Chapitre 22
STORYTELLING ET LES DYNAMIQUES D’INTRIGUE
Story Work : Action ou Decision
Je vous renvoie d’abord au CHAPITRE 6 : LES ÉLÉMENTS D’ACTION ET DE DÉCISION DES PILOTES & PASSAGERS
Action ou Decision décident comment l’histoire progresse, la nature de l’élan qui la pousse en avant. La question est donc de savoir si Action précipite (ou provoque) Decision ou l’inverse.
A la fin d’une histoire, il y a un besoin essentiel d’une action (Action) qui doit s’accomplir et d’une décision (Decision) qui doit être prise. Cependant, l’une d’entre elles sera un obstacle qui doit être éliminé afin de rendre possible l’autre.
Cette relation causale se ressent à travers toute l’histoire lorsque des actions (Action) ne pourraient se produire d’elles-mêmes sans qu’une décision (Decision) ne les force à survenir et de manière similaire lorsque des décisions (Decision) ne seraient jamais prises sauf si une action (Action) ne laisse aucun autre choix que de devoir décider quelque chose.
Story Work peut être considéré comme le moteur de l’histoire. C’est une force qui donnera l’élan nécessaire pour qu’elle puisse être traversée de part en part.
L’événement déclencheur (ou incident déclencheur) fait partie de cet élan parce qu’il cause le problème de l’histoire et que cela exige un certain travail (ou effort) pour le résoudre.
Le problème et sa solution qui délimitent tous deux en quelque sorte l’histoire seront alors provoqués par le même type d’élan désigné par Action ou Decision.
Les histoires contiennent à la fois des actions (Action) et des décisions (Decision). Donner la préférence à l’une n’exclut pas l’autre. On donne simplement la préférence à l’une plutôt qu’à l’autre.
Est-ce que les actions (Action) précipitent (à entendre comme provoquer) les décisions (Decision) ou bien les décisions (Decision) précipitent les actions (Action) ?
La préférence peut être renforcée ou presque compensée par les réponses que vous donnerez aux autres questions que vous vous poserez sur votre histoire. En fin de compte, c’est le monde de l’histoire auquel se confrontera le personnage principal qui importera le plus pour vous guider dans vos réponses à ces questions (et en particulier Story Work concernant ce moteur de l’histoire).
Le choix d’un monde n’a pas à se refléter dans la nature du personnage principal. En fait, de très intéressants potentiels dramatiques peuvent émerger quand ils ne correspondent pas.
Je vous renvoie à ces articles :
Vous comprendrez mieux le sens de la relation entre le monde et le personnage.
Dramatica prend pour exemple un personnage Do’er, c’est-à-dire un personnage qui agit pour résoudre ses difficultés (il ne les pose pas devant soi pour y réfléchir) qui est forcé par les circonstances de gérer un problème de type délibération (donc un problème qui exige de la réflexion), il serait bien en peine car il n’a ni l’expérience, ni les outils (intellectuels ou autres) dont il a besoin pour s’acquitter de cette tâche.
Et de manière similaire, un personnage Be’er, c’est-à-dire un personnage réfléchi, qui ne se précipite pas sur les choses, se jettera lui-même dans les tourments en tentant de résoudre un problème qui requiert une action immédiate.
En proposant Action et Decision, les histoires s’inscrivent dans n’importe quel genre, de la tragédie à la comédie, et ajoute indubitablement une dimension supplémentaire à un argument qui autrement apparaîtrait unilatéral, partial dans son discours (et foncièrement désagréable à suivre).
Comme une bonne histoire est à la fois Action et Decision, la position de l’auteur est de choisir lequel des deux aura la primauté. En préférant l’un plutôt que l’autre, vous créerez une causalité dans le mouvement entre Action et Decision, c’est-à-dire que vous allez instaurer une dialectique entre les lignes Action et les lignes Decision dont le résultat profitera à toute l’histoire.
Story work : Quelques exemples
Action : Hamlet ; Le silence des agneaux ; Un chant de Noël ; Rain Man
Decision : Le verdict ; Chinatown ; La ménagerie de verre ; Casablanca ; Le parrain ; Le livre de Job ; Une maison de poupée
Story Limit
Définissons ce que Dramatica entend par limite (Story Limit).
