La manipulation émotionnelle est une réalité complexe de l’expérience humaine. C’est aussi un outil incroyablement efficace que les autrices et les auteurs peuvent utiliser pour raconter des histoires nuancées et complexes, aux personnages tout plein de contradictions dans des situations toutes en contrastes.
En effet, la motivation (souvent néfaste) est à la base de toute manipulation émotionnelle. Et comme le désir et la motivation des personnages sont des facteurs très importants dans la narration, la manipulation émotionnelle peut, à son tour, être un outil puissant dans l’arsenal d’un conteur.
La violence psychologique
La manipulation émotionnelle est un comportement humain à multiples facettes et doit être traitée comme telle lorsqu’elle est utilisée comme outil de narration. il est donc important de comprendre comment représenter correctement et identifier les différents types de manipulation émotionnelle.
On parle de harcèlement moral ou psychologique lorsqu’une personne tente de dévaloriser la santé mentale d’une autre en la trompant activement, forçant ainsi sa victime à douter de sa propre cohérence. La violence psychologique est une forme de souffrance infligée au bien-être mental ou émotionnel d’une personne par divers moyens non physiques. Les personnages de fiction peuvent exercer cette violence de différentes manières, en fonction du contexte de l’histoire et des motivations du personnage.
Les personnages peuvent manipuler les autres en utilisant des techniques de mensonge, de tromperie ou de gaslighting pour les amener à douter de leurs propres perceptions, de leurs souvenirs ou de la réalité. Cela peut provoquer une détresse émotionnelle et de la confusion.
Les personnages peuvent se livrer à des attaques verbales, des insultes, des rabaissements et des humiliations pour saper l’estime de soi et la valeur personnelle de leurs victimes. Les personnages peuvent utiliser des menaces, explicites ou implicites, pour susciter la peur et l’anxiété chez leurs cibles. La peur souvent injustifiée des conséquences peut être psychologiquement préjudiciable.
Des personnages peuvent isoler leurs victimes de leurs amis, de leur famille, c’est-à-dire de tout ce qui constitue pour eux un soutien, les privant ainsi de toute force émotionnelle et de toute sécurité. Cet isolement peut conduire à des sentiments de solitude et de désespoir.
Les personnages peuvent se livrer à une traque persistante, à la cyberintimidation ou à toutes formes de harcèlement, faisant en sorte que leurs victimes se sentent constamment surveillées, en danger et angoissées. Ils peuvent se livrer à une guerre psychologique ou à une manipulation émotionnelle pour contrôler et tourmenter leurs cibles, les laissant mentalement épuisées et émotionnellement vidées. Le Dr Lecter se livre à une série de jeux psychologiques avec Clarice tout au long du Silence des Agneaux, utilisant son intelligence et la manipulation psychologique pour à la fois l’intimider et l’aider dans sa quête pour attraper un autre tueur en série, Buffalo Bill.
Les personnages peuvent utiliser le silence comme moyen de contrôle, en refusant la communication et le soutien émotionnel pour créer de la détresse et de l’anxiété chez leurs victimes. Dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Joel et Clementine sont deux personnages qui se rencontrent, tombent amoureux et finissent par vivre une rupture douloureuse.
Pour faire face à la douleur émotionnelle liée à l’échec de leur relation, ils décident tous deux de subir une procédure médicale qui efface de leur esprit tous les souvenirs de l’autre. Cependant, au cours de la procédure, Joel et Clementine connaissent tous deux des moments de prise de conscience et de regret. Ils se souviennent de l’amour qu’ils partageaient autrefois et du lien profond qu’ils avaient, et ils décident d’essayer de préserver ces souvenirs et de reconstruire leur relation. Mais ils se heurtent à un obstacle majeur.
Le mutisme actif ou supplice du silence est illustré dans cette histoire lorsque Joel et Clementine découvrent qu’ils se sont effacés l’un l’autre de leurs mémoires. Malgré leur vif désir de renouer le contact et la prise de conscience qu’ils s’aiment toujours, ils ne peuvent communiquer. Cette impasse émotionnelle est une forme de silence car ils évitent d’abord de parler l’un à l’autre de leurs sentiments et essaient plutôt de naviguer dans cette situation complexe sans communication directe.
