Pulp Fiction a changé la donne du cinéma indépendant dans les années 1990. Sa technique narrative s’inspire grandement du surréalisme du début du vingtième siècle.
La structure de Pulp Fiction peut sembler de prime abord déconcertante et je peux vous assurer qu’elle l’est.
Le dénouement de Pulp Fiction
Le scénario de Pulp Fiction se constitue de trois mouvements dramatiques qu’il faut considérer séparément afin de comprendre le dénouement.
La ligne dramatique de Vincent
Vincent nous est présenté alors qu’il revient de longues vacances en Europe. Il fait du covoiturage avec son ami de longue date Jules.
Leur conversation agréable est terriblement efficace pour nous faire aimer ces deux personnages car cette expérience de covoiturage est tout à fait apte à créer une identification entre eux et nous (bien que nous verrons dans la suite de cet article que ce n’est pas véritablement l’intention des auteurs).
Du moins, jusqu’à ce que les flingues entrent en scène et que la conversation nous apprend que leur employeur Marsellus a défenestré Antwan Rockamora (un personnage qui ne sera évoqué que dans les dialogues, trouvaille narrative intéressante) pour avoir massé les pieds de sa femme, Mia.
Vincent est le personnage principal de cette ligne dramatique. Il est donc structurellement logique qu’il subisse l’incident déclencheur. Et cet événement censé bouleverser le quotidien de Vincent est que Marsellus a demandé à Vincent d’emmener Mia déjeuner dans un restaurant.
Vincent a finalement accepté en essayant de se persuader qu’il ne s’agissait pas d’un rendez-vous galant (ce que l’on comprend lorsqu’il tente lui-même de convaincre Jules qu’il ne s’agit pas d’un rendez-vous galant).
Vincent est un toxicomane à l’héroïne. Il se fournit habituellement auprès de Lance. Lance est à cours de ballons dont il se sert pour vendre son héroïne et propose à Vincent de la mettre dans un sac.
Le ton employé endort notre attention sur une information importante : il est de coutume que l’héroïne soit vendue dans des ballons et la cocaïne dans des sacs.
Ceci permet de distinguer l’héroïne de la cocaïne. Pour Vincent, cela n’a aucune importance (et pour le lecteur non plus). Ce n’est qu’après que Mia ait confondu l’héroïne avec la cocaïne et qu’il s’ensuivit son overdose que nous réalisons soudain combien les choses auraient été différentes s’il était resté ne serait-ce qu’un seul petit ballon.
La ligne dramatique de Vincent continue avec son arrivée à la résidence de Marsellus et de Mia. Nous comprenons que Mia est dépendante de la cocaïne avant sa rencontre avec Vincent. Puis Vincent s’engage à emmener Mia au restaurant. Pour Vincent, c’est un point de non-retour.
Structurellement, il ne peut plus faire marche arrière. Il est dorénavant ferré dans son intrigue. Cette prise en charge de son problème par le personnage principal est le second point majeur du scénario et marque l’entrée dans l’acte Deux, l’espace de l’intrigue.
La première partie de l’acte Deux est conforme à la tradition avec un héros quelque peu en difficulté. Dans Pulp Fiction, cela est représenté par la gêne entre Mia et Vincent. Nous sommes amenés ainsi au point médian du scénario qui correspond à une crise majeure pour le personnage principal. Celle-ci est alors dénouée lorsque l’affaire du massage est abordée.
Nous apprenons que Tony Rocky Horror n’a jamais fait de massage à Mia et personne ne sait pourquoi Marsellus l’a défenestré. Cette révélation ne soulage pas la crainte de Vincent de dépasser les limites avec Mia. Cette peur est toujours présente et paralysante pour Vincent et pour l’intrigue.
Seulement maintenant la glace entre Mia et Vincent est brisée et cela les libère tous deux. De retour à la résidence des Wallace, on sent bien que la tentation entre Mia et Vincent est palpable bien que tue.
Une structure possible
Avant de continuer sur le parcours dramatique de Vincent, j’aimerais préciser la structure dont je me sers pour définir ce trajet. C’est une proposition et vous devez la considérer comme telle.
