Nash Edgerton et David Michôd ont écrit Spider en 2007. Nous nous livrons dans cet article à une analyse de ce court-métrage.
Voici ce que dit Nash Edgerton lorsqu’on l’interroge sur sa passion du format court :
To make things that you want to see. Don’t try and guess what the audience wants. Trust that if you make something for yourself, there are other people out there who will enjoy it as well.
Faire des choses que vous voulez voir. N’essayez pas de deviner les attentes du public. Soyez sûr que si vous faîtes quelque chose pour vous-mêmes, il y aura d’autres personnes quelque part qui l’apprécieront aussi.
La différence majeure entre un court et long métrage est qu’un scénario de 90 ou 120 pages a un espace qui lui permet de développer à la fois l’intrigue et les personnages mais un court-métrage, quant à lui, se doit d’être économiquement efficace. Chaque élément doit être pertinent et de ce point de vue, Spider y réussit fort bien.
Spider de Nash Edgerton
Le scénario débute avec un carton :
“It’s all fun and games until someone looses an eye. Mum”
Ce n’est que du fun et des jeux jusqu’à ce que quelqu’un perde un œil. Maman
Ce carton à lui seul est un élément dramatique crucial puisqu’il annonce le thème : Si vous n’arrêtez pas de jouer avec les gens, vous recevrez ce que vous aurez mérité.
Ce thème est rappelé par une ligne de dialogue de Jill :
Always, Jack, you go too far. Too far, by one step’.
Comme d’habitude, Jack, tu vas trop loin. Un cran trop loin.
Au cours d’un plan d’autoroute, une voiture se distingue progressivement des autres.
Ce plan n’est pas anodin. Il est destiné à nous indiquer où l’action se déroule. Il ne nous prépare pas seulement à la scène suivante mais, et en particulier dans un court-métrage, nous donne un indice sur l’importance de ce lieu pour l’intrigue.
Nous sommes maintenant à l’arrière de la voiture avec Jack côté passager et Jill qui conduit.
Jill est de toute évidence le personnage qui domine la scène. Non seulement elle conduit, mais d’autorité, elle coupe la radio alors que Jack venait tout juste de l’allumer.
Généralement, un personnage dont l’énergie inonde la scène en prenant le contrôle de ce qu’il s’y passe le désigne naturellement comme l’antagoniste.
A la colère (valeur négative) de Jill, Jack ne peut répondre qu’avec son humour quotidien (valeur positive) mais manifestement lassant.
On ne saura d’ailleurs jamais ce qu’il a fait pour rendre Jill si énervée mais cela est sans importance puisque ce n’est pas directement relié au thème.
Ce qui compte, c’est que Jack est allé un cran trop loin. Le format du court ne permet pas de s’étendre sur le passé des personnages, Edgerton s’attaque donc directement à la situation issue de ce passé sans s’appesantir sur ce dernier.
Comme le scénario nous désigne Jill comme l’antagoniste, notre sympathie va à Jack. Mais peut-être est-ce involontaire de la part des auteurs (Nash Edgerton et David Michôd), tous deux mâles.
Le scénario aurait été écrit par une femme, les rôles auraient probablement été inversés : Jack conduirait et chercherait probablement a minimisé sa faute auprès d’une Jill blessée.
Cette scène fonctionne très bien puisqu’elle installe un conflit. Chaque personnage a ses propres arguments contradictoires. Il y a de la tension et une question dramatique est soulevée : Jack parviendra-t-il à retrouver la clémence de Jill ?
Sous-estimant probablement la colère de Jill, il tente de l’amuser en menaçant de descendre de la voiture en marche ce à quoi elle répond encore une fois par une référence au thème :
You always go too far
Tu vas toujours trop loin
A la station-service, avec l’idée de se faire pardonner, il lui achète des fleurs, lui écrit quelques mots sur une gentille carte et lui achète des chocolats dont nous apprendrons plus tard qu’elle raffole.
Il y a chez Jack un fond pas si mauvais que cela après tout puisqu’il a pour elle des attentions qui marquent entre eux une grande complicité.