L’amenuisement de la durée ou le manque d’options mènent l’histoire vers son climax. Personne n’est capable de prédire le futur (et le personnage principal d’une histoire non plus bien que sa destinée semble déjà écrite).
Une des fonctions d’une histoire est de permettre à son lecteur de vivre des expériences qu’il ne connaît pas par personnage interposé. Ou du moins de lui faire ressentir intérieurement la valeur d’expériences qu’il n’a pas vécues ou bien qu’il ne vivra jamais.
En tant que tel, le lecteur doit donc croire au message de l’histoire pour qu’il puisse en profiter. Il doit se mettre dans une telle disposition d’esprit afin d’accepter et de recevoir ce message.
Pour aider en cela, le personnage principal doit prendre ses décisions sur le même type de croyance.
Il décide et espère pour le meilleur. Et le lecteur apprend soit de l’accomplissement, de la réussite, soit de la désillusion, de la déception ou de la déconvenue du personnage principal.
Néanmoins, le personnage principal (et le lecteur aussi, d’ailleurs) ne sauterait pas de plein gré dans le vide ou ne s’engagerait pas dans le cours d’une action ou des prises de décision à moins qu’il n’y soit forcé.
Pour forcer le personnage principal à décider (soit en action, soit en décision), l’histoire produit toutes les informations nécessaires pour que le personnage principal puisse intuitionner, déduire logiquement ou estimer intelligemment ce qu’il doit advenir.
Dans le même temps, l’histoire se resserre sur le personnage principal jusqu’à ce qu’il n’est plus d’autre alternative que de choisir.
Ce resserrement peut s’accomplir de deux manières. Soit le personnage principal est à cours d’endroit où chercher la solution ou bien il manque de temps. Soit il manque d’option, soit il a un temps limite.
Ces deux moyens de limiter l’histoire et de forcer le personnage principal à décider sont ressentis très tôt dans l’histoire et se renforcent jusqu’au moment de vérité (Leap of faith ou encore dénommé anagnorisis).
Le manque d’options n’a pas être particulièrement oppressant. Il doit seulement n’offrir que quelques alternatives ou possibilités avec lesquelles résoudre le problème. Il limite l’ampleur du problème et partant, les solutions potentielles.
La durée n’a pas non plus à être pressée ce qui aurait pour conséquence d’accélérer artificiellement le rythme. Il suffit de bien délimiter l’intervalle de temps au cours duquel quelque chose doit se produire.
La durée fixe le temps d’exécution d’un problème (car il évolue au cours du temps) et la recherche concomitante de solutions.
Un temps limité ou le manque d’options ?
En un mot, une limite (en durée ou en options) est un type de contraintes qui mènent une histoire à sa fin.
Pour le lecteur, cela se traduit par de la tension dramatique car il s’interroge et s’inquiète de savoir si les personnages parviendront à accomplir l’objectif de l’histoire (Story Goal).
De plus, Story Limit force le personnage principal à mettre fin à ses hésitations, à ses délibérations et à changer (Change) ou à maintenir sa position (Steadfast) (ou du moins à retrouver une position qu’il avait cru bon d’abandonner).
Pour les concepts de Change ou de Steadfast, je vous renvoie à DRAMATICA :LA THÉORIE EXPLIQUÉE (103)
Parfois, une histoire se termine parce qu’elle a atteint une limite en temps. D’autres fois, elle parvient à sa conclusion parce que toutes les options possibles ont été épuisées.
Le vocabulaire technique de Dramatica emploie le terme Timelock pour signifier que la durée a atteint une limite et le terme Optionlock pour indiquer que les possibilités sont réduites à une peau de chagrin.
Choisir entre Timelock ou Optionlock a un puissant impact sur la nature de la tension qui sera communiquée au lecteur au fur et à mesure que l’histoire progresse vers son climax.
Essayons de définir davantage les concepts de Timelock et de Optionlock. Pour Dramatica, ces notions font partie des dynamiques de l’histoire et elles s’intègrent dans le modèle structurel de la théorie narrative Dramatica.
