Un scénario peut s’écrire avec différentes structures. Certaines sont cependant plus exactes selon les exigences du récit.
Il est admis que la structure participe à la créativité. Il est facile de penser qu’elle impose des limites à l’auteur ou à l’autrice. Elle les libère plutôt de la forme et leur permet de se concentrer sur le contenu.
Il est facile aussi de penser que plus une certaine structure est utilisée, plus elle devient une formule : Est-ce qu’on peut véritablement créer sous l’emprise d’une formule ?
Cependant, en tant que scénariste, apprenez à connaître ces outils, que ce soit comme point de référence, comme aide au diagnostic, ou même comme modèles à éviter pour créer vos propres récits qui satisfont sur le plan émotionnel, intellectuel et spirituel. Les structures sont souvent très utiles lors de la révision de récits qui ne fonctionnent pas complètement.
Joseph Campbell : le Hero’s Journey
Joseph Campbell était un mythologue. Il a analysé des centaines de mythes de toutes les cultures du monde et de toutes les époques. Il en a déduit un modèle qu’il a nommé le monomythe plus connu néanmoins sous cette expression de Hero’s Journey qui décrit le parcours (journey) d’un héros.
Ce parcours s’établit en 17 étapes :
- Departure
- The Call to Adventure
C’est littéralement l’appel à l’aventure. - The Refusal of the Call
Une aventure qui est d’abord refusée. Même si son quotidien est déplorable, il est au moins rassurant. - Supernatural Aid
Une aide est apportée au héros, suffisante pour le rendre plus sage et plus fort et, espérons-le, mieux à même de relever les défis de l’aventure.
L’aide donnée peut inclure des cartes, des informations, des armes ou un talisman spécial. Elle peut être découverte par le héros, mais elle est souvent fournie par une sorte de mentor. Le héros peut également être rejoint par un compagnon, voire un groupe entier, qui l’aidera en cours de route mais ne pourra pas faire ce que le héros doit faire. - The Crossing of the First Threshold
C’est ce moment où le héros entre réellement dans l’aventure, quittant les limites connues de son monde pour s’aventurer dans un royaume inconnu et dangereux où les règles et les limites sont inconnues. C’est comme le passage d’un seuil. - The Belly of the Whale
On peut l’assimiler ici au passage dans l’acte Deux, l’espace de l’intrigue proprement dite.
- The Call to Adventure
- Initiation
- The Road of Trials
Des épreuves attendent le héros. - The Meeting with the Goddess
Sur sa route, le héros peut rencontrer une figure féminine puissante avec laquelle il trouve une sorte d’unité et de lien.
La figure féminine représente l’anima du héros, sa part féminine. Cette Goddess (déesse) ou God (dieu) pourrait être un être mystique ou surnaturel ou bien une femme ou un homme ordinaire avec qui le héros gagne soutien et synergie. - Woman as Temptress
En cours de route, le héros peut rencontrer la tentation, souvent sous forme féminine.
Cette tentation offre au héros un soulagement ou une gratification à court terme, mais céder à cette pulsion entraînerait l’échec de la mission et prouverait que le héros est indigne. Ulysse s’est enchaîné pour ne pas céder au charme fatal des Sirènes. Joseph Campbell n’est pas misogyne. C’est un constat. Si vous avez une héroïne aux atours de héros, vous pourriez interpréter ce Woman as Temptress comme une tentation simplement de n’importe quelle forme. - Atonement with the Father
Le héros peut se heurter à une « figure paternelle » qu’il faut vaincre, persuader ou dont il faut obtenir l’approbation d’une manière ou d’une autre (Atonement signifie expiation. C’est un thème que vous pourriez développer à cette étape).
En fin de compte, par quelque moyen que ce soit, la relation difficile entre les deux doit être réconciliée. Il peut s’agir d’une personne ayant une autorité ou un pouvoir important. Il peut également s’agir d’un dieu ou d’un immortel quelconque. La figure paternelle peut même être quelque chose de symbolique, comme un idéal ou un concept qui sert de directive au héros. - Apotheosis
Dans ce Hero’s Journey, Apotheosis est plus ou moins l’équivalent du « climax » d’une histoire conventionnelle. À ce stade, notre protagoniste affronte son plus grand ennemi et obtient un nouveau pouvoir ou une nouvelle compréhension du monde en récompense de sa victoire.
