Continuons l’exploration des différentes personnalités que peut prendre un personnage selon Howard Lauther. Vous avez certainement constaté à la lecture des articles précédents (le tout premier de la série est ICI que je me montre parfois assez critique envers la pensée de Lauther. Cependant, chacun est libre de ses interprétations et de ses jugements.
Gardez à l’esprit, cependant, que la personnalité ou la combinaison de traits de personnalité doit servir votre histoire. Autrement posé, pensez à la personnalité comme une fonction narrative a priori.
Un personnage vraiment curieux
Un personnage curieux s’absorbe totalement dans la tâche qui le préoccupe. Il s’y engage corps et âme parce qu’il veut connaître la chose jusque dans son intimité ; c’est un être enthousiaste à découvrir les choses, à les examiner sous toutes les coutures ; en fait, il est fasciné par son environnement dans lequel il est totalement immergé ; il se montre intéressé aux choses, par les autres envers lesquels il se montre interrogateur mais pas de manière malsaine. Bien au contraire, il est intrigué par ce que les autres ont à dire et peut-être même par leurs non-dits. Il est vrai aussi qu’il peut parfois se montrer indiscret mais ses intrusions dans la vie des autres ne sont jamais vraiment néfastes. Ce serait plutôt de la compassion ; un personnage curieux est un investigateur né et par là, un peu fouineur avec une oreille toujours à l’écoute ; être curieux, c’est aussi s’impliquer, se sentir concerné, préoccupé par les choses, par les autres. La curiosité pourrait mener ainsi à une solide amitié ; Howard Lauther remarque cependant que ce personnage est toujours sondant, toujours questionnant. Il est aux aguets des moindres réponses et peut-être cherche-t-il à s’expliquer lui-même.
Le personnage vraiment curieux cherche toujours à apprendre plus sur les choses ou les autres. Il suit avec attention la piste de l’information, qu’elle soit de portée étroite ou large et qu’elle ait ou non une valeur de rédemption. En effet, dans l’acquisition des informations, le personnage pourrait être en quête d’événements passés qui apporteraient avec eux ce qui manquait dans la mémoire du personnage (simple suggestion).
Son esprit est très occupé par le qui, le quoi, le où ou le pourquoi (mais aussi et surtout par le comment) de quelque chose. Enthousiaste, si son intérêt devient une passion brûlante (une attitude qui devrait être privilégiée en fiction qui devrait s’avérer, comme le dit l’adage, plus grande que la vie elle-même). Pour Lauther, la curiosité ne serait pas innée. Un personnage devient irrésistiblement et inexplicablement attiré par l’idée d’en savoir plus sur quelqu’un ou sur une chose en particulier.
Ainsi, on peut mettre en évidence dans un récit les conditions qui ont rendu possible la nécessité de cette curiosité. Ce peut être des circonstances fortuites ou bien une volonté du personnage d’autrefois qui décida alors de donner à sa vie une orientation dans telle ou telle direction.
Malgré l’interprétation que j’en ai faite et bien qu’il me semblait que Howard Lauther avait contourné l’écueil d’un personnage qui s’ingère dans les affaires privées des autres, Lauther note néanmoins que le personnage est titillé par des informations qui concernent la vie privée d’autrui et qui, franchement, ne le regardent pas.
Dit ainsi, cette assertion est franchement négative. Mais l’auteur est libre de décider, s’il l’utilise, de quoi sera faite la curiosité d’un personnage.
Le besoin de l’information est vital pour un personnage vraiment curieux. Ainsi, ses oreilles sont constamment tendues pour découvrir quelque chose qu’il ne savait pas auparavant. Son esprit s’interroge dans la curiosité qu’il manifeste envers les choses ou les autres.