Acte Un
Scène 1
Séquence d’ouverture
La séquence 1 introduit le personnage principal dans son quotidien. Ce monde ordinaire est conçu comme un statu quo. Le personnage est arrivé à un moment de sa vie où tout semble réglé, ordonné. Il semble qu’il ne peut plus évoluer.
Cette séquence d’ouverture n’est pas à confondre avec le prologue. Dans le prologue, de manière classique, le personnage principal n’apparaît pas. C’est ainsi que dans Pulp Fiction, le prologue est constitué de Ringo et Yolanda (Pumpkin et Honey Bunny).
L’incident déclencheur (ou Point majeur 1)
L’incident déclencheur initie l’intrigue. Il pose les rudiments de la question dramatique (savoir si le personnage principal réussira ou non son objectif).
Scène 2
Séquence 2
La séquence 2 met en place les détails de la situation compliquée que va vivre le personnage principal. Elle est aussi un moment particulier au cours duquel le héros ne peut pas ou ne veut pas accepter son aventure. C’est le moment de l’hésitation, du doute. La tension dramatique commence à s’installer.
Point majeur 2
Le point majeur 2 est un point de non-retour pour le personnage principal. À partir de ce moment, le héros décide de prendre en charge son problème. Il ne peut plus reculer. Ce point majeur 2 constitue le passage dans l’acte Deux.
Je vous renvoie à cet article SYD FIELD & LA NOTION DES DEUX EVENEMENTS
Acte Deux
Scène 3 (première partie de l’acte Deux)
Séquence 3
La séquence 3 décrit le premier obstacle. L’intention principale de cette séquence est de faire prendre conscience au lecteur de l’enjeu pour le personnage principal. Par exemple, si la femme du héros a été enlevée, la menace soudaine des ravisseurs de la tuer amplifiera le risque.
Effectivement, un enjeu est quelque chose auquel le personnage principal tient vraiment et qu’il risque de perdre. C’est une simple définition et néanmoins concrète.
Séquence 4
Pour faire simple justement, une intrigue consiste essentiellement à surmonter des obstacles. Dans un premier temps, ceux-ci seront facilement contournés ou bien auront peu de conséquences désastreuses.
Mais cela ne peut durer. La force antagoniste est généralement une entité supérieure en tous points aux aptitudes du personnage principal (physiques autant que morales ou spirituelles). Il est temps que l’entité antagoniste en fasse la démonstration.
Le point médian (ou Point majeur 3)
Le point médian représente approximativement le milieu du scénario ou du moins ce que vous concevez comme le milieu de votre propre scénario. On peut le considérer comme un moment de crise (ou juste précédant un moment de crise majeure et personnelle pour le personnage principal).
Ce point médian est vu comme un point culminant (First Culmination) par certaines théories. Cela revient au même (souvent les théories emploient des mots ou des expressions différentes pour dénoter en fait le même concept).
Scène 4 (seconde partie de l’acte Deux)
Séquence 5
Si vous avez prévu des intrigues secondaires dans votre scénario, c’est à ce moment qu’il faudra les développer. Une intrigue secondaire vient expliciter l’intrigue principale (cela fonctionne différemment avec les séries).
Je vous renvoie à ces articles pour plus de définitions :
- DU BON USAGE DE L’INTRIGUE SECONDAIRE
- L’INTRIGUE PRINCIPALE & L’INTRIGUE SECONDAIRE
- INTRIGUE SECONDAIRE & B STORY
- INTRIGUES SECONDAIRES : A, B ET C STORIES
Dire que l’intrigue secondaire permet de comparer les choses est un peu abstrait. Il s’agit davantage d’une conjonction. L’intrigue principale et l’intrigue secondaire viendront se télescoper sur certains points afin d’éclairer l’intrigue principale.
Séquence 6
Cette séquence est le climax c’est-à-dire l’ultime affrontement entre le personnage principal et son antagonisme.
Le point majeur 4
C’est à ce moment que l’on sait si le personnage principal a réussi son objectif ou non. C’est la conclusion de la séquence précédente.
Acte Trois
Scène 5
Séquence 7
Avant le dénouement, il peut être intéressant de rajouter une nouvelle tension. En effet, le personnage principal a évolué depuis qu’il est entré dans l’intrigue. Il n’est plus le même et pourtant, il lui faut retourner dans le monde qu’il avait précédemment quitté pour s’en aller vivre son aventure.