Timelock est une option qui permet à un récit d’atteindre son climax (en quelque sorte, son apogée puisque après ce climax, seul le dénouement est à venir) car ce récit manque de temps soit parce qu’il a un moment limite, soit parce qu’il n’a vraiment pas assez de temps pour accomplir davantage de choses.
Ce sentiment de durée qui se resserre inéluctablement n’est pas reçu d’un coup par le lecteur (cela peut arriver). Les informations qui le décrivent ou qui l’inspirent sont distribuées tout au long de l’histoire.
Optionlock, vous l’avez compris, est comme ces trois souhaits. Lorsqu’on fait le dernier, c’est terminé. Cela va plus loin néanmoins. Imaginons une montgolfière. Imaginons une tribu de cannibales. Le personnage principal doit fuir en ballon avant que la tribu n’en fasse un excellent petit déjeuner.
Pour que la montgolfière puisse prendre les airs, il va falloir lui insuffler de l’air chaud. Ce n’est pas le temps de préparation de la montgolfière qui importe ici mais bien la quantité d’air dont elle a besoin.
Et cette quantité d’air est bien Optionlock parce qu’elle est une condition, une exigence pour permettre la fuite du personnage principal. Pour sauver sa vie, il n’a pas d’autre choix que de se procurer suffisamment d’air.
Échéance peut être le terme qui qualifie le mieux Timelock. Par exemple, si on décide de prendre sa retraite à 60 ans, on bénéficiera de certains avantages. Cependant, si on décide plutôt d’attendre encore quelques années, nous savons que ces avantages seront bien meilleurs.
Posons qu’à 65 ans, nous pourrions obtenir le maximum d’avantages. Si nous souhaitons aller au-delà des 65 ans, nous pourrions espérer bénéficier de meilleures conditions. Il s’avère en fait qu’il n’en sera rien.
65 ans apparaît donc comme une date butoir. On peut néanmoins essayer d’être un peu plus critique et considérer que c’est à la fois une question de durée et de manque d’options (le temps qui passe a réduit le nombre des possibilités).
On peut aussi s’interroger s’il s’agit d’un délai optimal (comme pour la cuisson des œufs durs ou des pâtes) ou alors, peut-être avec un regard plus pessimiste, voir ceci comme une contrainte, une obligation d’atteindre cet âge avant de prendre certains décisions qui influeront grandement notre devenir.
L’auteur doit réfléchir sur les options de Timelock et de Optionlock. En tant que dynamiques de l’histoire, elles sont importantes pour la réception de celle-ci par le lecteur.
Par exemple, les premiers hommes étaient presque tous Optionlock. Les saisons pour eux représentaient des conditions spécifiques plutôt qu’un moment dans l’année. La célébration du solstice d’hiver dans la mythologie païenne avec de grands cercles de mégalithes ne marquait pas un temps, un moment dans l’année.
Cela signifiait plutôt qu’un certain nombre de conditions (imposées par le jour le plus court de l’année) étaient réunies et cela allait limiter ce que les hommes peuvent faire de leur temps.
J’ai traduit Timelock par durée. Certes, c’est une durée. Ce qu’il faut voir dans cette durée, ce n’est pas le délai exigé pour qu’une action s’accomplisse. Plutôt que cette durée encadre une action dans le temps.
On ne cherche pas à mesurer cette durée. En fait, on compare des durées. Reprenons l’exemple du solstice et de l’équinoxe. L’agriculteur ne cherche pas à savoir scientifiquement ce qu’est le solstice ou l’équinoxe. Ce qui lui importe, c’est le moment des semailles et des récoltes.
On sème à l’équinoxe, on récolte au solstice. C’est une connaissance qui nous est parvenue par comparaison. Ce n’est pas quelque chose de ponctuel. Il a fallu que ces durées se répètent inlassablement au cours du temps pour avoir une compréhension de ces dates de semis et de récolte.
De même, un cadran solaire nous indique véritablement l’heure. En tant que tel, il est Timelock. Sa raison d’être est de nous donner l’heure et nous savons que lorsque le soleil aura atteint une position précise, nous pourrions être à court de temps pour compléter une activité quelconque.
Un sablier est différent. Il peut être un dispositif pour réduire (Optionlock) les possibilités si on le perçoit tel que lorsque le sable se sera écoulé, nous n’aurons pas d’autre choix que de prendre une décision ou d’agir.
