Les récits, même les plus médiocres, comportent en eux des leçons de vie, c’est-à-dire des enseignements. Cet enseignement est plus vif s’il est porté par une expérience. Or, c’est à travers ce que vit un personnage que nous imaginons participer comme à distance à ce qu’il éprouve et même si notre esprit n’est pas capable de s’imprégner totalement de la souffrance supposée d’un personnage, le récit nous met à sa portée.
Un récit nous montre des situations que nous ignorions jusqu’à ce moment. Mais de simples observateurs d’une intrigue, nous devenons concernés lorsque le vécu d’un personnage résonne en nous émotionnellement. Nous reconnaissons par quoi ce personnage passe intérieurement dans les situations dans lesquelles l’autrice ou l’auteur l’ont jeté.
Un sentiment possède quelque chose d’universel. La reconnaissance de celui-ci est parfois nommée identification. Nous nous approprions le sentiment fictif. Ce n’est pas que nous devenons ce personnage : une femme qui se suicide parce qu’elle ne peut vivre son amour sous l’opinion publique qui la dénigre n’est pas nous. Cependant, notre esprit coïncide avec la souffrance supposée. Cela nous permet de ressentir viscéralement ce que le personnage vit alors qu’il tente de résoudre le problème de l’histoire et d’atteindre son objectif principal.
Une volonté de participer
Il y a chez la lectrice et le lecteur une volonté de se lier émotionnellement au personnage. Pour l’auteur et l’autrice, il ne s’agit pas de convaincre un lecteur/spectateur qu’il doit leur accorder une quelconque confiance ; il s’agit de mettre en place les conditions qui permettront à cette volonté de s’accomplir.
Lecteur & lectrice ont vite fait d’arrêter de lire lorsqu’ils sont poussés hors du récit par des descriptions froides. Un sergent qui harangue ses hommes dans la tranchée sera plus passionnant à entendre s’il les convainc de monter à l’assaut non par obéissance à un ordre donné mais parce qu’ils retourneront auprès de leur famille en homme et en femme libres.
Le discours nous engage dans la situation décrite. D’une manière ou d’une autre, une scène doit susciter notre intérêt. D’emblée, nous réagissons à ce que nous percevons.
Comment se révèle un personnage ? D’abord, il doit nous intéresser, éveiller notre curiosité. Si l’auteur ou l’autrice croient que le fait de poser un personnage en mots sur une page sera suffisant pour attirer un lecteur ou une lectrice, c’est une erreur. Donc, interrogez-vous sur la manière dont vous avez introduit votre personnage principal et assumez-en les conséquences de la première impression à laquelle personne n’échappe (autant dans la vie réelle que fictive).
Situation difficile pour le héros ou l’héroïne
Afin de préparer le terrain de l’empathie, imaginez une iniquité quelconque pour le personnage. Cette iniquité peut être une injustice extrême ou bien un simple défaut physique tel un nez sortant d’une norme trop souvent soumise à la mode du moment ou parce que les canons de la beauté l’ont ainsi décidé ; le problème peut être familial comme un père qui ne parvient pas à accepter que sa fille se marie ou bien encore le personnage nous est présenté dans l’état dans lequel l’a laissé son propre passé (un état déplorable s’entend dont nous découvrirons progressivement, afin de renforcer l’empathie, les causes de cette empreinte du passé sur le personnage).
Maintenant il faut lutter contre l’indifférence naturelle des êtres humains. Non seulement le personnage pourrait s’être habitué à sa situation mais le destinataire, c’est-à-dire le lecteur/spectateur, peut l’ignorer, ne pas se sentir concerné.
La proximité du danger est un moyen narratif pour lutter contre cette indifférence. Le danger est protéiforme : du simple embarras de voir sa vie privée versée dans le public ou un personnage poursuivi sur le point d’être capturé.
L’introduction d’un personnage peut aussi faire la démonstration du sentiment de défaite qui l’anime.