Notons au passage que le personnage principal en apprenant de ses tribulations au cours de l’intrigue et en devenant meilleur (ou un peu moins mauvais) se conforme en cela à une loi naturelle qui veut que tout change en ce bas monde.
Point majeur 5
Le personnage principal prend toute la mesure de sa nouvelle vie. Il a une dernière décision à prendre avant le dénouement.
Par exemple, Frodon retourne dans la Comté mais comme il le dit lui-même, certaines de ses blessures ne guériront jamais et puis la Comté a aussi évoluée pendant son absence.
Pour Frodon, il lui sera impossible de reprendre une vie normale et il décide de partir.
Scène 6
Séquence 8
C’est le dénouement. Le dénouement est important parce que de lui dépend l’impact émotionnel ressenti par le lecteur.
Dans cette série d’articles sur le scénario modèle, c’est toujours à partir du dénouement et de la compréhension de ce que ressent le lecteur que nous pouvons envisager d’écrire notre propre scénario car ce que nous tentons de reproduire, ce n’est pas l’histoire (ce qui serait du plagiat) mais bien l’effet cognitif de l’histoire sur le lecteur.
Pour compléter cette forme structurelle possible pour un scénario, je vous renvoie à cette série d’articles :
TOY STORY : LA SEQUENCE, UNITE STRUCTURELLE
Vincent (suite)
Reprenons lorsque Mia et Vincent sont quelque peu tentés l’un et l’autre l’un par l’autre. S’ils vont jusqu’au bout de cette idée, cela signifie que Vincent n’a pas réussi la mission que lui a confiée Marsellus. Il a donc échoué quoi qu’il arrive.
Et ce qu’il arrive, c’est que Mia va confondre l’héroïne et la cocaïne et finir en overdose. Nous débutons ainsi l’acte Trois avec une nouvelle tension dramatique : puisque Vincent a échoué, pourra t-il maintenant sauvé Mia et sauver sa propre peau ? L’acte Trois commence par une nouvelle question dramatique.
Lance informe Vincent que pour tenter de sauver Mia, celui-ci doit lui injecter de l’adrénaline droit dans le cœur. La décision de Vincent constitue le point majeur 5.
La ligne dramatique de Butch
Butch est un boxeur qui accepte apparemment de se laisser corrompre par Marsellus. Butch possède un objet qui est très important pour lui : une montre en or qu’il chérit tout particulièrement (l’histoire de cette montre est totalement surréelle).
Ce qui initie l’intrigue, c’est la décision de Butch de doubler Marsellus. Ce sera l’incident déclencheur. Pourquoi une telle décision ? Parce que tout le monde dans cette histoire (Vincent, Marsellus) sous-estime Butch. Butch a besoin d’être respecté et décide de prendre en main sa destinée.
Cet incident déclencheur s’est produit avant la séquence d’ouverture de cette ligne dramatique (Butch fuit le lieu de son crime et de son arnaque) et après le prologue (ici, un flashback apparemment).
Dans le taxi, Butch pourrait encore éprouver quelques remords ou prendre conscience de la gravité de son geste et craindre la vengeance de Marsellus.
A ce moment du scénario, il peut encore douter. Mais dès qu’il appelle son ami pour récupérer le paquet de fric qu’il a gagné en misant l’argent de Marsellus sur lui-même, il atteint un point de non-retour.
Le moment de crise majeure pour Butch survient lorsqu’il comprend que Fabienne a oublié la montre dans leur ancien appartement. Il est hors de question de fuir sans cette montre. Pour résoudre ce conflit personnel, Butch décide d’aller chercher la montre sachant pertinemment que les tueurs de Marsellus l’attendent.
Butch récupère sa montre, tue Vincent dans le même mouvement et se prépare à rejoindre Fabienne. Si les événements devaient se dérouler ainsi, l’histoire n’aurait plus rien à nous dire. Comme la question dramatique relative à la montre est résolue, comment passer dans l’acte Trois ?
Une difficulté s’amorce ici. Butch n’a aucun dilemme, aucune décision à prendre. C’est donc par l’antagoniste (Marsellus) que Tarantino va pouvoir justifier son acte Trois.