Pour Campbell, ce moment est décrit comme Death and Rebirth, c’est-à-dire comme une nouvelle naissance (ce qui laisse supposer la mort de sa vie précédente). Tout cela est très symbolique. - The Ultimate Boon
Nous sommes maintenant à la deuxième phase de cette ultime épreuve. Contrairement à Apotheosis (le climax est une apogée), qui a généralement lieu avant ou pendant l’ultime combat contre le « méchant », cette étape du Hero’s Journey intervient généralement après le combat, voire au dénouement. On peut l’assimiler à une anagnorisis (une découverte importante surtout sur soi-même car aller à la rencontre de soi est souvent très difficile surtout si on s’est perdu de vue depuis un moment).
Boon (qu’on peut traduire par bienfait, bénédiction ou encore atout) est essentiellement un cadeau offert au protagoniste en récompense de la réalisation de son objectif. Il peut s’agir de différentes choses pour différents héros, mais ce que tous les boons ont en commun est le fait qu’ils représentent quelque chose de grande valeur pour le héros.
- The Road of Trials
- Return
- Refusal of the Return
Tout comme il y a eu réticence au départ, on retrouve cette attitude lorsque le retour se fait nécessité. - The Magic Flight
Si le héros a obtenu cet Ultimate Boon par la ruse ou la manipulation des dieux, son retour chez lui peut être marqué par une traque, les dieux cherchant à récupérer l’élixir qui leur a été volé. C’est ce qu’on appelle le Magic Flight. Le retour chez soi n’est pas tranquille. - Rescue from Without
Si cette étape du Hero’s Journey ne se déroule pas toujours à cet endroit précis, dans la plupart des histoires, le héros doit être sauvé par quelqu’un d’autre que lui-même pour remplir sa mission ultime. Ainsi, dans Matrix, Trinity ramène Neo à la vie. - The Crossing of the Return Threshold
C’est une parfaite symétrie du Departure (The Crossing of the First Threshold). - Master of Two Worlds
Cette maîtrise de deux mondes (Master of Two Worlds) est l’étape du Hero’s Journey au cours de laquelle le héros peut se déplacer de manière fluide entre les deux mondes, sans détruire ou compromettre l’un ou l’autre. - Freedom to Live
Dans cette étape, la compréhension des deux mondes conduit à la libération de l’être qui n’a plus peur de la mort, ce qui signifie la liberté de vivre. C’est ce qu’on appelle parfois vivre le moment présent, sans anticiper l’avenir ni regretter le passé.
- Refusal of the Return
The Hero’s Journey vu par Christopher Vogler
Christopher Vogler résume en 12 étapes le Hero’s Journey :
- The Ordinary World
C’est le quotidien du héros. Un monde fait d’habitudes. Un monde insatisfaisant que le héros aspire à abandonner. - The Call to Adventure
- The Refusal of the Call
Ces deux étapes peuvent être assimilées à l’incident déclencheur. Une rencontre par exemple peut promettre un nouvel horizon. Mais l’innovation promise peut être angoissante d’où ce recul face à ce désir qui nous attire et nous révulse à la fois. - The Meeting with the Mentor
Un exemple suffira : la rencontre entre Obi Wan Kenobi et Luke. - Crossing the First Threshold
- Tests, Allies, Enemies
En franchissant le seuil, nous nous sommes engagés – par l’action – à trouver une nouvelle voie, et à faire la différence en choisissant de faire quelque chose de différent de ce que ceux qui nous entourent ont fait auparavant. Le héros sera soumis à un certain nombre d’épreuves pour s’assurer de sa détermination, se fera des alliés et bien sûr des ennemis. - Approach to the Inmost Cave
Approach of the Inmost Cave est un endroit dans le récit où personne n’est jamais allé, personne ne sait ce qu’il y a dedans et quelqu’un doit pourtant y aller. Dans Le Hobbit, Bilbon Sacquet, au cours de son voyage, est tombé sur une grotte en gravissant la montagne. Il n’avait aucune idée de l’endroit où elle menait. Alors qu’il était à l’intérieur de la grotte, il a trouvé un anneau. C’était l’anneau de Gollum.
Le héros doit faire les préparatifs nécessaires pour s’approcher de cette grotte si personnelle qui mène au cœur du voyage, ou épreuve centrale, c’est-à-dire cet affrontement à soi-même. Il ne comblera peut-être pas son besoin (intérieur alors que le désir s’oriente vers l’extérieur) mais du moins, il en prendra conscience. Et c’est déjà une grande avancée. - The Supreme Ordeal
C’est le climax, l’épreuve ultime. - The Reward
Une fois que notre héros s’est joué de la mort au cours de la Supreme Ordeal précédente et s’est emparé de l’épée, le prix tant recherché est à lui.
