Un dramatis personæ satisfaisant
Dans La Nuée, Virginie, une mère célibataire, élève des sauterelles pour en faire de la farine protéinée. Elle lutte pour maintenir sa ferme en difficulté financière tout en s’occupant de ses deux enfants, Laura et Gaston. Peu à peu, elle découvre que ses sauterelles développent un goût pour le sang.
Les identités
Virginie
Virginie veut rentabiliser sa ferme pour offrir un avenir meilleur à Laura et Gaston. Son acharnement face aux difficultés financières lui fait prendre des risques croissants. Elle sacrifie tout, même sa stabilité émotionnelle, pour sauver son entreprise. Sa passion pour les sauterelles se transforme en une obsession ce qui lui permet d’échapper à ses problèmes personnels et financiers. Convaincue que ces insectes sont sa planche de salut, elle ignore les signes alarmants de la menace qui se profile.
Elle a peur de l’échec, de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de ses enfants et de les perdre. Cette peur se fait de plus en plus sentir à mesure que la pression financière s’intensifie. La peur de l’échec la hante, la rendant insomniaque et irritable. Elle craint que ses efforts ne soient pas suffisants, que ses enfants la voient comme une mère incapable. Sa peur la rend parfois paranoïaque ; elle se méfie des intentions des autres et s’isole davantage en conséquence. Elle redoute aussi que son projet avec les sauterelles tourne mal, une inquiétude fondée quant à la sécurité de sa famille.
Son rêve, c’était son moteur. Virginie voulait construire une entreprise solide et prospère. Sa motivation profonde ? Offrir un avenir radieux à ses enfants Laura et Gaston, loin des soucis financiers. Cette ambition devenait une véritable obsession, la forçant à donner le meilleur d’elle-même pour accroître sa productivité.
Constamment en quête d’idées innovantes, elle était prête à relever tous les défis qui se dressaient devant elle. Son leitmotiv : prouver sa valeur, gravir les échelons par ses propres moyens. Chaque jour, cette soif de réussite l’animait, lui insufflait la ténacité nécessaire pour franchir les obstacles un à un. Un rêve, une force intérieure qui la faisait avancer contre l’adversité.
Son ennéagramme
[Avertissement : L’ennéagramme ici a pour but de situer un peu mieux les personnages. Nous ne souhaitons pas tenir compte des controverses autour de ce concept.]
Virginie semble correspondre au type 3 de l’ennéagramme : Le Performant.
Les Caractéristiques du Type 3 :
- Motivation : Être efficace, réussir et être admiré pour ses réalisations.
- Peur : Être inutile, sans valeur ou sans succès.
- Objectif (ou désir) : Se sentir digne en réalisant des choses et en étant reconnu pour ses succès.
L’objectif ultime de Virginie réside dans son désir passionné d’offrir un avenir meilleur à ses enfants. Cette quête dépasse sa simple volonté de rentabiliser son exploitation agricole. Au tréfonds de son être, une motivation viscérale l’anime : prouver sa valeur, ériger un empire dont Laura et Gaston seraient fiers. Toutefois, cette poursuite effrénée du succès a un coût (classique).
La pression d’être une battante infatigable, de constamment repousser ses limites, sape son équilibre émotionnel. Chaque revers nourrit ses angoisses, cette crainte tenace de l’échec la ronge. En réaction, Virginie ne cesse d’innover, d’optimiser sa productivité. Chaque idée, chaque nouveau procédé devient une renaissance dont son besoin impérieux de reconnaissance se repaît. Cependant, plus elle s’engage sur ce chemin, plus l’isolement se fait sentir. Coupée du monde extérieur, obsédée par sa cause, elle sombre lentement dans une paranoïa étouffante.