Le sablier pose arbitrairement une durée et celle-ci épuise en quelque sorte notre rayon d’actions.
Story Limit peut fonctionner aussi avec la notion de Main Character Mental Sex que nous avons étudiée dans l’article précédent. Une pensée Timelock est plus naturelle avec la propriété Male de Main Character Mental Sex qui conçoit et perçoit les choses de manière plus distincte, plus analysante que la propriété Female qui indique une pensée moins linéaire, plus globale.
Nous pourrions ajouter que l’inconscient, la mémoire et la conscience peuvent être ou bien Timelock ou bien Optionlock selon les expériences, l’apprentissage et les choix des individus. Ils sont donc moins déterminés par les propriétés Male ou Female de Main Character Mental Sex.
Une pensée Optionlock est plus orientée vers les besoins primaires (tels la faim ou le sommeil) qui exigent une satisfaction immédiate alors que Timelock est davantage tournée vers les buts, en se disant ceci d’abord, puis ensuite cela… Ou comme chez les hommes primitifs, Timelock serait simplement vue comme Avant, Maintenant, Après.
Melanie Anne Phillips, un des auteurs de Dramatica, prend aussi l’exemple de l’ouvrier qui est soumis au Timelock : pointage, nombre d’heures travaillées, l’heure de la sortie) alors que le cadre est davantage Optionlock : le montant de son salaire, la mise en place d’opérations chiffrées, la vérification de ces opérations).
Timelock a tendance à prendre un point de vue unique et à le fragmenter lentement jusqu’à ce que plusieurs choses se produisent en même temps.
Optionlock a tendance à prendre plusieurs morceaux du puzzle et à les assembler à la fin (au dénouement, donc).
Timelock crée de la tension dramatique en démultipliant l’attention du lecteur sur plusieurs choses à la fois alors que Optionlock crée cette tension en resserrant l’attention du lecteur sur une seule chose comme en réduisant les choses à l’essentiel en éliminant ou en intégrant tout ce qui gravite autour d’une chose.
Timelock augmente la tension dramatique en créant de l’immédiateté. Soudain, il y a urgence. L’immédiateté ajoute au suspense.
Optionlock augmente la tension en construisant une chose unique qui devient un problème opérationnel, actuel alors qu’il n’était que puissance.
Le climax ne permet cependant pas de déterminer si Optionlock ou Timelock sont à l’œuvre car les deux peuvent être sollicités lors du climax pour accroître la tension dramatique.
Le mieux pour évaluer lequel des deux est effectif est de tenir compte de la nature des obstacles jetés sur le chemin du protagoniste ou du personnage principal (Dramatica distingue le protagoniste comme archétype, c’est-à-dire un personnage fonctionnel et objectif alors que le personnage principal est un personnage subjectif, ce qui lui permet ainsi de recevoir l’empathie du lecteur qui s’identifie davantage avec le personnage principal qu’avec sa fonction dans l’histoire).
Si les obstacles servent essentiellement à retarder les choses, à les différer, à les remettre en question ou à tergiverser ou encore à temporiser, cela signifie que Timelock est à l’œuvre.
Si la cause des obstacles est qu’il manque des choses ou des informations, Optionlock est effectif.
Il n’y a pas de règles spécifiques à utiliser ou Timelock ou Optionlock. Si vous préférez construire de la tension dramatique en créant du délai dans les choses, optez pour Timelock. Si vous préférez créer de la tension parce qu’il manque encore des pièces essentielles, choisissez Optionlock.
En fait, il faut choisir celui qui a le plus de signification pour vous.
Story Limit : quelques exemples
Optionlock : Hamlet ; Le silence des agneaux ; Le verdict ; Chinatown ; La ménagerie de verre ; Casablanca ; Le parrain ; L’histoire de Job dans la Bible ; Rain Man
Timelock : American Graffiti ; Le train sifflera trois fois ; Un chant de Noël ; 48 heures de Walter Hill
Story Outcome : Success ou Failure ?