La récompense (The Reward) du Hero’s Journey peut être un objet réel, comme le Saint Graal, ou bien la connaissance et l’expérience qui mènent à une meilleure compréhension et à la réconciliation (une anagnorisis étendue en quelque sorte). Parfois, la récompense est l’amour comme dans le cas de Valerian et de Laureline. - The Road Back
Le héros voit la lumière au bout du tunnel, mais il est sur le point d’affronter encore plus d’épreuves et de défis. - The Resurrection
Cette étape est souvent considérée comme le climax du récit. Vogler décrit la résurrection par le biais de l’architecture sacrée qui, selon lui, vise à créer le sentiment de résurrection en confinant les fidèles dans un hall étroit et sombre, comme sur le point de naître ou de renaître à la lumière, avec un sentiment de libération, de délivrance.
Lors de la résurrection, la mort et les ténèbres sont rencontrées une fois de plus avant d’être définitivement vaincues. La menace est générale (c’est en effet le moment le plus proche du chaos en cas d’échec). Le héros n’est pas le seul concerné. Les enjeux sont à leur paroxysme. - The Return with the Elixir
The Return with the Elixir est la dernière étape du Hero’s Journey tel que le conçoit Christopher Vogler à partir des recherches de Joseph Campbell. Le héros retourne dans sa communauté. Il a suffisamment mûri pour être une force de changement au sein de cette communauté. Il apporte la guérison et la plénitude à la société dans son ensemble. Cette guérison (l’élixir) peut être physique, spirituelle, ou les deux.
La structure du récit selon John Truby
John Truby, analyste en scénarisation, a développé un modèle de structure d’histoire classique (Classic Story Structure) qui va quelque peu à l’encontre du paradigme structurel en 3 actes de Syd Field.
Problem & Need
Le « besoin » du héros (need) est la nécessité de surmonter un défaut fondamental dans la personnalité du personnage (une faiblesse) afin d’accomplir son désir. Il est important de noter que le désir ne peut être réalisé que si cette faille du héros ou de l’héroïne est surmontée.
Le besoin (need) du héros est le moteur interne du récit. Cet arc dramatique, cette évolution du personnage est fondamentale. Elle constitue une ligne dramatique à elle seule. Elle décrit pourquoi et comment le personnage change afin d’atteindre son désir (Desire, ci-dessous). Tout au long de l’histoire, le héros entreprend un processus évolutif interne pour satisfaire ce besoin et surmonter son défaut.Pour ceux qui connaissent la théorie narrative Dramatica, Problem tel que le conçoit John Truby pourrait être rapproché de ce que Dramatica nomme Issue, c’est-à-dire un thème qui, chez Truby, devient un problème moral.
Desire
Une histoire existe sur deux plans : externe et interne. Désir et besoin.
Le « désir » du héros (Desire) est l’objectif externe, tangible, qu’il poursuit pendant toute la durée de l’histoire. Le désir peut s’atténuer ou s’amplifier, mais il ne change pas. Ce n’est pas dans sa nature. Un désir fondamentalement modifié donne lieu à un nouveau récit. Une histoire est l’exploration du processus psychologique d’une volonté, donc un nouveau désir commencerait un nouveau processus et donc une nouvelle histoire.Pour qu’un désir soit viable, le lecteur/spectateur doit être capable d’identifier le moment où ce désir est atteint ou à jamais perdu. « Devenir célèbre » est un exemple de désir ambigu (frustrant pour le lecteur) alors que « gagner les demi-finales » est un exemple de désir viable et tangible.
Les actions du héros sont fondamentalement motivées par ce désir et, par conséquent, le mouvement qui mène à la réalisation ou à l’échec d’un désir (c’est-à-dire d’une volonté) est le moteur externe de l’histoire.Opponent
C’est l’archétype de la force antagoniste. Pour Truby, c’est le personnage qui concourt pour le même objectif que le héros.Plan
Pour mener à bien son désir, le personnage principal mettra au point une stratégie. Dit autrement, il planifie son action afin de vaincre l’adversité (souvent incarnée, l’Opponent donc) et triompher (ce qui n’est jamais acquis).Battle
C’est le climax, c’est l’ultime confrontation. C’est à ce moment qu’auteur et autrice donnent leur vérité. Cette Battle est le conflit final. Elle détermine qui, le cas échéant, remporte l’objectif. Un grand conflit violent, bien que courant, est la forme la moins intéressante pour le climax. La violence comporte beaucoup de feux d’artifice mais pas beaucoup de sens. Battle doit donner au lecteur/spectateur l’expression la plus claire de ce pour quoi les deux camps se battent. L’accent ne doit pas être mis sur une force supérieure, mais sur les idées ou les valeurs qui l’emportent.Battle est le point de convergence de l’histoire. Tout converge ici. Elle rassemble tous les personnages et les différentes lignes d’action. Elle se déroule dans le plus petit espace possible, ce qui renforce le sentiment de conflit et de pression insoutenable. Battle est le moment où le héros satisfait généralement (mais pas toujours) son besoin (Need) et accomplit son désir (Desire). C’est aussi à ce moment qu’il ressemble le plus à son principal adversaire. Mais dans cette similitude, les différences cruciales entre eux deviennent encore plus claires.
