L’expérience de lecture
Cette expérience est d’abord une question d’atmosphère. Un style très descriptif, détaillé, vivant suscite souvent un émerveillement devant les technologies futuristes du récit ou bien des mondes aliens que nous visitons. Les descriptions poétiques de Arthur C. Clarke ou celles de Stanley Kubrick de 2001 : L’odyssée de l’espace nous transportent littéralement dans un univers de beauté et de mystères cosmiques.
Un style plus clinique en revanche génère un sentiment de malaise. Face au 1984 de George Orwell, la prose austère et dépouillée du style est particulièrement oppressante car cette société totalitaire décrite par Orwell exigeait un tel traitement.
S’adresser aux émotions
Le rythme du récit fait sens. Par exemple Solaris (1972) de Andrei Tarkovsky se sert d’un rythme lent et contemplatif pour renforcer la tension psychologique. Un rythme rapide l’aurait au contraire empêcher. Ainsi, la durée des scènes et les silences participent de cette atmosphère de malaise et d’étrangeté.
Pour expliquer la désorientation du héros face à ce monde inconnu qui matérialise les souvenirs et les regrets, les auteurs, Tarkovsky et Gorenstein, ont opté pour un rythme lent plus à même de gérer l’incertitude de la situation et le sentiment de plus en plus fort d’aliénation du héros (les autres personnages en sont d’ailleurs un écho).
L’isolement des personnages se symbolise par les longs silences qui créent à leur manière une tension qui nous maintient dans le récit.
Pour créer une proximité émotionnelle avec le lecteur/spectateur, il n’y a rien de tel que le point de vue subjectif. Considérons cette fois Phase IV (1974) de Saul Bass. Toute la magie de ce récit tient dans le fait que les perspectives adoptées sont celles des fourmis et des humains. Une double focalisation donc qui, avouons-le, nous surprend autant qu’elle nous ravit.
Puisque les fourmis sont dotés d’un esprit tout comme celui auquel nous sommes habitués, c’est-à-dire une intelligence, une mémoire, une raison, une imagination, un instinct et une intuition, enfin tout ce que nous connaissons de nous-mêmes, montrer aussi leur point de vue et non seulement celui des scientifiques crée une proximité autant avec les fourmis qu’avec nos trois personnages.
Et il nous faut l’admettre, nous ne pouvons nous empêcher d’éprouver une empathie envers les fourmis, des entités non humaines ou dit autrement, l’étranger n’est pas seulement un ennemi, si nous pouvions seulement le comprendre et c’est bien ce que tentent de faire les personnages de ce récit.
Les concepts complexes
Un écueil compliqué pour les autrices et les auteurs de science-fiction est de conserver le lecteur/spectateur malgré les concepts souvent scientifiques qu’ils mettent en œuvre.
Donc il faut les leur rendre accessibles. Les analogies et les métaphores sont un excellent moyen pour cela. Ridley Scott et Dan O’Bannon ont remarquablement utilisé ces figures dans Alien, le huitième passager (1979). D’abord le Nostromo se présente comme une station spatiale en miniature, une espèce de sous-marin de l’espace ou dit autrement un environnement clos et autonome. Mais cet environnement singulier n’est rien d’autre qu’une analogie pour appuyer sur l’isolement et la gestion des ressources, contraintes obligées dans notre exploration de l’espace.
Le cycle de vie de l’alien est une métaphore du cycle de vie parasitaire que nous connaissons sur Terre. C’est une exagération mais celle-ci est une figure de rhétorique et en fiction, cette amplification nous aide à comprendre par comparaison avec des phénomènes biologiques familiers.
Un autre exemple est Annihilation (2018) de Alex Garland. Annihilation traite de concepts scientifiques liés à la biologie, la mutation et l’altération de la réalité. La zone affectée, appelée le miroitement, est une représentation de l’altération génétique et de la mutation. L’aspect irisé et changeant de ce champ électromagnétique sert de métaphore pour illustrer la nature instable et en constante évolution de la zone.
Les plantes humanoïdes sont elles aussi une métaphore de la combinaison entre différentes formes de vie pour expliquer le concept de mutation génétique. Personnifiez avec des caractéristiques humaines est effectivement le moyen le plus sûr pour que nous comprenions les concepts abstraits que vous seriez amenés à traiter dans votre projet. Ainsi, dans Le Problème à trois corps, Liu Cixin personnifie des particules subatomiques dans une simulation virtuelle pour nous rendre les principes de la physique quantique moins obscurs. Et s’il n’est pas possible d’user de métaphores ou de personnifier les idées, alors des dialogues naturels expliqueront les choses.
Qu’ils soient de différences culturelles, de luttes de pouvoir, d’inégalités socio-économiques ou de technologies avancées ou encore des effets de la gravité sur le corps humain.. les dialogues y compris entre spécialistes seront simplifier dans l’idée de nous éduquer, non de nous embrouiller.
Extrapoler
Extrapoler, c’est davantage d’envisager que d’anticiper. C’est le Et Si.. ? C’est-à-dire la base même du brainstorming. Après avoir créé des situations hypothétiques, l’autrice et l’auteur s’interrogent sur leurs implications. Par exemple Et Si.. nous faisions face à une menace existentielle extraterrestre ? L’humanité pourrait-elle s’unifier ? Pourrions-nous justifier des mesures extrêmes sous le prétexte de la survie ?
Plutôt que de nous imposer des choses toutes faites que nous risquons de ne pas accepter tel quel, proposez-nous plutôt le développement de ces choses. L’approche retenue par la série Black Mirror n’est pas autre. Les technologies impliqués ne sont pas donnés telles quelles, leur genèse est expliquée. Et comme il y a beaucoup à dire, chaque épisode de cette série traite d’une technologie ou d’un développement social particulier.
Nous ne sommes pas invités à juger ; on nous prévient seulement qu’il suffirait d’un rien pour basculer dans l’horreur.