Avoir quelque chose à raconter et savoir le raconter est probablement la voie royale pour aboutir. Faire un plan peut énormément aider à mener la tâche à son terme. En quoi consiste ce plan ? Une liste d’événements.
En effet, un récit est une liste d’actions. Ces actions sont brièvement décrites par des paragraphes de quelques lignes. On peut croire que c’est une contrainte, même une perte d’un temps précieux. Un plan est une organisation a priori du récit à venir.
Quelques chiffres sans se sentir forcé
Le premier acte d’un scénario s’étend entre 18 et 23 pages pour un total de 90 ou 100 pages (c’est devenu davantage la norme que les 120 pages car le coût de réalisation concrète d’une page de scénario est devenue très cher voire trop cher).
Ce que l’on considère comme un troisième acte débute entre les pages 70 et 75 jusqu’au moment du dénouement. Entre les pages 24 & 75, c’est le second acte. L’écueil absolument nécessaire à éviter jusqu’à la page 23 est la surexposition des choses. Jusqu’à la page 23, le détail n’aura pas l’importance qu’il prend lors du second acte. Tenir pour acquise cette assertion permet de dire aussitôt ce qui compte. Par exemple, Une voiture arrive sur parking du centre commercial ; cherche une place pour se garer. Un homme en descend. Pourquoi dissoudre l’essentiel dans tant de mots.
La didascalie d’un scénario n’en exige pas autant : l’en-tête situe la scène : EXT. PARKING DU CENTRE COMMERCIAL – JOUR ; ensuite la didascalie : Une berline noire se gare sur le parking. Un homme en descend. On peut même faire encore plus succinct pour toucher vraiment à l’essentiel de la scène : Un homme sort d’une berline noire garée sur le parking.
Quelle est l’action décrite dans la scène ? L’action n’est pas forcément une course-poursuite. Une jeune femme est plongée dans le coma est une action. Si ce que vous cherchez à décrire est la relation que votre héros entretient avec cette jeune femme, vous renforcerez alors l’action par une espèce de monologue de votre héros s’adressant à cette jeune femme.
Cette scène ne décrit pas comment cette femme est tombée dans le coma : cela viendra plus tard si le récit l’exige. Pour le moment, ce qui est au cœur de l’action, c’est la relation entre ces deux personnages. C’est ce que la lectrice et le lecteur de cette scène doivent connaître, ne serait-ce que pour l’intelligibilité de ce que vous cherchez à dire.
Traduire en actes la pensée
Alors que dans un roman ou une nouvelle, pénétrer l’intérieur des personnages, connaître leurs pensées intimes est un privilège pour la lectrice ou le lecteur, dans un scénario, le lecteur/spectateur ne perçoit que ce qu’il voit et entend.
Dit autrement, on ne sait pas ce que le personnage pense. Un personnage se définit par ses actes mais aussi par l’environnement dans lequel il vit : montrer l’atelier d’un artiste-peintre révèle beaucoup de choses sur sa personnalité. Sa tenue vestimentaire est autant révélatrice de qui il est : ainsi, le lecteur/spectateur se fait une idée du personnage par quelques descriptions qui évoquent une certaine vision que le personnage se fait du monde.
C’est un point de vue dont on épargne au lecteur/spectateur les conditions surtout si celles-ci n’ont pas d’importance dans le récit. La description informe sur le personnage et du même coup, s’inscrit dans le récit.
Néanmoins, par moments, l’état d’esprit d’un personnage fait sens dans la scène. Si vous souhaitez préciser la nervosité d’un personnage, au moment de sa prise de parole, des parenthèses sous son nom peuvent l’indiquer :
ANDRÉ
(André allume nerveusement une cigarette. [Merci à Paul-en-ski pour cette rectification]
L’incident déclencheur
L’incident déclencheur est un événement comme les autres. Il possède cette définition singulière parce que son attribut qui le rend unique est qu’il lance le mouvement du récit. C’est un événement inattendu.
Prenons un célibataire. On le sait parce que les deux ou trois pages qui ont précédé l’événement déclencheur nous ont montré ses habitudes, son appartement.. Comme à l’accoutumée, en fin de journée, il sort pour la promenade quotidienne de son chien. Mais, ce jour-là, par hasard, une femme promène elle aussi son chien dans le même quartier. L’incident déclencheur consistera alors dans les laisses qui s’emmêlent. L’incident sera cette rencontre imprévue.
Continuons avec les chiffres : l’incident déclencheur se produira entre les pages 3 et 10. Plus tôt, l’exposition du personnage sera insuffisante pour nous donner une idée de qui il est ; trop tard, cela implique que vous êtes trop verbeux et qu’une économie de mots doit être opérée car vous faites languir votre lecteur ou votre lectrice et ils n’apprécient guère cela dans un scénario.