Le spectre de la déchéance plane, menace de tout faire s’écrouler si elle n’atteint pas ses ambitions démesurées. Mais comment le pourrait-elle ? Prisonnière d’un cercle vicieux, Virginie sacrifie tout sur l’autel d’un succès impossible, jusqu’à sa propre sérénité intérieure. [Ici aussi, j’y vais de mon interprétation : Just Philippot pourrait de plein droit objecter.]
Laura
Sa motivation profonde est ancrée dans un sens aigu des responsabilités et un désir d’indépendance, un trait qui la pousse à protéger son frère Gaston et à aider sa mère, malgré les incompréhensions qui se dressent parfois entre elles. Laura, avec son cœur adolescent et ses aspirations naissantes, souhaite échapper à l’isolement de la ferme pour se lier avec des jeunes de son âge.
Laura incarne un arc dramatique positif où, à travers une série d’événements, elle s’améliore elle-même et améliore sa situation. Son parcours est caractérisé par une transformation intérieure significative, passant d’une adolescente incertaine et isolée à une jeune femme déterminée et connectée au monde extérieur. C’est une démarche inverse de celle de Virginie.
Le désir de Laura est double. A l’extérieur, elle aspire à se lier avec d’autres jeunes de son âge, cherchant une communauté et des amitiés qui la sortent de l’isolement de la ferme. A l’intérieur, son besoin est plus profond : elle cherche une place dans un monde qu’elle ne comprend pas encore pleinement, une quête d’identité et de reconnaissance.
Les obstacles sont donc à la fois internes et externes. Laura lutte avec ses propres doutes et la peur de ne jamais trouver sa place et se confronte aux responsabilités familiales et à l’isolement de la ferme. Son objectif de se lier aux garçons et aux filles de son âge en est donc entraver. Le conflit principal de Laura se manifeste alors dans cette lutte pour équilibrer ses devoirs envers sa famille et ses aspirations personnelles. Somme toute, rien de plus normal pour une adolescente.
À mesure que Laura s’engage dans des actions pour surmonter ces obstacles, elle évolue. Peut-être commence-t-elle par de petites rebellions, des escapades pour rencontrer d’autres jeunes ou des confrontations avec sa mère concernant ses choix. Ces actions, bien que mineures au début, la conduisent progressivement à une plus grande prise de conscience de ses propres besoins et à une affirmation de son identité.
Le dénouement de l’arc dramatique de Laura se caractérise par une synthèse de ses désirs et de ses besoins. Elle parvient à créer des liens avec d’autres jeunes, c’est un passage réussi dans le monde adulte dans lequel la relation à l’autre est la seule chose qui puisse donner un sens à l’existence (pour paraphraser Bruno Bettelheim).
Parallèlement, elle trouve un équilibre entre ses responsabilités familiales et son besoin d’indépendance, s’accommodant entre ces deux mondes avec une nouvelle maturité et une meilleure compréhension d’elle-même.
Ses peurs et ses espoirs
Laura lutte contre ses propres angoisses et frustrations. L’obsession de sa mère pour les sauterelles devient un symbole de tout ce qui la retient prisonnière. Chaque jour passé à la ferme renforce en elle le sentiment de solitude et d’inutilité. Elle voit les sacrifices de sa mère comme une spirale qui risque de les mener à la ruine, et cela intensifie sa peur de tout perdre. Celle-ci se traduit par des éclats de colère et de frustration, souvent dirigés contre sa mère.
Laura se trouve au cœur d’une lutte trop compliquée pour elle entre ses devoirs envers sa famille et ses désirs personnels. Chaque interaction, chaque décision qu’elle prend est teintée de cette dualité. Ses responsabilités à la ferme sont lourdes, bien sûr, surtout envers Gaston, et pourtant, son cœur la pousse à chercher plus que ce que la vie rurale peut lui offrir. Elle veut se sentir vivante, faire partie d’un groupe, expérimenter les joies et les peines de l’adolescence avec des gens de son âge.
