L’obsession pour les détails scientifiques en science-fiction, parfois appelée hard science-fiction, se caractérise par une attention particulière portée à l’exactitude et à la plausibilité scientifique dans les œuvres de fiction. C’est une approche de la science-fiction qui met l’accent sur la rigueur scientifique et technique dans la construction de l’univers fictif.
L’autrice et l’auteur s’efforcent de respecter les lois connues de la physique, de la chimie, de la biologie et d’autres disciplines scientifiques pour créer des scénarios crédibles, même s’ils sont spéculatifs.
Dans cette approche, on trouve des explications détaillées des technologies ou des phénomènes décrits ; des concepts scientifiques réels ou extrapolés et une cohérence dans cet univers inventé. En effet, votre univers fonctionne selon des règles précises et il serait mal venu de les contredire dans le déroulement de l’intrigue.
La hard science-fiction est aussi l’occasion pour l’autrice et l’auteur de proposer les implications sur la société, l’environnement dont les technologies invoquées dans le récit sont potentiellement porteuses.
L’importance apparente de la précision scientifique
Être précis renforce la crédibilité de l’univers fictif. Lorsque la cohérence des données scientifiques introduites dans le texte est assurée, alors le lecteur/spectateur entre plus facilement dans le récit sans que son attention soit distraite par des questionnements sur la vraisemblance. Dit autrement, la suspension de son incrédulité est maintenue.
Écrire de la science-fiction est inspirant tout à la fois pour l’auteur et l’autrice mais aussi pour le lecteur/spectateur qui prend conscience que de futures innovations amélioreront sa vie ou au contraire sont potentiellement destructrices.
Peut-être serait-il bon ne pas exclusivement privilégier l’exactitude scientifique (la hard SF) mais de mettre aussi en lumière les personnages à travers leur arc dramatique et, ce que la nature de la SF elle-même nous dit, la critique sociale. Car la science a une petite tendance à limiter la créativité et nous empêcher de voir au-delà, vers l’exploration de concepts plus hypothétiques.
Car ce sont peut-être des hypothèses aujourd’hui mais qu’en sera t-il demain ?
Une crédibilité ?
J’ai parlé de suspension de l’incrédulité, j’aurais pu tout aussi bien dire acceptation. Quand la science nous devient plus familière, il est vrai que nous acceptons mieux les éléments spéculatifs. Nous les jugeons plus réalistes dans cet univers fictif qui nous est donné à voir. Et tout autant des enjeux qu’ils mettent en œuvre. Il y a un constat que nous pouvons faire, c’est que les récits qui prennent soin des données scientifiques, encore une fois, même si elles sont hypothétiques, ont tendance à résister à l’épreuve du temps.
Maintenant, considérons un scénario où l’intrigue serait noyée dans les explications avec une longue séquence pour nous expliquer les voyages interdimensionnels que permettraient le moteur quantique. Cette séquence qui occuperait disons les trente premières minutes serait scientifiquement précise et, ne nous méprenons pas, c’est une bonne chose mais le drame n’apparaît qu’au bout de cet interminable discours. Soyez certain que votre lectrice et votre lecteur ne vous accorderont pas ce temps.
Considérons Interstellar (2014) de Christopher Nolan. Indéniablement, la fratrie Nolan a profondément étudié le fondement scientifique de leur œuvre : Kip Thorne est le conseiller scientifique du film ; la représentation du trou noir n’est pas seulement esthétique, elle est basée sur des calculs scientifiques ; les concepts de dilatation du temps et de relativité ne sont pas abordés en dilettante.
Et le drame ? Il est d’abord celui d’une relation entre un père et sa fille. Des thèmes universels comme l’amour, le sacrifice, la survie de l’humanité sont convoqués et nous y répondons favorablement car ils nous concernent aussi. Les personnages ont des motivations claires (la clarté est essentielle quel que soit le genre) et des conflits personnels (là aussi, quel que soit le genre).
Sur la méthode ? Les explications scientifiques sont mêlés aux dialogues et à l’action sans paraître inopportuns, sans rompre l’élan de l’intrigue. Les concepts scientifiques sont d’ailleurs au cœur de celle-ci et c’est par eux aussi que les personnages évoluent.
De trop lourdes descriptions
Si vous surchargez vos didascalies, la lectrice et le lecteur refermeront votre scénario. Trop de détails dans les descriptions provoquent un déséquilibre structurel. En fait, les didascalies ne sont pas seulement le problème. Le vrai problème à résoudre, c’est qu’il vous faut des scènes d’exposition. De telles scènes sont dans tous les genres mais, en science-fiction, si elles prennent une place disproportionnée, vous brisez l’équilibre entre les actes, vous retardez ou diluez vos nœuds dramatiques.
Un scénario a une contrainte de durée. Celles consacrées aux explications scientifiques réduisent les moments réservés aux personnages et à la progression de l’intrigue. Vous perdez en tension, vous compromettez les attentes de votre lecteur/spectateur. Pensez aux personnages, bon sang ! Même fictifs, ils seront authentiques ou ne seront pas. Ils ont des motivations ; ils connaissent des conflits.