Enfin, Battle est le moment où le thème s’expose clairement pour la première fois dans l’esprit du lecteur. Dans le conflit de valeurs, lecteurs et lectrices voient clairement pour la première fois quelle est la meilleure façon d’agir et de vivre (selon l’intention de l’auteur et de l’autrice).Self-Revelation
La compréhension fondamentale que le héros ou l’héroïne acquièrent sur eux-mêmes et qui répond à leur besoin. C’est l’application de cette anagnorisis que nous tenons de la tragédie grecque.New Equilibrium
Enfin, un nouvel équilibre est atteint.
A partir de ces 7 points majeurs d’un récit, John Truby étend jusqu’à 22 moments englobant les scènes et les séquences (une séquence se compose de plusieurs scènes qui peuvent être distribuées tout au long du récit selon les exigences de l’histoire [un récit se compose d’événements qui se produisent chronologiquement alors que l’histoire réorganise les événements afin de les exposer au mieux de son expression]).
Maureen Murdock : The Heroine’s Journey
Joseph Campbell et Christopher Vogler sont orientés vers le héros (bien qu’une héroïne puisse y trouver sa place). Néanmoins, c’est en 1990 que Maureen Murdock proposa The Heroine’s Journey en réponse au Hero’s Journey de Campbell.
En 1949, Joseph Campbell a présenté un modèle du parcours mythologique du héros dans Le héros aux mille visages (The Hero with a Thousand Faces), qui a depuis été utilisé comme paradigme pour le développement psycho-spirituel de l’individu.
Ce modèle, riche en mythes sur les épreuves (la douleur du monde sur les épaules de chaque individu) et les réussites de héros masculins comme Gilgamesh, Ulysse et Perceval, commence par un appel à l’aventure (Call to Adventure). Le héros franchit le seuil vers des royaumes inconnus (The Crossing of the First Threshold), rencontre des guides surnaturels (The Meeting with the Goddess) qui l’aident dans son périple, et affronte des adversaires ou des gardiens du seuil (The threshold guardians car franchir le seuil est une épreuve en soi).
Ces adversaires tentent de bloquer sa progression. Le héros commence son initiation au début de l’intrigue proprement dite (The Belly of the Whale), traverse une série d’épreuves qui mettent ses compétences à rude épreuve (Christopher Vogler a regroupé sous Tests, Allies, Enemies toutes ces expériences nécessaires pour que le héros grandisse de ses tribulations et pérégrinations) et doit donc résoudre les conflits avant de trouver la bénédiction (The Ultimate Boon) qu’il recherche – symbolisée de diverses manières par le Graal, la Rune de la sagesse ou la Toison d’or.
Il rencontre une partenaire mystérieuse sous la forme d’une ou plusieurs déesses, conclut un mariage sacré et franchit à nouveau le seuil final (The Crossing of the Return Threshold) pour rapporter le trésor qu’il a trouvé à la communauté.
Le Hero’s Journey est une quête de l’âme et est relaté dans les mythologies et les contes de fées du monde entier. Ce motif de quête n’aborde toutefois pas le voyage archétypal de l’héroïne.
Pour les femmes contemporaines, il s’agit de guérir la blessure du féminin qui existe au plus profond d’elles-mêmes et des cultures (de nouveau la douleur de vivre telle que l’a si bien décrite le philosophe pessimiste Schopenhauer).
En 1990, Maureen Murdock a écrit The Heroine’s Journey : Woman’s Quest for Wholeness, en réponse au paradigme de Joseph Campbell. Murdock, qui avait étudié le travail de Campbell, estimait que le modèle de ce dernier ne tenait pas compte du parcours psycho-spirituel spécifique des femmes contemporaines.
Elle a développé un modèle décrivant la nature cyclique de l’expérience féminine. La réponse de Campbell à son modèle fut la suivante : « Les femmes n’ont pas besoin de faire ce voyage. Dans toute la tradition mythologique, la femme est là. Tout ce qu’elle a à faire, c’est de réaliser qu’elle est le lieu que l’on cherche à atteindre » (Campbell, 1981).
Cela peut être vrai d’un point de vue mythologique, car le héros ou l’héroïne cherche l’illumination, mais d’un point de vue psychologique, le parcours de l’héroïne contemporaine comporte différentes étapes.
