En fiction comme dans la vie réelle, lorsque notre désir est contrarié, nous réagissons différemment. Nous pouvons nous adapter ou bien mettre en œuvre des mécanismes de défense ou encore des comportements pathologiques.
Ce qui est certain, néanmoins, est que la manière dont nous répondrons lorsque notre désir sera nié par quoi que soit influe grandement sur notre capacité à réussir malgré tout.
Le désir crée le conflit
C’est indéniable. Lorsque nous concevons un quelconque désir, toute manœuvre qui tentera de nous en frustrer ou de le contrarier en quelque manière créera aussitôt un conflit.
Pour nos personnages de fiction (que nous devons considérer comme des personnes réelles lorsque nous les inventons, bizarre, non ?), la question que nous devons nous poser est de connaître comment le personnage réagira lorsque son désir (l’objectif qu’il s’est fixé dans cette histoire) sera contrarié.
Quelle sorte de réponse ce conflit engendrera t-il ? C’est une question aussi essentielle en fiction comme dans la vie réelle.
Des études ont montré que le facteur qui décide le plus d’une vie heureuse et réussie consistait dans la manière que nous répondions au stress de l’échec et aux revers inévitables que nous concoctaient précisément nos vies.
Selon Anna Freud, ce sont nos adaptations ou mécanismes de défense qui sont des comportements et des pensées inconscientes ou carrément liés à notre corps que chacun d’entre nous utilise en réponse à la souffrance, au stress, à la perte, au conflit, à la déception, à l’incertitude, au doute et même face à la trahison.
Normalement, ces adaptations changent alors que nous-mêmes changeons entre l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte. Ces adaptations deviennent socialement plus fonctionnelles.
Cependant, certains individus ne parviennent pas à dépasser certaines limites, s’accrochant désespérément (et ce n’est pas très sain) à des attitudes et comportements en quelque sorte figés.
Ils n’évoluent plus pathologiquement et cela détruit ou ne permet pas d’aller plus loin dans notre relation aux autres et face aux turbulences de la vie.
Un conflit interne
Parfois, le conflit que nous confrontons est interne. C’est nous-mêmes qui refoulons par exemple certaines pensées ou émotions dont nous ne voulons pas reconnaître qu’elles sont pourtant nôtres. Alors nous les nions ou bien nous les projetons sur les autres comme d’accuser quelqu’un de raciste alors qu’est éprouvé au fond de nous un tel sentiment bien peu reluisant.
D’autres fois l’adaptation (ou le mécanisme de défense) fait surface soudainement alors que nous sommes face à une crise personnelle ou à une de ces épreuves que nous réserve la vie.
On se sert alors quelques verres de trop pour apparemment se calmer les nerfs ou bien on reste buté sur une position plutôt que d’admettre que nous avons besoin de nous adapter aux nouvelles circonstances.
Quelle que soit la réponse que nous donnons, le mécanisme de défense mis en place définit cette réponse au conflit et fondamentalement, c’est ce mécanisme dont nous avons pris cette foutue habitude qui façonnera le point de vue que nous avons de la situation ainsi que de l’estime que nous nous portons.
Une hiérarchie de comportements
Ces mêmes études ont permis d’établir quatre catégorie de réponses (ou adaptations selon Anna Freud) dont voici la liste de la moins à la plus adaptative selon les individus et les situations :
- Les adaptations psychotiques telles que la paranoïa, l’hallucination ou la mégalomanie….
- Les adaptations immatures telles que le comportement passif-agressif, l’hypocondrie, la projection ou le fantasme.
- Les adaptations névrotiques telles que l’intellectualisation décrit par Anna Freud et qui consiste à intellectualiser (mettre en pensées) des sentiments et des sensations afin de s’en défendre, la dissociation qui consiste à se tenir à distance de ses sentiments, une sorte de retrait pour supprimer le malaise.
Le refoulement aussi peut entrer en jeu lors d’une attitude de naïveté soudaine et inhabituelle, une perte de mémoire (un acte manqué disait aussi Sigmund Freud), un déni ou encore d’ignorer des stimuli physiques (un manque de réactions en quelque sorte). - Les adaptations les plus mâtures que sont l’altruisme, l’humour (enfin s’il est bien fait sinon il peut être misérable), l’anticipation aussi comme une sorte de prévoyance de la situation à venir forcément teintée du moment présent. Une stratégie de report peut être mise en œuvre aussi qui consiste à déplacer le problème à plus tard en croyant souvent faussement que les choses pourraient être meilleures pour nous (et comme c’est pour nous, cela est forcément subjectif donc avec un risque d’erreur plus fort).
Une autre adaptation considérée mâture est la sublimation lorsque l’on trouve acceptable sur un plan émotif (ou du moins susceptible de causer en nous des affections bouleversantes) des comportements qui, globalement, sont critiquables comme la violence sportive, de gravir socialement les échelons au détriment d’autrui ou d’autres pensées moins morales comme de vouloir concrétiser un fantasme que l’on entretient sur un corps.