Le personnage n’est pas curieux
Lorsqu’un personnage n’est pas curieux, il est marqué par une distance qu’il prend envers les choses et les autres. On peut être curieux justement de cette distance. Certaines réponses pourrait aborder la crainte de se faire envahir. Notons ici l’inversion de polarité des valeurs. Un individu qui n’est pas curieux s’offre aux regards comme une victime. Il craint d’être un objet de curiosité pour autrui. Alors si cette manière de présenter le personnage ne convient pas pour le récit actuel, une solution serait de rendre le personnage apathique pour signifier son manque de curiosité envers les choses, les autres, en un mot, la vie. Il apparaîtrait ainsi blasé, insensible, ennuyé, déconnecté, désengagé, désintéressé, et en un mot qui résument tous ces mots : indifférent. De nouveau, on pourrait se montrer curieux vis-à-vis de cette indifférence affichée. D’abord, elle pourrait être un moyen de défense contre l’autre dont on craint l’ingérence dans notre sphère privée. L’indifférence pourrait aussi viser un personnage centré sur lui-même, une forme d’égoïsme en quelque sorte. Ou encore plus simplement, considérez que l’indifférence est l’antithèse de la curiosité. Une fois de plus , je vous convie au forum si vous souhaitez ouvrir un sujet et que nous en débattions ; Howard Lauther lit aussi dans le personnage qui n’est pas curieux, un être nonchalant, insouciant, qui s’implique peu dans la vie des autres parce qu’il est inattentif aux choses et aux êtres.
La possibilité d’en savoir plus sur un sujet particulier ou sur un individu n’intrigue pas le personnage. Il ne s’intéresse presque pas à quelque chose parce qu’il le considère comme sans importance. Son intérêt pour une question a diminué, voire s’est épuisé, car sa curiosité initiale n’a donné aucun résultat.
Les choses semblent glisser sans qu’il les remarque. Il apparaît serein mais cette sérénité apparente cache certainement quelque chose qui n’est pas écrit dans son attitude.
Durci par l’expérience, il n’a plus l’exubérance qui ouvre la voie à la curiosité. Il a tendance à penser Et alors ? plutôt que Pourquoi ?
Parce que quelque chose ne l’affecte pas immédiatement sur le plan personnel, il ne s’intéresse pratiquement pas à ses implications. Howard Lauther ajoute qu’un individu qui ne se montre pas plus curieux que cela a tendance à voir les choses d’une manière vraiment désinvolte.
L’observateur
L’observateur est un personnage aux aguets. Son attention se focalise sur un geste par exemple et il se montrera curieux en se demandant ce qu’il se cache sous l’apparence du geste. Il s’intéressera à l’histoire de ce geste. En fait, avec tous les phénomènes dont il est témoin, il ne se contente pas d’absorber et de se représenter le phénomène dans son esprit. Il cherchera les conditions de possibilité de ce phénomène. Pourquoi a-t-il lieu ici et maintenant ? ; Pourtant, l’observation ne se suffit pas à elle-même. En effet, l’observateur devra mettre en œuvre aussi son imagination pour comprendre ce qui n’est pas dit dans les apparences. Il n’a pas besoin d’une imagination débordante mais il doit pouvoir imaginer des hypothèses parce qu’il ne peut avoir vécu toutes les expériences qui pourraient ressembler plus ou moins précisément au phénomène observé ; l’observateur a une conscience de soi très présente peut-être grâce à l’attention qu’il porte à son environnement ; il ne se contente pas d’observer le monde, il est aussi à l’écoute de celui-ci. L’observation ne l’isole pas. Elle le rapproche des autres ; tout comme l’être curieux, l’observateur s’implique dans l’observation. Il a les yeux ouverts sur le monde et son acte de percevoir est plus aigu que la moyenne. Lorsqu’il s’interroge sur l’être que son regard confronte à l’insu de l’observé, il se crée un lien, certes distant, d’empathie ; un personnage observateur apparaît donc avec un esprit assez vif mais se pose comme un être réfléchi, calme, qui prend le temps de ruminer ses observations. Comme s’il y avait chez lui une méfiance qui le force à la vigilance, remarque Howard Lauther.
Sans être animé par la curiosité, le personnage observateur est habituellement attentif à presque tout ce qu’il se passe. Une symphonie d’yeux et d’oreilles. Il essaie de ne pas être pris au dépourvu. Constamment prêt à faire face à une situation d’urgence, il est prêt à stopper un péril annoncé ou à saisir une opportunité. En prêtant une attention particulière aux paroles et aux actes de ceux qu’il croise, l’observateur tente de déterminer leurs motivations.