Leurs tentatives pour raviver leur relation tout en se débattant avec leurs souvenirs oubliés et leur bagage émotionnel créent un récit poignant et chargé d’émotion. Dans ce contexte, cette espèce de mutisme devient un symbole puissant des difficultés qu’ils rencontrent pour réconcilier leur passé et leur présent. Au fil de l’intrigue, Joël et Clémentine finissent par briser le silence et communiquent, réalisant qu’ils veulent donner une nouvelle chance à leur amour malgré leurs difficultés. La culpabilité, la honte ou la violation de la vie privée sont d’autres formes de violence psychologique. Il est important de noter que si ces actions peuvent être employées par des personnages de fiction pour faire avancer l’intrigue, elles doivent être traitées de manière responsable et éthique par l’auteur et l’autrice.
Ils doivent tenir compte de l’impact potentiel de ces actions sur le lecteur/spectateur et se demander si elles ont un sens dans le récit, comme le développement d’un personnage, l’exploration d’un thème ou la mise en lumière d’un problème de société. En outre, la représentation de la violence psychologique ne doit pas glorifier ou approuver un tel comportement, mais plutôt donner un aperçu de ses conséquences et de la nécessité de faire preuve d’empathie et de soutenir les victimes.
Une dynamique de pouvoir
Dans la dynamique de pouvoir, un manipulateur tire profit de la relation émotionnelle qu’il entretient avec sa victime pour obtenir ce qu’il veut. L’utilisation de la violence psychologique dans un récit peut avoir un impact considérable, car elle révèle un élément essentiel au cœur de la dynamique d’un personnage : le déséquilibre des pouvoirs.
Le déséquilibre des pouvoirs en tant que forme de violence psychologique peut être un élément convaincant et marquant en fiction. Considérons Precious. Precious est un drame puissant et chargé d’émotion qui raconte l’histoire d’une jeune femme nommée Precious, confrontée à de graves abus émotionnels et physiques au sein de son propre foyer. L’un des éléments centraux de la violence psychologique dans ce récit est le profond déséquilibre de pouvoir entre Precious et sa mère, Mary.
Mary, la mère de Precious, est présentée comme une figure manipulatrice et cruelle qui rabaisse et dévalorise constamment sa fille. Elle utilise son autorité parentale pour contrôler et dominer Precious sur le plan émotionnel. Mary utilise fréquemment un langage dur et dégradant pour insulter et critiquer Precious. Elle la traite de tous les noms, ridiculise son apparence et lui dit qu’elle est inutile. Ces attaques verbales érodent l’estime de soi et la confiance en soi de Precious.
Mary isole Precious du monde extérieur en l’empêchant d’aller à l’école et de fréquenter d’autres personnes. Cet isolement exacerbe le sentiment d’impuissance et de solitude de Precious. Mary manipule les émotions de Precious en jouant avec son esprit et en utilisant la culpabilité et la honte pour garder le contrôle. Elle rend Precious responsable de ses propres problèmes et l’oblige à s’occuper de ses jeunes frères et sœurs.
Mary utilise des menaces de violence physique pour intimider Precious, créant une atmosphère constante de peur et d’anxiété dans le foyer. Et Mary ne soutient pas Precious sur le plan affectif, elle ne s’occupe pas d’elle, ce qui fait que Precious se sent mal aimée et non désirée.
Precious dépeint efficacement l’impact dévastateur de ce déséquilibre de pouvoir sur le bien-être émotionnel de Precious et sur son parcours pour sortir du cycle de la maltraitance. Il souligne l’importance de reconnaître la violence psychologique et la résilience nécessaire pour s’échapper d’un environnement aussi toxique.
Jouer sur les insécurités
Une autre tactique des manipulateurs émotionnels consiste à cibler les insécurités de leur victime. L’agresseur s’accroche à une insécurité spécifique de sa victime et l’exploite pour obtenir ce qu’il veut, comme s’il s’attaquait à une plaie qui n’est pas encore cicatrisée. Le ciblage de l’insécurité est un outil remarquable en fiction, car il permet de mettre en évidence des détails de la personnalité de la victime et de l’agresseur du même coup. Un exemple qui résume parfaitement cette tactique spécifique des manipulateurs d’émotions et son impact sur la narration est Moi, Tonya.
LaVona, la mère de Tonya, exploite souvent les peurs et les insécurités de sa fille tout au long de l’intrigue, même si ses intentions sont théoriquement bonnes. La volonté de LaVona de s’appuyer sur cette tactique de manipulation émotionnelle et les insécurités qu’elle exploite en disent long sur la complexité de cette relation mère-fille.
Merci