La structure est quelque chose de rassurant. Non seulement de rassurant, mais aussi de garant de l’efficacité de votre récit. Considérons un scénario de 120 pages ou de 90 pages.
De la page 1 à la page 3
Vous mettez en place le contexte (lieux et temps), le rythme de votre récit.
La séquence d’ouverture prend place donc entre la page 1 et la page 3. Cette séquence d’ouverture sera très différente selon les histoires : comparez celles de Terminator et de Coup de foudre à Notting Hill, par exemple.
La page 3
A la page 3, il pourrait être judicieux de dire quelque chose à propos du thème majeur de votre récit, c’est-à-dire ce qui vous préoccupe, la raison pour laquelle vous avez eu envie d’écrire ce récit.
De la page 3 à la page 10
Pendant cette période (s’il est correctement formaté, une page d’un scénario correspond à une minute), entre la page 3 et la page 10, nous savons qui sont le héros ou l’héroïne, ce qu’ils veulent et comment ils espèrent obtenir ce qu’ils veulent (obtenir ne signifie pas qu’ils se procurent quelque chose car ils peuvent vouloir tout aussi bien se débarrasser de quelque chose).
De la page 10 à la page 30
C’est la préparation de l’aventure promise. Ainsi, on peut envisager un incident déclencheur à la page 10, ce qui constitue dans l’analyse de Joseph Campbell un Call to Adventure, c’est-à-dire un appel à l’aventure que le personnage principal n’acceptera pas d’emblée comme l’a remarqué Syd Field.
C’est entre la page 10 et la page 30 que se produit le passage dans l’acte Deux.
La page 30
Cette page 30 possède une caractéristique singulière : c’est un retournement de situation. La stratégie que le héros et l’héroïne ont imaginée se fonde sur leurs propres expériences forcément passées.
Mais même si deux situations paraissent identiques, elles ne le sont jamais vraiment. Ce qui a fonctionné autrefois ne peut décidément pas être couronné de succès maintenant.
De la page 30 à la page 45
Le personnage principal essaie d’imaginer d’autres solutions pour parvenir à son objectif. Il se peut que l’objectif change mais ce ne sera pas avant la page 45. Jusqu’à cette page, l’objectif initial doit être poursuivi sinon ce que Dramatica nomme l’Objective Story Throughline, c’est-à-dire la ligne dramatique qui concerne les événements, les faits tels qu’ils sont et non tels qu’ils apparaissent aux personnages (ainsi chaque personnage est concerné par cette Objective Story Throughline) serait brisée.
La page 45
Cette page singulière est une prise de conscience. Certes, la nouvelle stratégie ne fonctionne pas non plus mais elle est néanmoins moins traumatique pour le héros ou l’héroïne car tout comme le chat échaudé ne craint plus l’eau froide, ils possèdent maintenant l’expérience de cette déception.
Ils réalisent maintenant que l’accomplissement de l’objectif nécessite un engagement beaucoup plus important que celui de la page 30. La page 45 décrit une scène psychologiquement bouleversante. A ce moment du récit, il est probable qu’un point de non retour n’a pas encore été atteint. Le personnage a encore la possibilité de retourner à sa vie d’avant aussi insatisfaisante qu’elle semblait être.
Mais il ne le fera pas parce que cette décision possible est imprégné d’un méchant sentiment d’échec. De plus, s’il le faisait, il n’y aurait plus d’histoire.
De la page 45 à la page 60
Ce sont les péripéties et les tribulations qui mènent le héros et l’héroïne de Charybde en Scylla. Vous pourriez tirer profit de la lecture de quelques uns de nos articles sur Blake Snyder à ce propos.
La page 60
Connu aussi comme le point médian (page 60 pour un scénario de 120 pages et mathématiquement page 45 pour un scénario de 90 pages). Néanmoins, le point médian n’est pas une simple division et il peut s’étendre sur plusieurs pages autour des pages 60 ou 45.
La scène de la page 60 est très dramatique. Le héros ou l’héroïne se rendent compte pour la troisième fois que leur plan ne fonctionne pas. S’ils veulent atteindre leur but, ils devront pénétrer dans un pays étrange, si loin de ce qu’ils connaissent, qu’ils ne pourraient peut-être pas retrouver leur vie telle qu’elle était à la page 10 s’ils échouent une fois de plus. C’est le point de non-retour.
Ce point de non-retour renforce les enjeux. La menace d’une perte (symboliquement sa propre vie ou celle d’un être aimé), de son statut social ou bien encore quelques sévères dommages psychologiques rend le point de non-retour plus convaincant pour le lecteur et la lectrice.
De la page 60 à la page 75
Le héros prend alors une grande inspiration, serre les poings et se lance dans une nouvelle stratégie. Soudain, à la page 75, il se rend compte que ce nouveau plan ne fonctionnera pas non plus, et qu’il est maintenant isolé ou perdu avec peu ou pas d’espoir de réussir. De plus, il est maintenant confronté à la perspective de tout perdre.
La page 75
Cette page serait alors le moment du Dark Soul of the Night.
De la page 75 à la page 90
Qu’il trouve la force en lui de résister ou qu’il se fasse aider par un mentor, une révélation se fait jour dans l’esprit du héros ou de l’héroïne. Ces quelques pages mettent en avant l’anagnorisis. A la suite de cette reconnaissance, qui le met en phase avec lui-même, le personnage principal est prêt pour son ultime confrontation.
Cette confrontation n’a de chances de triompher qu’à la condition nécessaire de cette reconnaissance. L’essence même de la tragédie est un double échec : incapable de se comprendre lui-même, le personnage principal échoue aussi dans son objectif. En somme, il perd sur tous les tableaux. Notez aussi que s’il parvient à réussir son objectif mais qu’il ne surmonte pas le trauma, par exemple, qui le retient dans le passé, ce sera aussi un échec accompli.
En revanche, s’il parvient à cette transfiguration de lui-même, peu importe qu’il réussisse ou non le but qu’il s’est fixé dans le récit, son histoire sera un succès.
La page 90
La page 90 lance le climax. Au cours de cette ultime confrontation avec l’adversité, le héros ou l’héroïne risquent de perdre à la fois sur le plan physique mais aussi sociologique et psychologique. La demi-mesure ne fait pas bon ménage avec la fiction. En fiction, les choses sont forcément exacerbées.
Les dernières pages sont la résolution ou dénouement, où l’histoire est bouclée. Elle peut varier de quelques lignes, comme dans La Mort aux trousses, à plusieurs pages, comme dans Seul au monde ou L’Assassinat de Jessie James par le lâche Robert Ford.
Il est important de noter que ces numéros de page ne sont qu’indicatifs et qu’ils peuvent être déplacés vers l’avant ou l’arrière de manière fluide. Vous pouvez également modifier l’ordre des scènes clés, bien que la plupart des histoires commercialement réussies présentent les scènes dans cet ordre.
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Bonjour Wiliam, j’adore décidément tes rappels 🙂 !
Et moi, insistant avec toi sur l’évidence qu’une structure n’est en rien restrictive mais stimule au contraire l’imagination et donc la créativité. Elle n’est pas théorique, elle ne s’apprend pas par coeur, elle s’intègre pour se l’approprier et mieux s’exprimer sur son support, son renfort.
Merci Patrice. En somme, c’est tout l’art de la communication. Si l’on souhaite être compris, autant faciliter la tâche pour l’interlocuteur.