Par pure coïncidence, Marsellus rencontre Butch. Et il s’ensuit une course-poursuite qui mène les deux hommes chez un prêteur sur gages.
Une nouvelle mission s’offre à Butch : s’échapper d’un funeste destin. Il y parvient. Tout cela forme la séquence 7.
Pourtant quel est le véritable objectif de Butch ? Il cherche la rédemption. Il sait qu’il a mal agi et il veut être, à défaut d’être pardonné, être en paix avec lui-même. Il ne peut laisser Marsellus à la merci de ces deux psychopathes. Il sauve donc Marsellus mais cela ne suffit pas à son salut. Il lui faut encore s’assurer de la bienveillance de Marsellus.
Non pas pour se sentir en sécurité mais parce qu’il a besoin de cette forme de pardon pour pouvoir se regarder lui-même en face. Cette décision d’aider Marsellus (la mort de Marsellus aurait pu mettre fin à la menace mais non, décidément, comme pour son adversaire sur le ring, Butch ne pourra s’accommoder de cette idée) constitue le point majeur 5.
Pour Butch, c’est une question d’honneur. Il doit faire ce qui est juste. Le choix de l’épée du samouraï est symbolique puisque cette épée représente le strict code d’honneur de ces guerriers mythiques.
La ligne dramatique de Jules
Le personnage de Jules a des dimensions bibliques. C’est aussi un être assez compliqué mais qui connaîtra un arc dramatique (comme n’importe quel personnage principal de n’importe quelle fiction et nous assistons à ce changement) qui le fera passer d’assassin à un homme racheté.
Pourquoi le rachat de Jules est-il possible ? Parce que Jules est un être humain comme n’importe quel être humain. Il n’est pas en soi foncièrement mauvais. Il a un boulot de tueur et il fait son travail (et il ne s’en sert pas d’excuse pour masquer une âme corrompue).
Ézéchiel 25:17 :
Et je déploierai sur eux de grandes vengeances par des châtiments de fureur ; et ils sauront que je suis l’Éternel, quand j’aurai exécuté sur eux ma vengeance
est d’une importance capitale pour la signification de cette intrigue.
Parce que la compréhension qu’en avait Jules est mise à mal lorsque lui et Vincent échappent à une mort certaine. Pour Vincent, c’est le hasard s’ils sont encore en vie. Ils ont eu de la chance. Jules, cependant, y voit la volonté de Dieu.
Jules décide alors de mettre un terme à sa carrière actuelle et de parcourir le monde pour y faire des rencontres, y vivre des aventures…
Faire ce que Dieu attend de lui tant que la volonté de Dieu y consentira.
Vincent n’y croit pas et tente de convaincre Jules de son erreur mais Jules résiste fermement et s’accroche à sa nouvelle croyance. Du moins, jusqu’à ce que Yolanda et Ringo viennent tester sa nouvelle conviction. Et Jules explique à Ringo ce que signifie vraiment Ézéchiel 25:17.
Évidemment, cette rédemption est difficile à accepter. Comment des hommes aussi coriaces que Jules et Vincent peuvent-ils devenir meilleurs ? C’est une question ouverte mais Tarantino fait dire à Jules qu’il va essayer de suivre la volonté de Dieu. Quant à Vincent, il échouera à suivre cette voie et on connaît sa destinée.
L’effet cognitif
Dans cette série d’articles sur le scénario modèle, nous considérons les conséquences qu’une histoire peut avoir sur l’esprit de son lecteur (ou de son spectateur). Nous essayons de comprendre comment l’auteur en est arrivé à créer cette impression (assez durable parfois sur son lecteur).
Cela reste spéculatif. Même si parfois des principes sont énoncés ou bien lorsque je me sers d’une théorie comme ci-dessus, il ne faut surtout pas y voir une définition quelconque.
Dans la création, il n’existe pas véritablement de fondement à la créativité.
Il peut arriver cependant que certains principes que certains théoriciens veulent directeurs soient perçus intuitivement par un auteur comme une évidence. On peut alors dire qu’un élément dramatique ajouté à un autre élément dramatique aura pour effet telle conséquence sans qu’on puisse s’expliquer pourquoi ou de devoir faire la démonstration de la vérité de cette évidence (on sait que 1 + 1 est égal à 2 et on ne questionne pas comment cela est possible, on le sait, c’est tout, c’est intuitif).