La complexité des explications scientifiques a tendance à nous sédater. Les scènes d’exposition, nécessaires parce que nous nous devons de comprendre ce qu’il se passe, brisent l’élan et de trop longues séquences explicatives entre des moments d’action nous rendent moins sensibles et pourtant, l’auteur et l’autrice ont besoin de cette sensibilité de leur lectrice et de leur lecteur.
Pour éviter tout cela, la science s’intégrera de manière organique dans le récit. Il faut qu’elle y soit naturelle : par exemple, un scientifique découvre une énergie nouvelle, il s’ensuit par exemple une crise énergétique mondiale. La science participe de plein droit dans l’intrigue. Faites en sorte que les motivations aient un rapport avec la théorie scientifique. Par exemple, mon héros découvreur d’une énergie pourrait avoir un quelconque dilemme éthique remettant en cause ou en lumière ses valeurs et ses priorités. Et dans le même coup, affecter ses relations.
La rigueur scientifique présuppose des connaissances scientifiques que la plupart d’entre nous ne possède pas. Nous ne ferons pas l’effort de vous suivre si vous ne nous servez pas en quelque sorte votre science sur un plateau d’argent. Usez de visuels, d’analogies, de métaphores afin de nous rendre moins intimidés par votre jargon. En somme, nous, votre lecteur/spectateur, ne sommes qu’un, férus ou non de science, votre récit nous divertira.
Cherchez plutôt à nous instruire de ces principes scientifiques afin que nous puissions pleinement apprécier votre récit. Attirez-nous vers la science-fiction, ne limitez pas vos possibilités narratives en adhérant trop strictement aux concepts scientifiques.
Une créativité embarrassée ?
Acceptons l’idée que les principes et les lois qu’ils soient physiques ou autres contraignent l’autrice et l’auteur dans des limites qui entravent leur liberté d’invention et d’imagination. Par exemple, ils pourraient s’interdire de parler de vitesses plus rapides que la lumière. Dans le fond, c’est dommage. Car que devient le Et si.. ? dans ces conditions. Ne sommes-nous pas capables d’inventer des futurs radicalement différents ?
Un attrait certain de la science-fiction est son sens du merveilleux. Devrions-nous refuser la télépathie ou la télékinésie parce qu’elles ne sont pas suffisamment prouvées par la science actuelle ?
Pour échapper à l’homogénéité des représentations, libérons notre imagination des chaînes d’une conscience scientifique. Par exemple, La Planète sauvage (1973) de René Laloux. Le monde extraterrestre imaginé par Laloux échappe totalement aux lois physiques. Les Draags sont loin des clichés des humanoïdes classiques. La faune et la flore de leur planète présentent des créatures et des plantes extraordinaires alors que cet écosystème est parfaitement cohérent.
Nous avons là une civilisation extraterrestre qui a ses propres coutumes, technologies et philosophies qui sont tout à fait originales par rapport à ce que nous connaissons. Les choix esthétiques de Laloux, très surréalistes, permettent de créer un monde authentique.
Laloux se réfère aussi à des thèmes sérieux comme les systèmes oppressifs, l’écologie et la coexistence d’espèces différentes. Il ne serait pas parvenu à une telle qualité s’il s’était rigoureusement tenu à un cadre scientifique.
En se limitant à ce qui nous est connu, l’autrice et l’auteur ne nous réservent plus de surprise. Puisque l’on sait ce que produit un scanner, le suspense de ce qu’il révélera est anéanti car nous savons déjà à quoi nous attendre.
Le souci avec le familier est qu’il est prévisible. Et le familier d’aujourd’hui ne sera pas celui de demain. Or ce demain, c’est précisément ce qu’on attend d’une autrice ou d’un auteur de science-fiction. Les questions existentielles ou spirituelles, les commentaires sociaux ou politiques, sont souvent au cœur de la science-fiction. Trop de science, cependant, les marginalisent.
Il y a aussi le risque de minorer ses personnages. S’ils ne sont que des vecteurs de l’exposition scientifique, jamais nous ne pourrons nous identifier à eux, à reconnaître en eux nos propres préoccupations.
Dans L’étoffe des héros (1983) de Philip Kaufman, nous avons une précision chirurgicale des débuts du programme spatial mais sans la manière poétique avec laquelle furent traités les motivations personnelles et le courage des premiers astronautes, le récit aurait été trop sec, trop amère. Dans Bienvenue à Gattaca (1997) de Mike Nichols, le déterminisme génétique nous est décrit avec une froideur qui le rend totalement plausible. Ce qui rend ce récit fascinant, pourtant, c’est ce monde futuriste et stylisé qui est un arrière-plan très idéal pour les questions éthiques et philosophiques qu’il soulève sur notre nature humaine. Et l’intelligence artificielle de Ex Machina (2014) de Alex Garland est étudiée comme une intelligence consciente.