Un récit quel que soit le genre possède certainement une intrigue passionnante. Le plus important dans un roman d’amour est toutefois le développement d’une relation entre deux personnes, qui va très souvent de l’indifférence, voire de l’hostilité, à l’amour total et inconditionnel, en passant par l’amitié et l’attirance (l’attirance que Stendhal nommait le plaisir, le sensible dans la présence de l’autre).
Pour qu’une histoire d’amour soit vraiment satisfaisante, la fin doit laisser le lecteur et la lectrice soupirer de contentement (et peut-être aussi avec un peu de tristesse que ce soit fini), convaincus que ces deux personnages partagent un lien d’amour indissoluble qui durera toute une vie et même pour toujours.
Cet amour de fiction doit apporter la satisfaction d’un bonheur sans fin, mais aussi la conviction que ces deux personnages devront travailler sur leur amour tous les jours pour le reste de leur vie s’ils veulent rester heureux.
Pour parvenir à cette conviction, le lecteur et lectrice doivent être entraînés dans le monde de l’histoire, dans l’esprit, le cœur et l’âme même des deux amants. Le lecteur/spectateur doit s’engager émotionnellement dans ce parcours amoureux, au point de devenir, dans son imagination, l’un des deux amants. C’est le travail de l’autrice et de l’auteur de faire en sorte que cela se produise.
La question du réalisme
Pour que les personnages paraissent authentiques, l’auteur ou l’autrice doivent les connaître au plus profond de leur âme. Il est possible d’en savoir beaucoup sur d’autres personnes sans pour autant les connaître au plus profond d’elles-mêmes. Parfois, nous ne nous connaissons même pas complètement nous-mêmes. Vous arrive-t-il de dire ou de faire quelque chose qui vous surprend vous-même ? Savez-vous vraiment comment vous vous comporteriez dans une situation inattendue, une urgence de vie ou de mort par exemple ?
Quand on écrit, on s’aperçoit souvent qu’il faut s’interrompre, revenir en arrière, découvrir à nouveau qui est ce personnage et réécrire certaines séquences parce qu’on en a appris plus sur lui ou elle et qu’il faut adapter le récit à cette nouvelle réalité.
Certaines choses que nous voulions qu’ils fassent ne peuvent plus se produire parce qu’ils ne sont plus les êtres que nous pensions qu’ils étaient. On ne contrôle pas vraiment l’identité de nos personnages.
Ce n’est qu’en les observant interagir les uns les autres au cours du récit que l’on peut espérer acquérir cette connaissance profonde. On a beau réfléchir, il est difficile de les connaître immédiatement. Et il est difficile aussi d’aller au bout de ses idées tant qu’on n’est pas satisfait de ses personnages.
Ceux-ci sont rarement prêts à livrer l’un ou l’autre de leurs secrets avant le moment voulu ou se livrer entièrement nus à l’imagination dès qu’on les conçoit.
Et ils sont rarement enclins à nous dire où se cachent leurs plus profondes douleurs. Il ne suffit donc pas de connaître les personnages tels qu’ils sont au commencement. Il faut que l’auteur et l’autrice les comprennent mieux et que les personnages évoluent si l’on veut que le lecteur ou la lectrice investisse du temps et de l’émotion dans le récit.
Cela n’est pas nécessairement vrai pour tous les genres de fiction. Dans certains, l’implication émotionnelle avec les personnages principaux est très faible. Mais elle est essentielle dans une histoire d’amour. Si le héros, par exemple, est séduisant et sexy et qu’il ne fait que des choses machistes tout au long de ce récit, la lectrice et le lecteur prendront peut-être plaisir à le découvrir, mais ils n’éprouveront que peu d’empathie émotionnelle à son égard. ils ne seront guère convaincus qu’il sera capable de s’engager dans une relation amoureuse sincère.
La question du point de vue
L’une des façons d’approfondir les héros et les héroïnes et de capter l’attention du lecteur et de la lectrice sur le plan émotionnel est d’utiliser avec discernement le point de vue. Le point de vue est le regard et l’esprit à travers lesquels un épisode particulier de l’histoire est raconté.
Il est possible de raconter toute l’histoire à la première personne, par l’un des amants dans une histoire d’amour par exemple, mais dans ce cas, les événements ne peuvent être vécus qu’à travers l’esprit et les émotions de ce seul personnage (comme c’est le cas dans notre propre vie). Mais l’autrice et l’auteur peuvent aussi raconter toute l’histoire en tant que narratrice ou narrateur.
Le narrateur ou la narratrice peuvent raconter à la lectrice et au lecteur ce qu’il se passe et ce que les personnages pensent et ressentent. Peut-être est-il préférable d’utiliser un point de vue intérieur profond, à la troisième personne. Il suffit alors d’alterner entre le héros ou l’héroïne, racontant un épisode de son point de vue et un autre selon le point de vue d’un autre personnage.
Le lecteur/spectateur vit le récit à travers l’esprit, le cœur et le point de vue des personnages, mais pas en même temps. Si l’on y réfléchit bien, tout ce qu’il advient dans notre vie a une composante émotionnelle. C’est nous qui faisons l’expérience de tout ce qu’il nous arrive et du monde qui nous entoure, et tout ce qu’il arrive est coloré par notre propre caractère, nos valeurs, nos expériences et nos émotions. Surtout nos émotions. Il nous arrive très peu de choses qui ne soient pas accompagnées d’une particulière émotion.
L’objectif de l’autrice et de l’auteur devrait être de reproduire cette réalité avec des personnages de fiction. Ils doivent apparaître comme des êtres vivants et émotifs lorsqu’ils vivent les événements de l’intrigue. Si leur histoire est racontée au plus profond d’eux-mêmes, alors le lecteur et la lectrice seront là aussi, vivant tout avec eux et ressentant ce qu’ils ressentent ; vivant et aimant avec eux.
Créer ce lien émotionnel entre l’auteur ou l’autrice, le personnage et le lecteur ou la lectrice est l’un des plus grands défis de l’écriture d’une histoire d’amour. C’est aussi probablement la clé de son succès ou de son échec.
L’autrice et l’auteur devront être capables de faire rire le lecteur/spectateur avec les personnages, de le faire pleurer avec eux, de lui faire ressentir toute la gamme des émotions humaines et de l’amener à tomber amoureux d’eux, en tant qu’individus et en tant que couple.
La meilleure et la plus mémorable des histoires d’amour doit être pour tout le monde – pas seulement pour les deux personnages fictifs qui la vivent, mais aussi pour chaque lectrice et pour chaque lecteur qui la vit par procuration avec les amants.
C’est le travail de l’autrice et de l’auteur de s’assurer que cela se produise.
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