Cependant, sur un coup de tête, il achète aussi une araignée (spider) en plastique. C’est en cela que le conflit intérieur de Jack se manifeste. Son côté romantique s’affrontant avec cet aspect diabolique, cette part d’ombre en lui-même qui se manifeste dans des actes qui vont trop loin.
On pourrait ainsi schématiser le conflit personnel et intime de Jack avec d’un côté un ange gardien (qui lui fait avoir des attentions toutes particulières pour Jill) et de l’autre, un démon tentateur qui le pousse sans cesse à foncer tête baissée dans des choses auxquelles Jack devrait accorder plus de réflexions.
On peut noter aussi que cette idée spécifique que les auteurs ont puisée dans leurs propres expériences peut être partagée par le plus grand nombre, chacun d’entre nous ayant eu au cours de sa vie des actes irréfléchis.
De retour dans la voiture, elle rejette les fleurs et la carte. Un nouveau conflit s’installe. Puis Jill finit par succomber devant les chocolats.
A ce moment, il était nécessaire que la tension soit relâchée afin de préparer le premier rebondissement : l’araignée en plastique tombe sur les genoux de Jill.
Un mouvement de panique de pure action s’ensuit. Jack parvient cependant à reprendre le contrôle de la voiture. A partir de ce moment, Jack devient le personnage dominant : c’est par ses décisions que l’action se produit.
On pourrait penser que cela ait servi de leçon à Jack. Or, ce n’est évidemment pas suffisant pour expliquer un définitif changement dans sa personnalité.
Gardez à l’esprit que dans un court-métrage, vous n’avez pas les moyens matériels pour justifier une transfiguration de votre héros. Il vous faut plus d’obstacles, plus d’épreuves desquels le héros peut apprendre et prendre conscience de vérités sur lui-même. En d’autres termes, Jack ne peut pas changer et les auteurs ne cherchent pas non plus à nous convaincre qu’une telle transformation est possible.
Une fois la voiture sur le bas-côté, Jill s’en extirpe immédiatement. Jack s’amuse de sa terreur, « ce n’est qu’une blague » lui dit-il et pour lui prouver que l’araignée est fausse, il la lance vers elle.
Jack s’amuse de tout, même de la terreur de Jill que pourtant il aime.
C’est le côté obscur de Jack, son besoin irrépressible de faire des blagues. Il ne comprend pas que Jill est réellement effrayée. Il se nourrit de sa frayeur mais sans chercher à lui nuire.
Ce n’est pas pour lui faire du mal qu’il lance l’araignée vers elle mais simplement pour lui montrer qu’elle est fausse, que ce n’est qu’une blague (all fun and games) sans penser aux conséquences.
Dans un scénario plus long, nous aurions pu faire la connaissance de Jack tel qu’on nous le présente, c’est-à-dire immature puis au fil de l’intrigue, lui faire gagner cette maturité qui lui manque. Mais dans un court-métrage, cet arc dramatique ne peut pas s’appliquer. Vous n’avez pas l’espace suffisant pour déployer un arc dramatique. Donc Jack est immature et le restera.
C’est la raison de son comportement absurde qui lui fait lancer l’araignée alors que Jill est dans un état de panique indescriptible.
C’est le moment du second rebondissement lorsque Jill se fait renverser par une voiture. Avant de continuer, notez les liens de cause à effet.
La première rencontre entre Jill et l’araignée est la cause pour elle de se retrouver au milieu de la route. Elle n’y aurait pas été volontairement. La seconde rencontre de Jill avec la même araignée est la cause de l’accident. Rien n’est dû à des coïncidences.
Jack n’a rien appris de cette mésaventure. Il est manifestement comme interdit devant les événements. Par contre, il est montré que sa blague a eu des effets non seulement sur Jill mais aussi sur lui.
Il est aussi le dindon de sa propre farce mais cela ne joue en rien sur son arc dramatique. Jack restera un éternel farceur car le court-métrage ne permet pas d’approfondir la personnalité de Jack et les différentes étapes d’une prise de conscience.
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