Story Outcome est simple à comprendre. Bien que le succès (Success) ou l’échec (Failure) peuvent être tempérés à des degrés divers (tout ne peut être un franc succès ou un échec total), le succès ou l’échec sont facilement déterminés en observant si les personnages objectifs c’est-à-dire ceux qui détiennent une fonction dans l’histoire, voir à ce sujet les chapitres 4 et 5 de la théorie narrative Dramatica
- DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (6)
- DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (7)
- DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (8)
atteignent ou pas les objectifs qu’ils s’étaient mis en devoir de réaliser au début de l’histoire.
Se fixer un objectif n’entraîne pas une obligation de résultat. Bien que les personnages se battront corps et âmes pour l’accomplir, ils peuvent apprendre de leurs tribulations, de leurs aventures, qu’ils ne veulent vraiment pas ce qu’ils pensaient vouloir. Et en fin de compte, renoncer à cet objectif sans qu’il leur soit tenu une quelconque rigueur.
Pourtant, cela sera considéré du point de vue de Dramatica comme une Failure, c’est-à-dire un échec mais la signification n’est pas négative comme l’entend le sens commun.
Failure cherche seulement à dire que l’objectif n’est pas atteint. Ce peut être indubitablement un véritable échec, dévastateur pour le personnage.
Et cela peut vouloir dire aussi que le personnage a eu raison de ne pas aller jusqu’au bout de son projet. S’il avait persisté sur son idée, cela lui aurait causé plus de mal que de bien. Failure est alors vu comme un bienfait.
Bien que le personnage soit sorti grandi de son aventure, Failure indique seulement qu’il n’a pas accompli ce qu’il avait d’abord eu l’intention de faire.
Réciproquement, considérons que le personnage a accompli ce qu’il voulait faire et même s’il trouve cela insuffisant ou insatisfaisant, comme il a réalisé son objectif, nous considérerons que c’est un Success.
L’idée avec Success ou Failure est qu’il ne faut pas porter de jugement de valeur mais simplement de déterminer si les personnages objectifs parviennent à réaliser l’objectif fixé ou s’ils échouent dans leur tentative.
Et cet objectif dont on mesure s’il est Success ou Failure est celui qui a été pris au début de l’histoire (sachant que les personnages peuvent changer d’objectif en cours de route).
Story Outcome : quelques exemples
Success : Le silence des agneaux ; Un chant de Noël ; Le verdict ; Chinatown ; Casablanca ; Le parrain ; L’histoire de Job dans la Bible
Failure : Hamlet ; La ménagerie de verre ; Rain Man
Story Judgment
Comment considérer ce que Dramatica entend par jugement (Judgment) ? Il s’agit de l’affirmation par l’histoire que le personnage principal a résolu (au dénouement) son problème personnel.
Ce problème personnel est différent de celui de l’objectif qu’il s’est fixé dans l’histoire. Par exemple, vaincre l’adversité (objectif de l’histoire) pour gagner en confiance en soi (objectif personnel).
Que le bien l’emporte sur le mal est peut-être bon d’un point de vue moral mais en fiction, ce n’est pas une nécessité. En fiction, comme dans la vie réelle, nous voyons souvent des gens mauvais agir très bien que ce soit pour eux-mêmes ou pour autrui.
Et encore plus souvent, nous observons des gens très bien qui agissent très mal.
Si nous jugeons les choses seulement en Success ou Failure, il importerait peu si le résultat (Story Outcome) soit bon ou mauvais tant qu’il est accompli.
Le vocabulaire de Dramatica emploie les termes Good et Bad comme propriétés pour le Story Judgment. Ces propriétés Good ou Bad sont en fait du ressort de l’auteur qui place en choisissant l’un ou l’autre un jugement d’ordre moral sur la valeur Success ou Failure de son personnage principal lorsqu’il résout son problème personnel.
Ce jugement est une opportunité pour l’auteur non seulement dans son affirmation qu’une personne bonne réussisse et qu’une personne mauvaise échoue mais cela lui permet aussi d’affirmer, si telle est son intention, qu’une bonne personne peut échouer et qu’une personne mauvaise peut réussir.
Cela lui permet surtout de commenter (c’est son message) sur la valeur de Success ou de Failure de son personnage qui a, quel que soit le résultat (Story Outcome), nécessairement grandi en tant qu’être humain de son aventure.
