Vouloir continuer à lire est le secret qu’en tant qu’auteur ou autrice il faut découvrir dans ce que l’on écrit.
Comment y parvenir ? C’est-à-dire comment faire pour que lectrice & lecteur demeurent dans le récit ?
D’abord, le protagoniste ne devrait pas être inactif. Il y a forcément une intrigue qui tente désespérément de faire sens, c’est-à-dire d’assembler par quelque moyen logique les événements qui s’y déroulent, par exemple par la causalité : un événement (ou une action) en entraînant un (ou une autre).
Mais l’intrigue n’est pas la solution. Ce qui importe, ce sont les personnages. L’intrigue porte le désir de personnages qui veulent agir sur le monde. Mais eux-mêmes sont motivés par un besoin qu’ils découvriront souvent douloureusement dans le cours de l’intrigue. Lorsqu’un professeur de chimie se lance âme perdue dans un trafic de drogue, son objectif n’est pas l’argent facile mais le besoin d’assurer un devenir à sa famille maintenant qu’il sait qu’il est condamné par la maladie (Breaking Bad).
Donner un sens à son existence
Le personnage principal (qui est souvent le protagoniste) est celui que le lecteur/spectateur comprend comme le plus proche de ses préoccupations. Non qu’il se reconnaisse dans les actions qui sont probablement à cent lieues de son quotidien, mais parce qu’il comprend le besoin du personnage : on comprend l’état de nécessité d’une mère de famille qui doit nourrir son enfant et qui vole quelques pains.
S’assurer de son personnage principal est la toute première interrogation : qui est-il ? Que veut-il ? Pourquoi ne peut-il l’obtenir ? Que risque t-il de perdre (ou de conserver) s’il n’atteint pas cet objectif ?
Dès les premières pages du scénario, il devrait être clairement formulé qui est au cœur du récit. Identifier et cristalliser le but de ce personnage, ce sur quoi il s’arc-boute ou ce qu’il poursuit, c’est-à-dire un but externe clair qui a une ligne d’arrivée déterminée. Cet objectif doit éclairer les choix du protagoniste, le guider dans ses choix et, par conséquent, dans ses actions.
Ici, il faut comprendre que les choix du protagoniste et ceux du personnage principal (même s’ils sont un) sont différenciés. Le protagoniste affronte un fait objectif alors que le personnage principal vit ce fait de manière intérieure : ainsi, une subjectivité éprouve un événement tandis qu’elle affronte l’objectivité du fait.
- Objectivité du fait : un professeur de chimie affronte la maladie et sa propre mort.
- Subjectivité du fait : que deviendra sa famille sans lui ?
L’objectivité se caractérise par un antagonisme. Au-delà de la fonction de cet archétype qui assure au récit une tension dramatique qui ne cesse de s’enfler, l’antagonisme est une incitation à changer. Il force le personnage principal à fouiller dans les profondeurs de sa psyché à la recherche de lui-même.
Il y a alors un double enjeu à définir : d’abord, ce qu’il y a à perdre ou à gagner sur le plan extérieur. Qu’espère obtenir du monde le protagoniste ? Quel profit peut-il tirer de son action sur le monde ? Ensuite, il y a cet enjeu personnel. Que veut-il vraiment ? La tragédie serait qu’il échoue à la fois dans le monde et personnellement.
Ce qui donne de l’importance et de la signification à un récit, c’est l’histoire personnelle des personnages et non le déroulement d’une intrigue qui pourrait fonctionner à l’aide d’un McGuffin, c’est-à-dire un prétexte quelconque permettant d’écrire cette intrigue (juste pour y lier les événements).
Proactif mais pas trop
Bien qu’un protagoniste qui réagit aux choses soit préférable à un protagoniste totalement inactif, il est difficile de rester investi dans un être qui réagit aux événements qui se déroulent, plutôt que de prendre le dessus sur l’intrigue en définissant son propre objectif, censé le faire progresser.
La raison d’être d’un personnage principal est le changement. L’intrigue est une succession d’événements mais la trame personnelle du personnage principal est comme autant de jalons à atteindre afin de faire de lui un être plus proche de sa propre vérité. Ce n’est pas être pragmatique que de prendre soudain conscience de sa situation.
En somme, les événements devraient lui permettre de se dessiller les yeux sur ce qu’il l’a figé dans le temps. Certes, l’auteur et l’autrice ont déjà imaginé ce qu’il adviendra de lui. Ce qui doit apparaître cependant, c’est l’impression que le personnage principal écrit son propre récit.
L’incident déclencheur initie un changement de circonstances inattendu. Bien sûr qu’il y a un refus d’accepter que les choses doivent changer. C’est très humain et la vérité est qu’il nous faut découvrir cette humanité en nous-mêmes. Ensuite, c’est un travail de l’imagination du poète.
Ainsi, la notion d’arc dramatique prend son sens. C’est une expérience émotionnelle partagée entre le lecteur/spectateur et les sentiments qu’éprouvent les personnages. Cette expérience est possible parce qu’elle est un mouvement (l’idée de l’arc).
A la satisfaction immédiate qui n’est qu’une illusion ou un acte égoïste, le personnage se projette dans le monde et y remet en cause sa propre place. Il n’est pas étonnant que nous nous identifions à cette volonté qui nous semble pourtant inaccessible.
Pourtant, c’est ce voyage intérieur qui nous fascine. Au-delà du divertissement que nous procure le récit, nous reconnaissons cet être qui se cherche d’une manière si sincère, si authentique, débarrassé d’un masque social qui n’offre aux regards que le mensonge que l’on se fait à soi-même.
Et cela nous transporte. Nous réalisons que nous sommes un projet. Si nous nous figeons dans l’angoisse de notre propre finitude ou dans l’ennui, c’est la fin de notre récit. Nous nous passionnons pour cette héroïne ou ce héros parce qu’ils osent ce projet.
Votre générosité nous aide vraiment. Merci