Lorsque vous inventez un personnage, vous vous fiez à votre sens de l’importance et de la vérité pour prendre vos décisions. Cela se poursuivra tout au long de votre récit, mais une fois que vous aurez commencé à écrire, vous devrez également prendre de nombreuses décisions en fonction de ce qui est bon pour l’ensemble de l’histoire. Il est maintenant temps pour ces personnages nouvellement créés de se mettre au travail.
Quatre facteurs
Indépendamment du genre, nous pouvons distinguer quatre facteurs que l’on retrouve dans tous les récits avec plus ou moins de présence. Selon Orson Scott Card, la caractérisation des personnages d’un récit dépend de l’équilibre entre ces quatre facteurs :
- Le milieu
- L’idée
- Le personnage
- L’événement
Le milieu est le monde qui entoure les personnages – le paysage, les espaces intérieurs, les cultures dont les personnages sont issus et auxquelles ils réagissent.
L’idée est cette information que lecteurs et lectrices découvriront à la lecture du récit.
Le personnage est la nature des êtres présents dans l’histoire. Ce qu’ils font et pourquoi le font-ils ? Nature humaine et condition humaine interviennent souvent dans la création d’un personnage.
Les événements sont par définition ce qu’il advient au cours du récit. Le récit ajoute cependant le pourquoi des choses.
Ces facteurs se chevauchent généralement. Un personnage fait partie du même milieu ou d’un milieu différent de celui d’un autre personnage. L’idée de l’histoire peut inclure des informations sur la nature d’un personnage ; cette idée que nous sommes censés découvrir peut être un aspect du milieu, un événement précédemment incompris ou négligé, ou la nature d’un personnage.
Les événements de l’histoire sont généralement réalisés par les personnages ou émanent du milieu, et la découverte d’une idée peut également constituer un événement du récit.
Le monde
C’est devenu une figure de style de dire qu’une histoire « se situe ». Mais c’est tout à fait vrai : les personnages doivent avoir un endroit où accomplir les actes qui composent l’histoire – le cadre, l’environnement du récit.
Le monde ou contexte comprend tous les lieux physiques utilisés – une ville ou plusieurs villes, un ou plusieurs immeubles, une rue, un bus, une ferme, une clairière dans les bois – avec toutes les images, les odeurs et les sons qui vont de pair avec le territoire.
Le milieu comprend également la culture, c’est-à-dire les coutumes, les lois, les rôles sociaux ainsi que des conventions liées au genre dans lequel s’inscrit le récit, qui limitent et influencent le comportement de l’individu et éclairent tout ce que le personnage pense, ressent, dit et fait.
Dans certaines histoires le milieu est très sommaire ; dans d’autres, il est créé dans les moindres détails. En effet, il existe des histoires dans lesquelles le milieu est le principal centre d’intérêt. Pensez aux Voyages de Gulliver : le but de ces histoires n’est pas d’explorer l’âme d’un personnage ou de résoudre une intrigue tendue et palpitante, mais plutôt d’explorer un monde différent du nôtre, en le comparant à nos propres coutumes et attentes.
La structure du monde est simple : Amenez un personnage dans un contexte, puis trouvez des raisons pour qu’il se déplace dans le monde de l’histoire, en montrant au lecteur tous les détails physiques et sociaux intéressants (en rapport avec le récit) du milieu.
Lorsque vous avez montré tout ce que vous voulez que le lecteur voie, ramenez le personnage chez lui. Dans la plupart des histoires où l’environnement est très présent, le personnage principal est une créature de l’époque et du lieu où vivent l’auteur et ses lecteurs et lectrices, de sorte que ce personnage fait l’expérience du monde avec les attitudes et les perceptions du lecteur.
Dans une histoire où le monde influe sur les événements, moins vous caractérisez le personnage principal, mieux c’est, assure Orson Scott Card. Lecteurs et lectrices s’identifient toujours au personnage principal s’il est bien construit, mais la tâche de ce personnage est de se mettre à la place de tous les lecteurs et lectrices.
Si vous faites du personnage un individu à part entière, vous attirez l’attention des lecteurs sur lui et vous perdez la connexion avec le monde. Vous détournez l’attention des lecteurs du milieu, nous dit Orson Scott Card.
Au contraire, vous devriez maintenir l’attention des lecteurs sur le monde. Ainsi, les réactions du personnage principal à tout ce qu’il se passe doivent être aussi « normales » que possible (ce que le lecteur attendrait de n’importe qui dans ces circonstances).
Le personnage peut avoir un humour ironique ou un point de vue particulier dans ses observations, mais plus vous attirez l’attention sur le personnage, et moins l’histoire a tendance à porter sur le monde.
Peu de récits sont seulement à propos du monde
Les récits de voyage, les fictions utopiques, les satires et les sciences naturelles sont généralement les seuls genres dans lesquels on trouve des récits sur un monde absolu sans relation avec ce qui l’habite. Plus souvent, les récits mettent l’accent sur le milieu mais développent également d’autres facteurs narratifs.