Dans Tout peut arriver, l’incident déclencheur est la crise cardiaque de Harry. Sans ce malaise cardiaque, Harry n’aurait eu aucune légitimité à rester auprès d’Erica alors que ces deux-là se détestent cordialement. Dans Jerry Maguire, l’incident est la lettre qu’il écrit dans une intention de soudaine honnêteté avec lui-même : cette lettre est précisément ce qui fait basculer sa vie actuelle dans un monde qui lui est totalement inconnu.
L’acte Deux
Conflit et obstacle seraient la définition de l’acte Deux. C’est aller néanmoins un peu vite en besogne. Certes, conflits et obstacles aident à lutter contre le manque d’inspiration toujours à l’affût. Cependant, la matière dramatique sera plus pure si on conçoit ce que représente ce combat pour le personnage.
En se concentrant sur l’enjeu, sur ce qu’il adviendra du personnage s’il réussit ou échoue non ce pour quoi il se bat (l’objectif est vraiment secondaire) mais s’il parvient ou non à combler son besoin, c’est-à-dire le manque qui caractérise ce personnage, qui en fait son essence même.
Autrices et auteurs doivent apprendre à défier leur personnage, à accepter de le faire souffrir. Comment un personnage réagit à ce qu’il lui arrive est le moyen de l’acte Deux. Un adolescent harcelé se soumettra à la souffrance qu’elle soit morale ou physique jusqu’à ce qu’un être aimé soit menacé à son tour. Il aura cependant appris de ses souffrances et cette nouvelle connaissance de lui-même lui permettra de trouver enfin en lui la réponse adéquate.
Une femme qui travaille dans un milieu d’hommes devra elle aussi forcer sa place. Pour les autrices et les auteurs, l’acte Deux est un instrument pour dénoncer ce qui est injuste dans nos sociétés. Ils s’investissent dans la souffrance de leurs personnages, même un super-héros n’y échappe pas.
Le personnage sera confronté à ses peurs. Il a des choix à faire. Et ils ne seront pas faciles car, dans ce cas, vous perdrez l’intérêt de vos lecteurs et de vos lectrices. Lorsqu’une opportunité se présente, elle le sera entre deux maux : il n’y a pas de solutions plus évidentes, plus prévisibles.
Quant à l’acte Trois, comme à l’accoutumée, c’est l’ultime confrontation. Le personnage est dans une continuation, une série d’épreuves et tout cela le façonne pour cette rencontre ultime qui décidera de sa destinée. En effet, même s’il apparaît comme le point de mire d’une adversité qu’il ne comprend pas toujours, le libre-arbitre du personnage dans sa tentative de réalisation de sa propre volonté est ce qui le détermine.
Réussit-il son objectif mais échoue sur un plan personnel ? Il est perdu. Il ne réussit pas son objectif mais qu’importe puisqu’il a compris ce qu’était son besoin (il a enfin fait preuve de courage par exemple), c’est un triomphe personnel bien plus gratifiant.
Il réalise son objectif et du même coup, son besoin personnel : un idéal que seule la fiction peut offrir. S’il perd sur les deux tableaux, nous avons là une tragédie sans rémission : c’est plus du réalisme qu’un sentimentalisme romantique qui est une échappatoire du quotidien mais nous apprend peu et sur le monde et sur nous-mêmes.
Soutenez Scenar Mag. Merci
André ressent le besoin d’allumer une cigarette = André allume nerveusement une cigarette. Car on filme comment « ressent », nous, les réals ? On n’est pas dans la mouise avec ça… Allons, cher Williams, reprenez-vous, c’est pas sérieux ! ^^
Bien vu Paul-en-ski. L’exemple dit exactement le contraire de ce que je tentais de démontrer. Je rectifie en conséquence de ce commentaire comme j’aimerais en lire plus souvent. Merci et à bientôt
En même temps, cher Williams, je suis d’une totale mauvaise fois car ici le « ressenti » se confond en fait avec l’action, un peu comme pour la monnaie le droit se confond derrière le titre (au porteur).
Ce qu’illustre le célèbre adage en cinéma :« Quand le personnage pense, il parle ; quand il ressent, il agit »
Et on pourrait au surplus très bien avoir un personnage qui ressent le besoin d’allumer une cigarette sans pour autant le faire nerveusement.
Par ailleurs, si un acteur ou un réal n’est pas fichu de traduire visuellement l’idée de qq qui ressent le besoin d’allumer une cigarette, je ne donne pas cher de ses capacités…
Bon courage et bonne continuation !