The Heroine’s Journey commence par une séparation initiale des valeurs féminines (Separation from the feminine), la recherche de la reconnaissance et de la réussite dans une culture patriarcale, l’expérience de la mort spirituelle et le retour sur soi pour récupérer le pouvoir et l’esprit du féminin sacré (Awakening to Feelings of Spiritual Aridity : Death – Initiation & Descent to the Goddess).
Les étapes finales impliquent une reconnaissance de l’union et du pouvoir de sa double nature pour le bénéfice de toute l’humanité (Integration of Masculine & Feminine).
En s’appuyant sur les mythes culturels, Murdock illustre un modèle de cheminement alternatif à celui de l’hégémonie patriarcale. Il est devenu un modèle pour les romanciers et les scénaristes, éclairant la littérature féministe du vingtième siècle.
The Heroine’s Journey est basé sur l’expérience de filles qui ont idéalisé, se sont identifiées et se sont étroitement alliées à leurs pères ou à la culture masculine dominante (Identification with the Masculine & Gathering of Allies). Cela se fait au prix de la dévalorisation de leur propre mère et d’un dénigrement des valeurs féminines.
Cela se produit tant chez les hommes que chez les femmes, si ce n’est pas à un niveau personnel, certainement à un niveau collectif. Si le féminin est perçu comme négatif, sans pouvoir ou manipulateur, la petite fille peut rejeter les qualités qu’elle associe au féminin, y compris des qualités positives telles que l’aptitude à élever un enfant, l’intuition, l’expressivité émotionnelle, la créativité et la spiritualité.
Au niveau culturel, la séparation du féminin (Separation from the feminine) résulte d’une réaction à des images du féminin présentées par les médias auxquelles il est impossible de s’identifier ou d’un manque d’images féminines dans la religion (le débat autour de Marie-Madeleine est très révélateur à ce propos).
Les dieux et les déesses sont souvent considérés comme des façons différentes d’être dans le monde et la déesse antique Athéna symbolise la deuxième étape du Heroine’s Journey (Identification with the Masculine & Gathering of Allies).
Cette déesse grecque protectrice de la cité d’Athènes (donc de la civilisation) est sortie totalement épanouie de la tête de son père, Zeus. Sa mère Métis avait été avalée par Zeus, privant ainsi Athéna d’une relation avec sa mère.
Cette étape implique une identification au masculin en général. Il ne s’agit pas de l’animus (la part masculine en la femme théorisée par Jung). Il s’agit plutôt du masculin patriarcal extérieur dont la force motrice est le pouvoir.
Dans une société patriarcale, un individu est poussé à chercher à se contrôler et à contrôler les autres dans un désir inhumain de perfection. La jeune fille peut considérer les hommes et le monde masculin en général comme le monde des adultes et s’identifier à sa voix masculine intérieure (cette fois, c’est l’animus qui prend le dessus), qu’il s’agisse de la voix de son père, de Dieu le père, de sa hiérarchie professionnelle ou de l’église.
Malheureusement, la conscience masculine tente souvent d’exprimer le féminin ; elle intervient, interrompt et prend le dessus, sans attendre que le corps de la jeune fille connaisse sa vérité.
L’étape suivante, comme le Hero’s Journey, est la route des épreuves (Road of Trials, Meeting Ogres & Dragons) où l’accent est mis sur les tâches nécessaires au développement de l’ego.
Dans le monde extérieur, l’héroïne passe par les mêmes épreuves que le héros pour atteindre le succès. Tout est axé sur l’ascension de l’échelle sociale, le prestige, la position et l’équité financière, et le sentiment de puissance dans le monde.
Cependant, dans son monde intérieur, la tâche de l’héroïne consiste à surmonter les mythes de la dépendance, de l’infériorité féminine ou de la pensée déficitaire (Deficit Thinking), et de l’amour romantique.
De nombreuses femmes ont été encouragées à être dépendantes, à ignorer leurs besoins en faveur de l’amour d’autrui, à protéger autrui, et cela au détriment de leur réussite et de leur autonomie.
Nous vivons dans une société dominée par une perspective masculine où le féminin est perçu comme inférieur au masculin. La voix féminine, celle de l’expérience et de la connaissance sensible, intuitive, n’est pas considérée comme aussi valable que la voix masculine, celle de l’analyse.
Dans certaines familles, cultures et religions, naître dans un corps féminin est un acte de second ordre ; l’enfant de sexe féminin a donc échoué dès le départ et est marqué psychologiquement comme inférieur uniquement en raison de son sexe.