La propriété Good
Le personnage principal a réussi à résoudre son problème personnel. Cependant, même si l’effort fourni a permis d’accomplir le Story Goal, cela n’est pas nécessairement une bonne chose pour le personnage. En fait, Success peut être obtenu (l’objectif de l’histoire est atteint) même si le personnage principal échoue à résoudre son problème personnel.
Par exemple, retrouver le meurtrier de son frère pourrait être l’objectif du personnage principal (et donc le Story Goal) mais une fois que sa vengeance aura été accomplie, le personnage principal pourrait toujours souffrir de la perte de son frère. Son trauma (c’est-à-dire son problème personnel) ne sera pas résolu par l’acte de vengeance.
De manière similaire, l’effort pour réaliser le Story Goal pourrait n’aboutir sur rien. Et pourtant, le personnage principal aura surmonté, malgré cet échec apparent, son problème personnel (qui est d’ailleurs la véritable raison de sa vie figée depuis son trauma ou une blessure psychologique jamais cicatrisée).
Que l’histoire se termine en Success ou Failure, si le personnage principal parvient à résoudre son problème personnel, Story Judgment prend la valeur Good.
La propriété Bad
Le personnage principal ne parvient pas à surmonter son problème personnel. Cela fonctionne en fait de la même façon qu’avec la propriété Good sauf que le personnage principal échoue à résoudre son problème personnel. Si c’est l’intention de l’auteur, alors Story Judgment prend la valeur Bad.
Good ou Bad
Story Judgment détermine si le personnage principal parviendra ou non à se débarrasser de son angoisse, quelle que soit celle-ci. Inquiétude, doute, responsabilité…
L’argument rationnel ou raisonnable d’une histoire se penche sur la faisabilité : Est-ce que le type d’approche retenu pour résoudre l’objectif mène vers une réussite (Success) ou un échec (Failure) ?
Par contraste, l’argument passionnel d’une histoire traite d’un accomplissement, d’un épanouissement : Est-ce que le personnage principal trouvera la paix à la fin de son aventure ?
Je vous renvoie à cet article DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (27) pour une première idée de ces arguments rationnel et passionnel.
Si vous cherchez à communiquer une certaine élévation spirituelle (par exemple), vous opterez alors pour Success concernant l’Objective Story Throughline couplé à Good pour le Story Judgment (ce qui affectera l’argument passionnel).
Si vous êtes davantage dans la tragédie, l’effort pour atteindre l’objectif de l’histoire n’aboutira à rien (Failure) et le parcours émotionnel du personnage principal finira mal lui aussi (Bad).
Mais la vie est souvent en demi-teintes. Elle est faite d’arbitrages, de compromis, de sacrifices et de réévaluations. Les histoires ne devraient pas y échapper. Choisir d’associer Success avec Bad et Failure avec Good ouvre la porte à de telles alternatives.
Si nous écrivons une histoire dont le Story Outcome est Failure et le Story Judgment est Good, nous pouvons alors imaginer un personnage principal qui réalisera à temps qu’il a été fou de poursuivre un but qui n’en valait vraiment pas la peine ou bien qui découvrira quelque chose qui lui importe bien plus personnellement que ce qu’il essaie de réaliser avec autant d’acharnement malavisé depuis le début de l’histoire.
Pour Dramatica, ce type de situation est un triomphe personnel.
Si nous souhaitons écrire une histoire dont le Story Outcome est Success et le Story Judgment (qui est très subjectif en fait) est Bad, nous pourrions finir avec un personnage principal réalisant ses rêves pour comprendre en fin de compte qu’ils sont insignifiants ou bien qui se sacrifie pour les autres (marque des héros et un Success par excellence) mais qui en ressort amère et vindicatif.
Pour Dramatica, il s’agit d’une tragédie personnelle.
Success et Failure sont des mesures en fin de compte de comment des exigences spécifiques ont été remplies. Par nature, ce sont des propriétés objectives.
Par contraste, les propriétés Good et Bad sont des jugements de valeur (par nature subjectifs) fondés sur une appréciation de l’accomplissement personnel du personnage principal.
Nous débuterons le Chapitre 23 dans le prochain article.
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