Donc, nous avons deux personnages. L’un est sur le point de mourir et l’autre vient juste de voir la lumière. Et tous deux sortent en plein soleil avec un mystérieux attaché-case (et qui le restera puisque c’est un McGuffin, un artifice destiné à lancer l’intrigue et qui n’a vraiment aucune importance au sein de celle-ci).
C’est le dénouement de Pulp Fiction.
Il faut le comprendre à la lumière des trois chapitres précédents qui possèdent chacun leur propre conclusion.
Le premier chapitre est à propos de la relation entre Mia et Vincent. Il se termine par une sorte de complicité entre ces deux-là. Le second chapitre (Butch et Marcellus) se clôt sur une entente cordiale entre deux anciens ennemis mortels.
Le dénouement auquel nous assistons est-il vraiment la fin de cette histoire ? Non. Selon l’ordre chronologique, la véritable fin de l’histoire est Butch, Fabienne et le coucher du soleil.
C’est une fin plutôt standard. Quoiqu’il en soit, entre Butch et Marsellus, nous avons, malgré le décalage horaire du film, un sentiment d’achèvement.
Tarantino est définitivement un cinéaste qui n’est pas typique, il décide donc de placer son dénouement à un autre endroit. Mais le découpage est bien plus profond que cela. En fait, Quentin Tarantino s’est exercé à un véritable collage.
Pulp Fiction est morcelé en une multitude de parties qu’il a ensuite collées à la manière des surréalistes.
Ainsi, la dernière scène du scénario est en fait la continuité de la séquence d’ouverture. Et à la place du dénouement, nous avons le climax, c’est-à-dire pour Jules une épreuve (peut-être bien de la main de Dieu) lorsqu’il est confronté à son ancienne vie face à Ringo et Yolanda.
La question dramatique est donc de savoir si Jules changera sa façon de faire avec ces criminels minables que sont Ringo et Yolanda.
La résolution du climax porte le message de l’auteur. Le thème de Pulp Fiction est la rédemption. On est assez proche de Impitoyable, somme toute. Pourtant, Pulp Fiction est différent. Certes, il y a rédemption mais Pulp Fiction nous dit que celle-ci n’est possible qu’à travers autrui.
Le salut ne vient pas de nos actions individuelles pour rendre le monde meilleur mais parce que nous avons su nous ouvrir à l’autre et que nous avons donné et reçu le pardon. Seulement un tel thème n’est pas facile à traiter.
Le surréalisme comme recours à l’expression
L’intention du surréalisme est de tenter de trouver du sens profond en libérant la pensée du contrôle de la raison (et accessoirement des émotions qui la maintiennent tout autant en esclavage). C’est le processus imaginaire pur qui est sollicité.
Cette image est un collage surréaliste de l’artiste Eugenia Loli. Aragon disait que le collage allait véritablement mettre la peinture au défi. C’est un dialogue étrange avec l’inconscient. Cette association crée une unité créatrice [la compréhension de cette unité est essentielle] et pour Tarantino, ce fut un excellent moyen d’exprimer sa pensée à ce moment de sa vie.
Dans Pulp Fiction, Quentin Tarantino récupère des clichés de la pop culture qui pourraient être particulièrement insipides dans d’autres contextes et en fait un collage qui va donner le sentiment qu’ils ne font qu’un.
La créativité de Tarantino est à l’unisson avec l’imagination et son corrélat (l’imaginaire) du lecteur/spectateur. C’est une connexion surréelle, imaginative et onirique.
Le monde de Pulp Fiction
Le cinéma indépendant revendique le fait de n’être aliéné à aucun dogme (sauf peut-être celui de la liberté). Et bien que Pulp Fiction soit en effet un film indie, il commence de manière traditionnelle en établissant dès sa séquence d’ouverture l’univers de son histoire.
Une fiction, c’est d’abord à propos d’un monde fictionnel. Raconter une histoire, cependant, est une forme de communication qui n’est pas essentiellement descriptive de ce monde, qui ne recherche pas la polémique (une histoire peut inviter au débat mais ce n’est nullement son intention initiale). Elle ne cherche pas non plus à éclairer particulièrement notre monde ou bien à nous instruire.