Bien que le monde puisse être le centre d’intérêt principal, il y a également une ligne narrative forte. Le lecteur absorbe alors le milieu indirectement. Dans ces histoires, les personnages majeurs ne doivent pas nécessairement provenir de l’époque du lecteur ; en général, ils sont en fait des résidents permanents du monde qu’il soit inventé ou non. Les attitudes et les attentes des personnages font partie de l’ambiance culturelle, et leur étrangeté dans ce monde et leur méconnaissance de celui-ci font partie de l’expérience du milieu par les lecteurs.
De telles histoires semblent avoir la structure d’un autre type de récit, mais l’auteur révélera que le contexte est une préoccupation majeure par l’attention portée à l’environnement. Les personnages seront choisis, non seulement pour leur intérêt intrinsèque, mais aussi parce qu’ils représentent certains types ou classes de personnes au sein de la culture.
Les personnages sont censés nous fasciner, non pas parce que nous les comprenons ou partageons leurs désirs, mais en raison de leur étrangeté et ce qu’ils peuvent nous apprendre sur une culture différente de la nôtre.
Le travail sur la caractérisation des personnages dans un récit axé principalement sur le monde doit-il être très détaillé ? Pas tant que cela car la plupart des personnages ne seront que des stéréotypes de la culture de ce microcosme jouant exactement le rôle que leur société attend d’eux, avec peut-être quelques excentricités qui aident à faire avancer l’histoire.
Ce n’est pas un hasard si, lorsque Tolkien a réuni la Communauté de l’Anneau dans sa trilogie du Seigneur des Anneaux, il n’y avait qu’un seul nain et un seul elfe – s’il y en avait eu davantage, il aurait été presque impossible de les distinguer, tout comme peu de lecteurs se souviennent de la différence entre les deux hobbits génériques Merry et Pippin. Le Seigneur des Anneaux n’étant pas seulement une histoire sur un monde, il y a quelques personnages héroïques majeurs qui sont plus que des stéréotypes locaux, et certains qui s’approchent d’une caractérisation complète – mais la caractérisation n’est tout simplement pas un facteur majeur de l’attrait de la série.
Cela ne veut pas dire que vous pouvez ignorer les personnages, surtout si vous essayez de raconter une histoire passionnante dans un monde donné, mais cela signifie que de nombreux personnages bien dessinés ne sont pas vraiment nécessaires à votre histoire et peuvent même l’affaiblir.
L’idée
L’idée a une structure simple, nous dit Orson Scott Card. Un problème ou une question est posé au début de l’histoire, et la réponse est révélée à la fin du récit. Les thrillers utilisent cette structure : Quelqu’un est retrouvé assassiné, et le reste de l’histoire est consacré à la découverte du coupable, du pourquoi et du comment.
Les histoires de casse suivent également la structure de l’idée lorsque celle-ci règle et ordonne le récit : un problème est posé au début (une banque à cambrioler, une cible riche et dangereuse à escroquer), le ou les personnages élaborent un plan, et nous lisons la suite pour savoir si leur plan est en fait la « réponse » à la question posée, au problème. Invariablement, quelque chose se passe mal et les personnages doivent improviser, mais l’histoire se termine lorsque le problème est résolu.
Si on donne la part belle à l’idée, on peut faire l’économie d’une caractérisation poussée des personnages. Dans les mystères classiques, comme ceux d’Agatha Christie, la caractérisation va rarement au-delà de l’exigence selon laquelle un groupe assez important de personnes doit avoir un mobile suffisant pour le meurtre ou la transgression afin que chacun puisse être légitimement soupçonné d’avoir commis le crime.
Le détective lui-même est généralement plus qu’un petit assemblage de caractéristiques uniques ; il réagit plutôt aux individus qui l’entourent, non pas comme des pièces à assembler dans le puzzle, mais comme des êtres humains tristes ou menaçants, bons ou pathétiques.
De tels récits, comme ceux de Raymond Chandler, exigent du détective qu’il soit un observateur attentif des autres, et sa propre nature vient souvent perturber le cours d’une histoire peut-être un peu trop prévisible.
Cependant, ces personnages, y compris le détective, sont rarement changés par leurs tribulations et pérégrinations ; l’histoire ne fait que révéler qui ils sont. Dans ces récits, la véritable nature des personnages est l’une des questions auxquelles le détective et le lecteur tentent de répondre au cours de l’intrigue.
Cela signifie-t-il que l’idée pour s’exprimer pleinement exige une caractérisation légère ? Pas du tout, rassure Orson Scott Card. Cela signifie qu’une caractérisation appropriée pour une idée n’est pas nécessairement la même chose qu’une caractérisation appropriée pour un autre type d’histoire. Les personnages représentent des idées, ou existent principalement pour les découvrir ; un personnage qui remplit parfaitement son rôle peut n’être qu’un stéréotype, et pourtant il sera parfaitement caractérisé pour cette histoire.
Le personnage
Les récits centrés sur un personnage sont ceux d’un être qui essaie de changer son rôle dans la vie. Cette histoire commence au moment où le personnage principal trouve sa situation actuelle intolérable et entreprend de la changer ; elle se termine lorsque le personnage trouve un nouveau rôle social, retourne volontiers à l’ancien ou désespère d’améliorer son sort.
