Engager votre architecte intérieur
Faciliter votre écriture par la planification des scènes
Avant de commencer à écrire, laissez-vous imprégner par votre scène. Imaginez-la avec précision : le cadre, les personnages, leurs interactions. Cette rêverie guidera votre plume, vous maintenant sur le chemin de votre intention narrative.
L’objectif de la scène
Chaque scène dans un récit doit posséder une raison d’être intrinsèque. Qu’il s’agisse de faire avancer l’intrigue, de révéler des aspects fondamentaux des personnages ou de l’univers, ou de créer une atmosphère ou une émotion spécifique, chaque scène doit être soigneusement définie. Sa contribution à l’ensemble de l’histoire doit être significative et intégrée de manière organique, enrichissant le tissu narratif de manière cohérente et profonde.
En définissant clairement l’objectif de votre scène, vous éliminez les digressions inutiles qui pourraient affaiblir l’impact de votre récit. Prenons l’exemple de la montée de tension entre deux personnages : chaque interaction, chaque dialogue doit intensifier cette tension. Rien ne doit être laissé au hasard. Chaque geste, chaque mot doit servir ce but principal, rendant la scène à la fois riche et significative. Considérez cette scène dans Minority Report (2002) où John Anderton est confronté à Danny Witwer.
L’objectif ici est de montrer la suspicion croissante de Witwer envers Anderton. Chaque échange verbal, chaque attitude entre eux renforce cette méfiance. Witwer pose des questions incisives, ses yeux scrutent chaque réaction d’Anderton. Anderton, sentant la pression, répond de manière évasive, ses mouvements trahissent d’ailleurs une nervosité croissante. La tension s’accumule à chaque réplique, chaque geste, et atteint son apogée en une confrontation sensible où le lecteur/spectateur ressent l’intense interaction entre les deux personnages.
Avoir un objectif clairement défini donne une direction à votre scène. Connaissant ce que vous souhaitez accomplir, structurer la scène de manière logique et cohérente devient plus facile. Cette clarté d’intention vous permet aussi de repérer et d’éliminer les éléments superflus qui n’apportent rien à l’objectif principal. En supprimant ces distractions, vous renforcez l’efficacité de votre récit et maintenez l’attention de votre lecteur/spectateur puisque c’est à lui que vous vous adressez.
Les personnages présents dans la scène
Les scènes sont des moments clés où l’on peut déceler les motivations et les personnalités des personnages. Dans Inception, Christopher Nolan nous offre une leçon très intéressante lorsque Dom Cobb initie Ariadne à l’art de l’architecture onirique. Cette séquence, riche en enseignements, révèle bien plus que de simples principes techniques.
Cobb, en mentor expérimenté, partage ses connaissances avec une ferveur mélancolique. Derrière son expertise, je vois une âme tourmentée par des démons intérieurs qu’il s’efforce de dissimuler. Chacune de ses paroles, cependant empreintes de rigueur, trahit les blessures d’un passé douloureux.
Ariadne, en élève avide de savoir, se montre une partenaire idéale. Animée par sa curiosité et son intelligence, elle met Cobb au défi avec des questions d’une grande lucidité. Chaque interrogation nourrit le dialogue, approfondit sa compréhension et fait progresser la leçon.
Cette scène dépasse le simple transfert d’informations. Les motivations profondes des personnages y sont inscrites. Cobb cherche à transmettre son savoir, mais aussi à trouver une forme de rédemption. Ariadne, quant à elle, aspire à maîtriser ces mystères oniriques et à percer les secrets de son mentor.
Les situations conflictuelles
Le conflit constitue l’essence même de toute histoire envoûtante, c’est un fait depuis longtemps établi. Il se décline sous diverses formes, notamment internes et externes. Un personnage peut se débattre avec ses propres émotions ou ses choix, une lutte aussi tumultueuse qu’une chorale de chats enragés. Alternativement, le conflit peut se manifester de manière externe, par exemple lorsqu’un personnage se heurte à un autre ou se trouve confronté à une situation aussi déplaisante qu’une rencontre fortuite avec une vieille connaissance exécrable.
Pour engendrer une scène véritablement passionnante, il faut cerner clairement le conflit et construire la scène autour de celui-ci. Le développement du conflit revêt une importance capitale pour maintenir l’intérêt du lecteur/spectateur. Dépeignez comment les personnages réagissent à cette situation, comment ils la confrontent ou tentent de l’esquiver. Gardez à l’esprit qu’il ne s’agit ni de bien ni de mal dans cette lutte, mais simplement d’un désaccord ou d’un dilemme intrinsèque.
Employez des dialogues incisifs et des actions déterminantes pour illustrer cette lutte. Les conflits habilement construits suscitent une tension réelle et de la passion, rivant l’attention du lecteur/spectateur. Laissez le conflit croître graduellement, atteignant progressivement son apogée jusqu’à ce qu’il explose dans un crescendo dramatique. Cette conclusion n’est cependant pas obligatoire dans chaque scène ; elle peut être réservée pour un moment ultérieur, car une séquence narrative est un assemblage de scènes que l’on peut orchestrer selon les exigences de l’intrigue.
Dans Ad Astra, je vois Roy McBride comme un homme perpétuellement en conflit avec lui-même. Ses émotions et ses choix le déchirent. Il tente de jongler entre les attentes imposantes de son père disparu, Clifford McBride, et son propre désir de trouver sa place dans l’univers. Chaque décision difficile qu’il prend lors de cette quête introspective dévoile peu à peu la complexité de ses sentiments et l’héritage familial qu’il porte comme un fardeau.