En ce siècle, la question morale la plus importante, des pays du tiers monde aux grandes puissances mondiales, est l’abus et l’oppression des femmes et des filles dans le monde entier.
La première partie du Heroine’s Journey est propulsée par l’esprit et la seconde partie consiste en des réponses orchestrées par le cœur. L’héroïne a travaillé sur les tâches de développement nécessaires pour devenir un adulte, pour s’individualiser et pour établir son identité dans le monde extérieur.
Cependant, bien qu’elle ait atteint ses objectifs durement gagnés, elle peut éprouver un sentiment d’aridité spirituelle. Son fleuve de créativité s’est tari et elle commence à se demander « Qu’ai-je perdu dans cette quête héroïque ? » (Awakening to Feelings of Spiritual Aridity : Death). Elle a réalisé tout ce qu’elle avait prévu, mais au prix d’un grand sacrifice pour son âme. Sa relation avec son monde intérieur lui est devenue étrangère. Elle se sent opprimée mais ne comprend pas la source de sa victimisation.
À ce stade, elle a peur de regarder au fond d’elle-même et s’accroche plutôt à des modèles de comportement passés, à d’anciennes relations et à un style de vie familier. Il y a une peur de dire « non » et la tension de ne pas savoir ce qu’il va suivre.
Selon l’analyse jungienne Marion Woodman, il faut un ego fort pour survivre aux ténèbres, être dans l’attente, soutenir une tension permanente, attendre on ne sait quoi. Mais si nous pouvons tenir assez longtemps, une faible lumière est conçue dans l’obscurité de l’inconscient, et si nous pouvons attendre et tenir, en son temps elle naîtra dans son plein rayonnement.
L’ego doit alors être assez aimant pour recevoir le don et le nourrir convenablement pour que la nouvelle vie puisse finalement transformer toute la personnalité.
À ce stade, l’héroïne est confrontée à une chute ou Dark Night of the Soul, une période de déstructuration et de démembrement majeurs. C’est un terme utilisé pour décrire ce que l’on pourrait appeler un effondrement de la perception du sens de la vie… une irruption dans votre vie d’un profond sentiment d’insignifiance.
Dans certains cas, l’état intérieur est très proche de ce que l’on appelle conventionnellement la dépression. Rien n’a plus de sens, rien n’a de sens. Parfois, il est déclenché par un événement extérieur, un désastre peut-être. La mort d’un proche peut le déclencher, en particulier une mort prématurée, par exemple la mort d’un enfant.
Ou bien vous aviez construit votre vie, et lui aviez donné un sens – et le sens que vous aviez donné à votre vie, à vos activités, à vos réalisations, à votre destinée, à ce que vous considériez comme important, ce sens que vous aviez donné à votre vie pour une raison quelconque s’effondre.
Cette chute (Initiation & Descent to the Goddess) apporte de la tristesse, de la souffrance, un sentiment d’être perdu et désorienté. Ce qui précipite généralement une personne dans une telle chute est l’abandon du foyer, la séparation d’avec les parents, la mort d’un enfant, d’un amant ou d’un conjoint, la perte d’identité ou de sa place dans le monde, une maladie physique ou mentale grave, une dépendance, la transition vers la quarantaine, un divorce, le vieillissement ou être frappé d’ostracisme.
La chute peut prendre des semaines, des mois, des années, et ne peut être précipitée car l’héroïne récupère non seulement des parties d’elle-même, mais aussi l’âme perdue d’une culture. Il s’agit ici de récupérer les parties du soi qui ont été écartées lors de la séparation originale du féminin (Separation from the feminine) – parties qui ont été ignorées, dévalorisées et réprimées, mots et sentiments ravalés dans une quête incessante de la réussite.
Le démembrement (Joseph Campbell avait déjà introduit le terme de démembrement dans le Monomythe au sens véritable d’une séparation, d’un arrachement à un milieu, une communauté, la famille…) et le renouvellement sont un élément clé de l’ancien mythe sumérien d’Inanna et d’Ereshkigal (La Descente d’Inanna aux Enfers).
D’où le terme Descent dans l’articulation 6 : Initiation & Descent to the Goddess).
Inanna, la reine du monde d’en haut, se rend aux Enfers pour rejoindre sa sœur Ereshkigal, la reine du monde d’en bas qui porte le deuil de son mari Gugalanna. Un deuil dont Inanna se réclame pour justifier sa descente aux Enfers.
Inanna franchit sept seuils et sept portes pour accompagner sa sœur dans sa douleur. À chaque porte, elle se dépouille des symboles de son pouvoir. Lorsqu’elle atteint les Enfers, Ereshkigal pose sur elle l’œil de la mort et suspend son corps sans vie à un piquet pour qu’elle y pourrisse.