Qu’est-ce qu’un rôle social ? C’est un réseau de relations avec autrui et avec la société en général. Comme tout autre être humain, nous avons des intérêts et des désirs qui ne sont pas satisfaits dans le cadre de notre vie actuelle, mais dans la plupart des cas, nous prévoyons des moyens de satisfaire ces désirs dans un avenir raisonnablement proche.
Voici le quoi d’une histoire : il est difficile d’écrire sur un personnage heureux car les personnages heureux sont ennuyeux.
L’histoire centrée sur les personnages apparaît lorsqu’une partie du rôle d’un personnage dans la vie devient insupportable. Un personnage dominé par un parent ou un conjoint vicieux et capricieux ; un employé mécontent de son travail, qui éprouve un dégoût croissant pour les personnes avec lesquelles il travaille ; une mère lasse de son rôle d’éducatrice et qui aspire au respect des autres ; un criminel de carrière, rongé par la peur et désireux de s’en sortir ; un amoureux dont le partenaire a été infidèle et qui ne supporte pas de vivre avec cette trahison.
La situation impossible peut durer depuis un certain temps, mais l’histoire ne commence pas avant que la situation n’atteigne un point culminant – avant que le personnage n’atteigne le point où le prix à payer pour rester dans cette situation impossible est trop élevé.
Parfois, le protagoniste d’une histoire se défait très facilement de son ancien rôle, et l’histoire consiste en la recherche d’un nouveau rôle. Parfois, le nouveau rôle est facile à envisager, mais se détacher des anciens liens est très difficile.
« Se détacher » ne signifie pas toujours physiquement – les histoires de personnages les plus complexes et les plus difficiles sont celles de personnes qui tentent de changer une relation sans abandonner la personne.
Le récit de personnage est celui qui nécessite la caractérisation la plus complète. Aucun raccourci n’est possible. Les lecteurs/spectateurs doivent comprendre le personnage dans son rôle original, impossible, afin qu’il comprenne et, en général, qu’il sympathise avec la décision de changer. Ensuite, les changements du personnage doivent être justifiés afin que le lecteur ne doute jamais que le changement est possible. Vous ne pouvez pas faire en sorte qu’une prostituée de longue date aille soudainement à l’université sans nous montrer que la soif d’éducation et la capacité intellectuelle recherchée ont toujours fait partie de son caractère.
Le protagoniste, le personnage dont le changement est le sujet de l’histoire, doit être pleinement caractérisé ; il en va de même pour chaque personne dont la relation avec le protagoniste fait partie de son besoin de changement ou d’un nouveau rôle satisfaisant.
Mais les autres personnes de l’histoire seront caractérisées de manière moins complète parce que cela est inutile. La caractérisation n’est pas une vertu, c’est une technique ; vous l’utilisez quand elle peut améliorer votre histoire, et quand elle ne le peut pas, vous ne l’utilisez pas, conseille Orson Scott Card.
L’événement
Toute histoire relate des événements dans le sens où, de temps en temps, il se passe quelque chose qui a des causes et des conséquences. Mais l’histoire dans laquelle les événements sont au centre des préoccupations suit un schéma particulier : le monde est, d’une manière ou d’une autre, en chaos (déséquilibre, injustice, effondrement, malfaisance, décadence, maladie) et l’histoire porte sur les efforts déployés pour rétablir l’ordre ancien ou en établir un nouveau.
La structure d’un récit où l’événement domine est simple : elle commence lorsque le personnage principal s’implique dans l’effort de guérison du monde, et se termine lorsqu’il atteint son objectif ou échoue complètement.
Pourquoi l’événement occupe t-il une place si importante ? Il naît du besoin humain de donner un sens aux choses qui se passent autour de nous ; l’histoire événementielle part de l’hypothèse qu’une sorte d’ordre devrait exister dans le monde, et notre croyance même en l’ordre dans la fiction nous aide à créer un ordre dans la réalité.
Quelle est l’importance de la caractérisation dans un récit fondé sur l’événement ? La plupart du temps, cela dépend de l’auteur ou de l’autrice. Il est possible de raconter une histoire événementielle puissante dans laquelle les personnages ne sont rien d’autre que ce qu’ils font et pourquoi ils le font – nous pouvons sortir de tels récits avec le sentiment de connaître le personnage parce que nous avons vécu tant de choses avec lui, même si nous n’avons presque rien appris sur les autres aspects de sa personnalité.
Bien que Lancelot, par exemple, soit un acteur majeur des légendes arthuriennes, il a rarement été dépeint comme un individu complexe au-delà des simples faits de sa relation avec Arthur et Guenièvre.
Pourtant, il est également possible de caractériser plusieurs personnes dans l’histoire sans interférer du tout avec la progression du récit. En fait, le processus d’invention des personnages introduit souvent plus de possibilités pour l’histoire de sorte que l’événement et le personnage se développent ensemble.
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