Son ennéagramme
Laura semble être décrite sous plusieurs aspects de l’ennéagramme, mais ses caractéristiques correspondent principalement à l’ennéatype 6, le Loyaliste, et partiellement à l’ennéatype 2, l’Aidant.
Ennéatype 6 – Le Loyaliste : Laura est motivée par un sens aigu des responsabilités, notamment envers son frère Gaston mais aussi sa mère. Elle cherche à protéger sa famille, ce qui est habituel chez les Loyalistes qui se sentent souvent responsables de la sécurité et du bien-être des autres tout en recherchant sécurité et soutien pour eux-mêmes dans des groupes ou auprès des relations proches. C’est l’aspect paradoxal de beaucoup d’êtres humains.
Bien sûr, Laura lutte avec ses propres doutes et ses peurs, notamment la peur de ne pas trouver sa place (ou dit autrement d’échouer son entrée dans la vie adulte où il s’agit d’abord de trouver l’autre pour se trouver soi-même) et, dans ce même mouvement, elle craint de perdre tout ce qui lui est cher. Les Loyalistes sont souvent caractérisés par une anxiété ou une angoisse et par une tendance à anticiper l’avenir aux vents mauvais plutôt que comme une opportunité de grandir. Laura désire en effet se lier à d’autres jeunes de son âge et à s’insérer dans une communauté qui lui donne ce sentiment d’appartenance.
Ennéatype 2 – L’Aidant (partiel) : Laura montre des traits de l’Aidant dans son désir de protéger son frère et d’aider sa mère, malgré les tensions entre elles. Les Aidants sont motivés par un besoin d’être utiles et de soutenir autrui. Mais Laura n’est pas totalement Aidant en cela que l’estime et la réalisation de soi ne décrivent pas sa personnalité. Laura cherche une place dans le monde et une reconnaissance de ses efforts et de son identité, ce qui peut correspondre au besoin des Aidants de se sentir aimés (qui se traduit souvent par une peur de ne pas être aimé) et appréciés pour ses contributions (qui se manifeste alors par la crainte d’être considéré par autrui comme sans valeur, sans initiative, sans ambition ce qui est différent d’être rejeté).
Son arc dramatique
Laura commence son parcours comme une adolescente marquée par des incertitudes et isolée, coincée entre les attentes familiales et ses propres aspirations. Dans cette situation initiale, Laura se partage entre ses devoirs à la ferme et son désir d’indépendance et de lien social. Néanmoins, son évolution, qui correspond à un arc dramatique positif, la conduit à surmonter ses peurs et à trouver un équilibre entre ces deux mondes.
Les peurs de Laura ne cessent d’influencer ses actions et ses décisions. Elle est effrayée par l’idée de ne jamais entrer dans la vie adulte et, simultanément, par la possible ruine de sa famille en raison de l’obsession de sa mère pour les sauterelles. Ces peurs se traduisent par des éclats de colère et de frustration, souvent dirigés contre sa mère. Cependant, au fil de son parcours, Laura apprend à gérer ces émotions de manière plus constructive. Ce sont ces manifestations émotionnelles qui sont les obstacles qu’elle doit surmonter. Car, en effet, en prenant conscience de ses peurs et en les affrontant directement, Laura commence à les démystifier et à les neutraliser. Elle gagne progressivement confiance en elle, c’est-à-dire en maturité.
Laura évolue en apprenant à équilibrer ses responsabilités familiales avec ses désirs personnels. Cette recherche d’équilibre est partie prenante de son arc dramatique positif. Au début, Laura exprime sa rébellion par de petites actions, comme ses sorties nocturnes mais innocentes pour rencontrer d’autres jeunes ou des confrontations avec sa mère. Ces actions, bien que mineures, sont les premières étapes de son émancipation.
Au fur et à mesure que Laura prend des décisions plus audacieuses et assume ses choix, elle gagne en confiance et en maturité. Elle commence à se voir non seulement comme une fille et une sœur, mais aussi comme une personne autonome avec ses propres aspirations.