Peut-on les adapter à nos personnages ?
Maintenant, il peut être délicat d’insuffler une telle liste de comportements pour étoffer un personnage. C’est davantage intellectuel qu’émotionnel. Dans ce cas, pour éviter que le personnage ne devienne seulement qu’une idée amorphe, il faut l’imaginer dans des situations dramatiques, dans des scènes où le problème se joue et que le personnage y réponde.
Ce qu’il faut vraiment éviter, c’est de donner à ses personnages que des adaptations mâtures. Comme si leur psyché avait prévue de répondre au stress et au conflit avec beaucoup d’esprit et d’initiative, patience ou encore une grande fermeté.
C’est dommageable parce que c’est un manque involontaire d’opportunités. Quels que soient les mécanismes de défense que nous avons à notre disposition, ils ne sont pas dysfonctionnels en soi.
Même un comportement qualifié de névrotique selon la liste définie ci-dessus ne révèle pas que nous sommes tous des névrosés. Ils sont simplement la traduction de certains comportements que des personnes tout à fait normales utilisent pour répondre à des situations de stress ou conflictuelles.
Donc, lorsqu’il s’agit de faire répondre un personnage dans une situation particulière, on peut envisager des comportements ou des attitudes, des postures plus intéressantes et surtout vivantes : l’obsession, l’addiction, le déni, l’hallucination, une haine ou une rage irrationnelles, se blesser soi-même ou blesser les autres (physiquement ou moralement), une manie quelconque…
Par contre, ne passez pas des heures à comprendre ce que signifie ces termes (à moins que vous le vouliez vraiment). Pour solutionner une scène qui vous semble ne pas fonctionner, explorer comment une adaptation donnée peut être montrée et pour cela, inspirez-vous de vos souvenirs ou interrogez des personnes sur ce qu’elles ont vécu elles-mêmes comme différentes réponses.
A propos de souvenirs, replongez dans ces moments profonds de peur, de honte ou de culpabilité que vous avez certainement ressenti au cours de votre vie.
C’est-à-dire des moments émotionnellement chargés. Comment avez-vous répondu ? Et si vous avez connu des épisodes similaires depuis ces moments, comment y avez-vous répondu alors ?
Vos personnages s’ouvrent à vous
En plaçant vos personnages dans des situations de pression (ce sont aussi ces moments singuliers qui passionnent le lecteur lorsque tension et émotion se mêlent), vous pourriez les découvrir sous un jour nouveau.
Car comme dans la vie réelle, il y a des situations que l’on maîtrise et d’autres environnements ou circonstances où l’on se sent totalement démunis, impuissants, sans défense.
Ce qui compte, c’est que lorsque nous sommes confrontés au stress, nous ressentons de manière imparable de l’anxiété. Ce n’est pas l’anxiété elle-même que l’on peut expliquer. Elle est un écho d’un sentiment d’abandon, de ridicule, de rejet et de la violence aussi.
Ces sentiments sont élaborés par les détails de nos vies. Non pas celles que l’on vit maintenant. Mais notre histoire, notre vécu. Et cette histoire personnelle et vraiment unique a autorisé en nous des comportements, des attitudes, des réponses en fait souvent inconscientes mais essentiellement vivantes (car elles sont issues de la vie) face aux événements de vie précisément.
Force est de reconnaître aussi que ces réponses sont loin d’être optimales la plupart du temps.
Le mécanisme de défense le plus couru est le déni. Nous réprimons simplement ce que nous ressentons et nous continuons comme si de rien n’était. Dans une scène conflictuelle, le déni fonctionne bien.
A propos de scènes conflictuelles, je vous conseillerai de parcourir les 1462 situations conflictuelles de la méthode Plotto que nous vous avons détaillées (le terrain fertile est cependant votre esprit. Vous pouvez l’aggrader mais il est d’abord votre terre).
Constatons cependant que quelle que soit la défense mise en place, elle contient presque systématiquement des éléments de mensonge et une certaine lâcheté.
Mensonge parce que nous refusons de reconnaître, de faire face à la situation avec toute cette intensité émotionnelle ou la violence de l’impact sur nos sens qu’elle possède intrinsèquement.
On se protège par le mensonge que l’on se fait à soi-même face à une réalité que nous refusons. Et une lâcheté aussi. Parce que nous refusons de revivre un tel moment. Nous refusons que réapparaissent même seulement dans notre esprit ce moment douloureux, effrayant ou encore honteux.
Observer un personnage qui se débat avec lui-même pour dépasser certains de ses comportements qui le mettent mal à l’aise (et cela demande du courage et une certaine sagesse) est précisément ce qui donnera une excellente mouture dramatique.
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