Afin que le lecteur/spectateur soit amené malgré lui à apprécier le personnage (même si, sur le plan moral, il n’est pas recommandable), faire comprendre les enjeux, le pourquoi de ce qui l’anime, est indispensable.
La lectrice & le lecteur veulent savoir ce qu’il adviendra d’un personnage. C’est loin d’être partie gagnée si la froide indifférence qu’on éprouve devant autrui n’est pas contredite par le personnage lui-même : ce pourquoi il lutte, comment cette lutte a t-elle été possible ? D’où vient-elle ? C’est-à-dire quelle anticipation pouvons-nous faire en même temps que le personnage s’il échoue ou réussit ce pourquoi il existe dans cette fiction ?
Ce que nous percevons
Un personnage se présente à nous par ce qu’il nous donne à voir de lui-même. Nous le jugeons sur cette apparence : la timidité ou la brutalité d’un personnage par exemple nous apparaissent par ses attitudes, postures et comportements. Nous croyons ainsi pouvoir le saisir.
Les archétypes peuvent être utiles pour faciliter la reconnaissance d’un personnage par le lecteur/spectateur afin de lui permettre de le situer dans le récit. Néanmoins, lorsque le personnage lui-même brise le modèle dans lequel il est coulé ; cela se produit souvent lorsqu’il est poussé par la situation dans ses propres extrémités ; alors nous nous surprenons, en tant que lecteur et lectrice, à voir en lui d’autres horizons, au-delà de l’individualité proposée par l’archétype dont l’autrice et l’auteur se sont inspirés pour constituer ce personnage.
C’est un moyen qui s’est révélé efficace pour maintenir la curiosité du lecteur/spectateur envers un personnage. La cohérence de l’archétype mise en question par une contradiction que le personnage porte déjà en lui mais qu’il ne connaît pas encore assure l’intérêt renouvelé du lecteur et de la lectrice.
Ce qu’il importe est de bien comprendre déjà en lui car cela implique que ce revirement inattendu de la personnalité d’un personnage doit être mûri. Des indices ou des signes doivent être distribués au fil du récit comme autant d’énigmes qui seront résolues lorsque le moment de la révélation de ce qui est caché apparaîtra au jour.
Des énigmes dont les solutions donnent de la signification qui assouvit notre soif de savoir. L’esprit est curieux par nature et ne cesse de vouloir comprendre. Insatisfait, il se désintéressera du récit si celui-ci ne lui apporte que confusion.
Ce que nous percevons d’un personnage ne nous dit pas ce qu’il se passe en lui. Lorsque soudainement, il agit d’une façon apparemment inattendue, c’est son combat intérieur qui se livre à nous. Cette lutte interne est le conflit entre la façon dont le personnage pense devoir se comporter dans le monde – sa stratégie de survie actuelle, même s’il n’en est pas conscient – et un besoin plus profond ou caché qui prend racine dans le changement qu’il doit opérer pour devenir plus sain, plus heureux, plus authentique.
S’il y parvient ou non sera décrit par un arc dramatique, c’est-à-dire les différentes étapes qui jalonnent le parcours du personnage décidé par l’autrice et l’auteur. Les choix que fait le personnage au fil de l’intrigue, c’est-à-dire face aux événements, régleront sa destinée.
Les personnages, comme dans la vie réelle, ne changent pas souvent, sauf s’ils y sont obligés. Ainsi, lorsque nous voyons ce qu’il faut à un personnage pour abandonner une ancienne façon d’être et en adopter une nouvelle (et souvent plus difficile), cela nous montre ce que le personnage valorise le plus.
Notre compréhension de cette lutte interne nous investit encore plus dans le personnage. La cohérence apparente nous aide à interpréter le personnage d’une certaine manière. Mais le fait de voir ce qu’il faut à un personnage pour contredire sa propre stratégie, pour changer de comportement, nous aide à le comprendre encore plus complètement. Et ainsi, ce que l’autrice et l’auteur ont à dire se communique au lecteur et à la lectrice.
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