Inanna se sacrifie pour répondre au besoin de vie et de renouveau de la terre. Sa mort et son retour à la vie (par l’intervention du dieu Enki) précèdent de trois mille ans la crucifixion et la résurrection de Jésus-Christ.
Au stade suivant du Heroine’s Journey (Urgent Yearning to Reconnect with the Feminine), la femme cherche à retrouver un lien avec le féminin sacré afin de mieux comprendre sa propre psyché.
Elle peut s’impliquer dans des recherches sur d’anciennes figures de déesses comme Inanna, Ereshkigal, Déméter, Perséphone, Kali ou les mystères mariaux. Il y a un désir urgent de se reconnecter au féminin (Urgent Yearning to Reconnect with the Feminine) et de surmonter la séparation mère/fille (c’est le terme Healing qu’on traduit habituellement par guérison dans l’articulation 7 : Healing the Mother/Daughter Split), une séparation qui s’est produite lors du rejet initial du féminin (Separation from the Feminine).
Cela peut ou non impliquer un rétablissement des liens avec sa propre mère ou sa propre fille, mais cela implique généralement d’intégrer cette séparation d’avec le féminin et de retrouver une relation, une acceptation avec le corps féminin, l’intuition et la créativité.
L’étape suivante (Healing the Wounded Masculine) consiste à guérir les aspects non associés ou blessés de sa nature masculine. L’héroïne reconsidère ses projections négatives sur les hommes et change sa vie en conséquence.
Il s’agit d’identifier les parties d’elle-même qui ont ignoré sa santé tant physique que mentale et ses sentiments, refusé d’accepter ses limites, lui ont dit de tenir bon et ne l’ont jamais laissée en paix.
Il s’agit aussi de prendre conscience des aspects positifs de sa nature masculine qui soutiennent son désir de concrétiser son image, l’aident à dire sa vérité et à s’approprier sa propre identité et son propre pouvoir.
L’étape finale du Heroine’s Journey est le mariage sacré du masculin et du féminin, le hieros gamos (Integration of Masculine & Feminne).
La femme se souvient de sa vraie nature et s’accepte telle qu’elle est, en intégrant les deux aspects de ce qu’elle est. C’est un moment de reconnaissance, une sorte de réminiscence de ce que, quelque part au fond d’elle-même, elle a toujours su.
Les problèmes actuels ne sont pas résolus, les conflits demeurent, mais sa souffrance, pour autant qu’elle ne s’y dérobe pas, conduira à une nouvelle vie. En développant une nouvelle conscience féminine, elle doit avoir une conscience masculine tout aussi forte pour faire entendre sa voix dans le monde.
L’union du masculin et du féminin implique de reconnaître les blessures, de les bénir et de s’en libérer. L’héroïne doit devenir une combattante spirituelle. Pour cela, elle doit apprendre l’art délicat de l’équilibre et avoir la patience d’intégrer lentement et subtilement les aspects féminins et masculins de sa nature.
Elle a d’abord envie de perdre son moi féminin et de fusionner avec le masculin, et une fois qu’elle l’a fait, elle commence à réaliser que ce n’est ni la réponse ni l’objectif. Elle ne doit ni rejeter ni abandonner ce qu’elle a appris tout au long de sa quête héroïque, mais considérer ses compétences et ses succès durement acquis non pas tant comme le but à atteindre que comme une partie de l’ensemble du voyage.
Cet accent mis sur l’intégration et la conscience de l’interdépendance qui en résulte sont nécessaires pour chacun d’entre nous de nos jours, alors que nous travaillons ensemble pour préserver la stabilité et l’équilibre de la vie sur terre (Murdock, 1990).
Separation from the Feminine
Identification with the Masculine & Gathering of Allies
Road of trials, Meeting Ogres & Dragons
Finding the Boon of Success
Awakening to Feelings of Spiritual Aridity : Death
Initiation & Descent to the Goddess
Urgent Yearning to Reconnect with the Feminine
Healing the Mother/Daughter Split
Healing the Wounded Masculine
Integration of Masculine & Feminine
Robert McKee
Robert McKee est parvenu à combiner les trois actes aristotéliciens avec une structure narrative classique en cinq articulations.
Inciting Incident
C’est un événement unique qui, soit arrive directement au protagoniste, soit est causé par le protagoniste. Par conséquent, le protagoniste est immédiatement conscient que sa vie (son monde, ses croyances, ses habitudes…) est déséquilibrée pour le meilleur ou pour le pire. Cela signifie par exemple que notre personnage principal rencontre ou consomme son amant pour la première fois, ce qui peut être une chose positive ou négative.