Un personnage qui n’observe pas
Howard Lauther est clair sur ce point. Un personnage qui n’observe pas le monde est forcément un être indifférent, voire méprisant. C’est un peu délicat de créer des cases (ou des catégories aurait dit Kant) pour comprendre autrui. Un personnage de fiction devrait pouvoir être nommé par le lecteur afin d’éviter une confusion entre qui fait quoi dans l’histoire. D’où la presque nécessité de classer le mépris dans l’indifférence en jouant sur les mots et en particulier sur celui de détourner son regard du monde et donc des autres pour manifester le mépris chez un être de fiction ; un personnage inattentif (donc centré sur lui-même) se préoccupe peu d’autrui, autant des souffrances que des joies. Seul compte son intérêt personnel. Dans l’inobservation du monde, le sujet se met en avant, niant que toute forme d’altruisme puisse être un bien ; le personnage qui ramène tout à sa propre personne et dont un tel comportement se manifeste par la marque de l’égoïsme se soucie peu de ce qu’il peut arriver aux autres. Cela relève de la morale et de la conception du bien chez un tel individu. Méfions-nous néanmoins de ne pas jeter l’opprobre sur un personnage seulement parce qu’il est animé de principes qui défient l’opinion commune issue de valeurs judéo-chrétiennes. Le méchant de l’histoire possède des qualités tout à fait légitimes et qui ne le rendent pas moins digne d’estime que ceux qui pensent autrement. Sa négligence apparente de la communauté dans laquelle pourtant il vit pourrait viser la dénonciation de scléroses mortifères ; Howard Lauther afflige un tel personnage, inconscient du monde, d’un aveuglement qui le rendrait vulnérable, imprudent. Il serait plus facile de le prendre à défaut parce qu’il ne se méfie pas. Il ignore les autres pour se protéger. Mais ce n’est pas une bonne stratégie. Il néantise le monde mais le monde ne cesse pas pour autant d’exister. Aucune armure ne peut être pénétrée si l’on manque de vigilance ; j’ai déjà remarqué que la pensée de Lauther est duelle. A chaque concept qu’il énonce, il établit une antithèse fondamentalement négative. Par exemple, le manque de discernement dont ferait preuve selon Lauther un personnage ignorant du monde qui l’entoure est une incapacité à distinguer le bien ou le vrai. Ce n’est pas un trouble de la personnalité que de manquer de discernement ou d’être indifférent à ce qu’il arrive aux autres. On pourrait même utiliser un tel trait de caractère pour rendre un personnage plus sympathique qu’il ne le serait par d’autres moyens narratifs. Ou même, si l’on veut s’en tenir à la définition de Lauther, introduire son personnage avec un tel trait de caractère et l’en faire changer au cours de ses tribulations et pérégrinations. Mais s’il doit en changer, c’est parce que cela sert un message plus universel, moins borné que d’affirmer que telle ou telle chose est bien ou mal, vraie ou fausse ; certes, il peut y avoir un souci avec le processus cognitif d’un personnage qui semble si distant avec son environnement. Est-ce vraiment une imperfection ? Un trauma par exemple pourrait avoir édifié un rempart, établi des limites pour ne pas revivre une expérience désagréable. Inventer des circonstances atténuantes pendant la fabrication d’un personnage peut se révéler une tâche enrichissante (à la fois pour le personnage et pour le créateur).
Un personnage qui ignore son environnement a tendance à ne pas voir ce qui peut être clairement évident pour presque tout le monde. Il ignore ce qu’il estime ne pas mériter une attention sérieuse. Sa capacité d’attention est toujours très limitée ; ainsi, il ne prendra pas note de quelque chose s’il est plongé dans autre chose. Il laisse une crise se développer parce qu’il ignore les éléments qui y ont contribué. Vous le constatez sur ce résumé du personnage que nous propose Howard Lauther, la présence de l’ignorance est fortement marquée.
En somme, les choses échappent totalement à un tel personnage. Ce peut être intéressant sur le plan dramatique dans les relations qu’il établit avec les autres.
D’autres traits de caractère seront étudiés dans le prochain article.
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