psychologiques, philosophiques et émotionnelles de cette idée.

La clarté du concept n’empêche pas le récit d’être passionnant. Au contraire, elle permet au réalisateur de consacrer plus de temps à l’exploration des réactions des personnages face à ce phénomène étrange, en particulier le héros Kris Kelvin.

Malgré sa réputation de film difficile, Solaris illustre parfaitement comment la réflexion sur un nombre limité de concepts peut mener à une œuvre de science-fiction riche et engageante, tout en maintenant une clarté narrative qui permet au lecteur/spectateur de se saisir à mains pleines des questions soulevées par le récit.

Silent RunningLa science-fiction extrapole le présent dans le futur. Doit-on simplifier par manque de temps ? Que nenni ! Quelques concepts bien travaillés nous permettent en tant qu’auteur, autrice, lectrice et lecteur d’entrevoir l’évolution possible de la société, de la technologie et de l’environnement.
Silent Running (1972) de Douglas Trumbull se préoccupe de trois concepts : la destruction écologique de la Terre, la préservation de la nature dans des sphères spatiales ainsi que sur les intelligences artificielles et son succédané, la robotique.
Ce récit que l’on qualifie sans prétention de visionnaire parvient à extrapoler les préoccupations environnementales déjà vivaces dans les années 1970 vers un futur sans végétation. Pour répondre à cette négligence, le concept des sphères extraterrestres aussi simples qu’il puisse paraître est alors étudié comme un dernier refuge pour notre fragile nature : lorsque la science s’accompagne de poésie.

Gardez le rythme

Pour cela, il faut distiller les informations progressivement. L’univers de L’armée des 12 singes (1995) de Terry Gilliam ne se montre pas d’un coup. Nous le découvrons simultanément aux expériences du personnage principal, c’est-à-dire au même rythme que lui. En somme, c’est une expérience partagée. Alors que le personnage interagit avec son environnement, les informations nous sont données. Ce qu’il faut fuir, ce sont les infodumps, c’est-à-dire le discours d’une grande quantité d’informations bien trop difficiles à mémoriser pour le lecteur/spectateur.

Au contraire, il faut que nous nous posions en tant que lecteur/spectateur les mêmes questions que le héros ou l’héroïne se pose. Cela maintient notre engagement dans le récit car nous sommes curieux de savoir où nous sommes. Et soudain, les choses s’éclairent. Il est très gratifiant lorsque quelque chose se fait soudain jour en notre esprit.

Ex Machina (2014) de Alex Garland ne présente pas son univers autrement. L’avancement technologique du monde nous est montré par la résidence high-tech de Nathan ; les dialogues entre Caleb, Nathan et Ava dévoilent les implications éthiques et technologiques de ce futur possible ; il n’y a aucune explication forcée (comme une voix off par exemple) qui casserait le rythme pour nous expliquer les singuliers aspects du monde et les véritables enjeux de l’expérience menée sur l’IA sont progressivement révélées ce qui maintient la tension et le suspense.

Duncan JonesJ’ai employé plusieurs fois le verbe montrer parce qu’il faut précisément nous montrer le fonctionnement du monde. Ce sont les actions des personnages qui nous expliquent les choses, non ce qu’ils peuvent nous dire de leur contexte. Appuyons-nous sur Moon (2009) de Duncan Jones. Dès la séquence d’ouverture, nous découvrons Sam qui travaille seul sur une base lunaire. En une seule scène, nous comprenons l’isolement de Sam et la nature de sa mission sans qu’il soit besoin de nous les expliquer. Dès que vous sentez qu’il vous faut expliquer pour que le lecteur/spectateur suive encore votre récit, imaginez, ne formulez pas.

La routine quotidienne de Sam nous fait la démonstration de sa vie sur la base lunaire. Les interactions de Sam avec Gerty démontrent, quant à elle, l’avancement technologique nécessaire à l’exploitation de ce récit et la dégradation progressive de Sam nous expose sans mot dire les effets de l’environnement sur son corps et sa santé mentale.

En somme, l’autrice et l’auteur doivent décider des informations essentielles au récit et qui seront alors démontrées le plus possible de manière visuelle et celles qui resteront implicites et qui seront peut-être invoquées lors d’un dialogue.

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