C’est à ce moment que notre personnage principal réalise qu’il doit quitter la ville à la recherche de quelque chose de plus grand… L’incident déclencheur (Inciting Incident) peut être une personne qui montre à notre personnage principal que la vie est plus importante que ce qu’il pense. Cela le motive à agir et à changer d’une manière ou d’une autre l’équilibre du monde actuel au cours de la phase d’exposition.Le protagoniste doit réagir à l’incident déclencheur.
Il réagit et agit en fonction de son désir, conscient ou inconscient. L’action qu’il entreprend peut donc être l’expression consciente ou inconsciente de son désir, c’est-à-dire l’expression superficielle de son besoin plus personnel et plus intérieur. Ce besoin du personnage principal est le cœur de l’histoire, il est la justification de toute l’histoire.L’incident déclencheur est un événement qui déséquilibre la vie d’un personnage, suscitant en lui le désir conscient ou inconscient de ce qui, selon lui, rétablira l’équilibre, le lançant dans une quête de l’objet de son désir contre des forces antagonistes (intérieures, personnelles, extra-personnelles). Il peut y parvenir ou non. C’est ainsi que s’écrit une histoire en quelques mots.
Progressive Complications
À première vue, les termes « complication » et « complexité » semblent avoir une signification similaire. Mais dans le contexte de l’écriture, ce sont deux termes techniques différents, ainsi définis :
Complication : Ce terme fait référence à l’un des trois niveaux de conflit (intérieur, personnel ou extra-personnel) présents dans le récit. Une œuvre qui présente une complication et une seule ne comporte qu’un seul des trois niveaux de conflit. Une histoire qui ne comporte qu’un conflit intérieur serait plutôt psychologique, de forme libre. Une histoire ne comportant que des conflits personnels serait un soap opera (Friends par exemple). Et une œuvre avec uniquement un conflit extra-personnel serait un récit d’action/aventure, comme James Bond.
Complexité : On parle de complexité lorsque les trois niveaux de conflit sont présents dans une œuvre, souvent simultanément.
La plupart des histoires que nous avons lues et des films que nous avons vus étaient complexes. De plus en plus, nous exigeons la complexité de nos personnages. Nous voulons que chaque personnage soit tridimensionnel, avec ses propres conflits intérieurs et personnels, en plus des conflits extra-personnels le cas échéant.Crisis
Crisis signifie décision ou dilemme (selon la terminologie de Robert McKee). Dans un récit, c’est un moment décisif, la dernière chance où le protagoniste doit rassembler toutes ses forces, son ingéniosité et son courage dans un ultime effort pour vaincre les forces antagonistes qui gardent le prix.
Au cours des deux premières parties de la structure en cinq parties – l’incident déclencheur et les complications progressives – la tension est montée. À la troisième partie, la crise (le moment de tension maximale), nous faisons une pause. Nous laissons le lecteur/spectateur retenir son souffle en se demandant ce qu’il va se passer.Climax
Le climax est généralement précédé d’une crise (Crisis) résultant d’un dilemme dans lequel le protagoniste est confronté à une décision finale qui change sa vie. Dans Thelma & Louise, la crise survient quelques instants avant la fin du film, juste après une course-poursuite haletante qui les amène au bord du Grand Canyon.
Le choix est simple : la prison ou la mort. Elles choisissent la mort.Dans certaines histoires, la crise peut être spatialement et temporairement séparée du climax, bien que ces deux articulations soient intimement liées dans le temps et l’espace du récit (le récit ordonne chronologiquement les événements, mais l’histoire peut les agencer différemment selon ses propres exigences).
Dans son livre Story, Robert McKee donne l’exemple de Casablanca où Rick poursuit Ilsa jusqu’à ce qu’elle lui cède finalement dans le climax de l’acte II. Dans la scène suivante, cependant, Lazlo presse Rick de rejoindre la cause antifasciste, précipitant un dilemme qui prend fin lorsque Rick met Ilsa et son mari dans un avion pour l’Amérique, sacrifiant son désir d’être avec elle.La dernière partie du troisième acte met en scène l’ultime action résultant de la décision de Rick (Crisis) d’aider le couple à s’échapper à son détriment.
Resolution
Nous continuerons ce tour d’horizon des structures dans le prochain article. En attendant, si vous estimez que notre travail mérite récompense & soutien (d’ailleurs, vous nous dites que vous appréciez Scenar Mag, Merci pour cela), pensez de temps en temps à faire un don afin de nous aider à financer nos recherches et être à vos côtés encore longtemps afin de vous aider dans tous vos projets d’écriture. Soutenez Scenar Mag. Faites un don. Merci