Gaston
Gaston, le plus jeune de la famille, incarne le simple désir d’une enfance normale. Ses aspirations ne sont pas entachées par des ambitions grandioses ou des quêtes épiques comme on pourrait le penser (mais superficiellement) de Virginie et de Laura. Il veut jouer, explorer, et vivre une vie où l’innocence est comme une échappatoire aux contraintes et aux angoisses qui se sont emparées de son entourage.
Donc, Gaston, le benjamin de la famille, est animé par un besoin fondamental d’échapper à la lourdeur des responsabilités familiales qu’il sent chez les autres. Ses motivations sont d’une simplicité touchante : il veut courir dans les champs, grimper aux arbres et sentir le vent dans ses cheveux sans être hanté par les inquiétudes qui accablent sa sœur et sa mère.
À travers ses yeux d’enfant, la normalité apparaît comme un refuge, un endroit où il peut enfin être lui-même, sans être jugé et insensible aux attentes démesurées des autres. En cherchant cette simplicité, Gaston aspire à une forme de liberté, celle que procurent les jeux innocents et les découvertes quotidiennes, loin des préoccupations des adultes. La présence de Gaston et sa justification est de contraster avec Laura pour appuyer le thème du lien fraternel mais Gaston existe d’abord pour le personnage de Laura.
La transformation inquiétante de sa mère, qui devient de plus en plus distante et méconnaissable, plonge Gaston dans un état de confusion et de terreur. La figure maternelle, censée être une source de réconfort et de stabilité, devient une source d’inquiétude et de danger. Cette métamorphose complétée de la menace des sauterelles, crée un environnement où l’insécurité domine.
Chaque jour, Gaston traverse un monde où ses repères habituels disparaissent ce qui amplifie son sentiment de désorientation et de peur. Il est constamment habité par une anxiété, sorte de nuage sombre qui plane au-dessus de lui. Cette angoisse colore sa perception du monde et transforme même les aspects les plus innocents de la vie en sources de danger. Son imagination d’enfant, fertile et sans limite, est envahie par des visions de menaces invisibles et qu’il ne comprend pas.
Ses nuits sont alors peuplées de cauchemars où ses angoisses d’enfant prennent forme. Ces rêves terrifiants sont le reflet direct de ses peurs diurnes, rendant le sommeil un moment de terreur plutôt que de repos (c’est davantage mon interprétation qui prend le pas ici comme si je cherchais à recréer le personnage à des fins d’étude et d’enseignement, s’entend).
L’incapacité de Gaston à comprendre pleinement l’origine de ses peurs accentue son sentiment de vulnérabilité. Il perçoit des dangers partout, mais sans pouvoir les nommer ou les rationaliser, ce qui les rend encore plus terribles. La menace des sauterelles, en particulier, devient une sorte de terreur permanente, envahissante et mystérieuse. Chaque mouvement de ces créatures semble signaler une nouvelle catastrophe, et chaque transformation de sa mère est perçue comme un pas de plus vers l’inconnu et l’effrayant.
Cette combinaison d’éléments crée un climat de peur constante, où Gaston se sent petit et impuissant face à des forces qu’il ne peut ni comprendre ni contrôler. Malgré les ombres qui assombrissent son existence, Gaston nourrit cependant l’espoir d’un retour à une vie simple et insouciante. Il rêve d’une maison emplie des rires d’antan où sa mère serait à nouveau présente et aimante, et où les sauterelles ne représenteraient plus une menace.
Gaston s’accroche à cette vision d’un futur meilleur (mais ce film de Just Philippot n’est pas un conte) avec une ténacité touchante, espérant contre toute attente que la joie et la sécurité reviendront un jour dans sa vie. Pour lui, chaque jour est une nouvelle chance de voir ses rêves se réaliser, une nouvelle possibilité de retrouver la paix et la normalité qu’il désire tant.