Blade Runner 2049 me présente l’agent K, un réplicant perdu dans un maelström émotionnel. K se débat avec des souvenirs implantés et une quête désespérée de sa propre humanité. Ses choix sont une lutte constante entre l’obéissance aveugle aux ordres et la recherche acharnée de la vérité sur son existence. Cette dualité révèle toute la profondeur de ses émotions et l’intensité de sa quête identitaire.
Dans chaque film, les protagonistes, tourmentés par des dilemmes personnels, nous entraînent dans une exploration intime de leur âme.
Parallèlement, Roy et K se retrouvent face à des conflits externes. Quand Roy découvre la vérité sur les actes de son père, la réalité le frappe de plein fouet, une vérité qu’il ignorait totalement. Les interactions tendues avec l’équipage du vaisseau spatial et les dangers des voyages interstellaires exacerbent par ailleurs la tension dramatique. K, lui, tombe sur des indices suggérant la naissance possible d’un enfant réplicant. Ce qu’il découvre bouleverse ses certitudes les plus ancrées. Les échanges tendus avec ses supérieurs, les autres réplicants et l’énigmatique Wallace viennent ajouter une couche supplémentaire de complexité et d’intensité à l’intrigue.
Le contexte
Il serait dommage de considérer les éléments du décor comme de simples toiles de fond. Ils sont partie prenante de la scène et glissent des indices sur l’intrigue ou les personnages. A la manière d’un chef décorateur, l’autrice et l’auteur vérifient chaque lieu avec précision mais évitent néanmoins de le surcharger de choses inutiles. Car chaque élément doit être significatif et ajouter sa propre valeur à la scène. Une pièce encombrée, par exemple, reflète l’état chaotique d’un personnage alors qu’un lieu serein suggère plutôt un contraste surprenant à un conflit intense.
Les couleurs, les sons, les odeurs (qu’on imagine seulement par l’image), tout renforce l’ambiance. Une forêt sombre et humide instille un sentiment de mystère et de danger, tandis qu’une plage ensoleillée évoque la paix ou peut-être même la nostalgie. Chaque décor doit servir l’objectif de la scène et participe ou à l’émotion ou à la tension au bien aux deux si la scène s’y prête.
Le décor peut aussi être symbolique. Un objet particulier, comme une vieille photo, une arme cachée, une paire de gants revêt une signification si telle est la volonté de l’auteur ou de l’autrice. Ces éléments deviennent des pièces du puzzle narratif. Tel un chef décorateur, l’autrice et l’auteur sculptent l’espace ; ils y peignent des objets et des textures. En fait, ils créent des mondes où chaque détail fait entendre sa propre histoire.
En adaptant Dune, Denis Villeneuve a cherché à retranscrire l’essence même de l’œuvre visionnaire de Frank Herbert. Les décors se devaient d’être plus que de simples toiles de fond. Ils incarnent l’âme de cet univers, ses contrastes et ses vérités profondes.
Arrakis, le monde désert, n’est pas qu’un simple amas de dunes hostiles. C’est un lieu de paradoxes, où la plus mortelle des étendues recèle la plus précieuse des richesses : l’épice, trésor convoité par tous. Filmer ces paysages fut certainement un défi, car il fallait saisir cette dualité à l’écran, cette beauté âpre et menaçante à la fois.
Les citadelles Harkonnen devaient refléter la noirceur de l’âme de leurs occupants. Leurs architectures oppressantes, aux courbes audacieuses évoquant des serres bestiales, dégagent une aura de cruauté et de tyrannie.
Un contraste avec les demeures Atréides sur Caladan, baignées de lumière et entourées de forêts verdoyantes, refuges de sagesse et de noblesse.
À chaque plan, Villeneuve a cherché à insuffler une dimension symbolique, une extension visuelle des thèmes chers à l’œuvre originale. Les lieux ne sont pas de simples contenants, mais des espèces de traversée du miroir, révélatrices des vérités intérieures des personnages qui les peuplent.
Ils sont les visages emblématiques d’un monde en proie à des luttes de pouvoir séculaires, où la soif de richesse se heurte aux idéaux les plus purs. Au cœur de sa vision pour Dune se trouve un souci du détail qui dépasse le simple décorum. Chaque élément visuel, de la plus infime nuance de couleur à la texture la plus subtile, est porteur d’une intention précise, symbolique ou non.
Prenez Arrakis par exemple. Les teintes dorées et les mers de sable à perte de vue ne sont pas de simples ornements esthétiques. Elles évoquent la magnificence brute de ce monde hostile, sa splendeur implacable où la beauté côtoie un danger de tous les instants. De toute évidence, Villeneuve a longuement travaillé ces palettes, ces jeux de lumière, pour transmettre cette dualité remarquable.
A contrario, les intérieurs étouffants des vaisseaux de la Guilde Spatiale baignent dans une pénombre mystérieuse. Un choix délibéré pour insuffler une aura de menace, de secrets inavouables. Chaque recoin se devait de distiller un malaise, une impression d’être constamment scruté par des forces insondables.
Dans Dune, rien n’est laissé au hasard, chaque objet porte un symbolisme latent. Prenez le célèbre crysknife, poignard des Fremen. Plus qu’une simple arme, il incarne l’essence même de leur culture, leur lien viscéral avec Shai-Hulud, les vers légendaires. Et les boucliers d’énergie qui protègent les combattants, ces halos futuristes ajoutent une dimension visuelle mais aussi tactile à la tension des duels.