Néanmoins, ce que fait une histoire est de créer un monde et de le peupler de personnages. Ensuite, le lecteur/spectateur verra les personnages et le monde dans lequel ils vivent évoluer parce qu’il est naturel que les choses changent dans la réalité comme dans la fiction.
Sans insister sur le pourquoi de ce changement, on peut admettre néanmoins que les choses changent parce que quelque chose les a fait changer. Ce peut être le hasard comme des actions délibérées.
Une fiction s’adresse à un lecteur et elle va produire chez ce dernier une interprétation de ce monde. Le lecteur y verra des buts ou des stratégies, y décèlera des relations causales (la conséquence d’un événement est causé par un événement précédent et elle est elle-même la cause d’un autre événement) et il interprétera aussi les motivations qui animent les personnages et les rouages psychologiques de ce monde fictif.
On peut comprendre qu’une fiction est alors un monde avec une intrigue, c’est-à-dire des événements, des personnages et des actions arrangés selon un ordre causal et temporel.
Pulp Fiction est bien à propos d’un monde créé avec des personnages brutaux tels que Jules, Vincent et Marsellus.
Cette intrigue est constituée d’actions délibérées (par exemple, Jules et Vincent tuent délibérément les trois dealers qui ont manqué de parole envers Marsellus) et de coïncidences comme par exemple lorsque Jules et Vincent sont au même restaurant que ces deux amateurs (Pumpkin et Honey Bunny) ont décidé de braquer.
Tous ces personnages connaîtront un changement d’état tel que celui de Jules lorsque lui-même et Vincent échappent miraculeusement à une mort certaine. Jules interprétera cela comme un signe et annonce alors sa retraite anticipée de sa vie actuelle.
Toutes ces informations sont communiquées au lecteur/spectateur et c’est leur assemblage qui permet cet effet cognitif qu’une fiction a sur son lecteur. Si l’on veut reproduire un discours comme celui de Pulp Fiction, c’est donc bien cet effet cognitif qui doit être compris et reproduit par un auteur.
Reconsidérons le prologue de Pulp Fiction (Jamais personne n’a braqué un restaurant). Cette scène n’est pas le début de l’histoire, ce serait davantage le début du discours de Quentin Tarantino.
Tarantino utilise une technique narrative dite In media res. Cette technique améliore grandement la fluidité d’un scénario. Elle consiste à plonger le lecteur dans le milieu de l’action.
On ne nous propose pas un personnage avec ce qu’il lui arrive et pourquoi cela lui arrive. Ici, les personnages nous sont inconnus, les circonstances de la situation dans laquelle ils se trouvent nous sont aussi inconnues et pourtant, nous sommes en plein milieu d’une action dont nous ne connaissons ni les tenants ni les aboutissants.
In media res nous montre ce qui arrive maintenant à des personnages en faisant l’économie du qui, du comment et du pourquoi. Cette technique soulève des questions dans l’esprit du lecteur. Elle va créer des manques narratifs puisque pour le moment, l’histoire ne répondra pas à ces questions.
Le monde de Pulp Fiction est alors illustré par du suspense, de la curiosité et des effets de surprise. Et c’est précisément cela la logique de ce monde : tout y est fragmenté. Nous sommes incapables de parvenir à une signification générale, de donner du sens à ce qu’il se passe.
Pour utiliser un univers comme celui de Pulp Fiction, il faut alors fragmenter l’information et la redistribuer à la manière du collage selon l’esthétique surréaliste qui consiste à tenter de saisir un sens profond possible des choses en assemblant le moins arbitrairement possible des fragments de la vie.
On pourrait s’interroger sur ce que signifie cette fragmentation du monde. L’idée dans Pulp Fiction est que le monde lui-même est une collection de cultures différentes mais essentiellement de subcultures, c’est-à-dire un ensemble de valeurs, de représentations et de comportements qui vont se différencier de la culture dominante.
On peut aussi les considérer comme des contre-cultures. Le problème est que lorsqu’on essaie de se saisir globalement de ces subcultures, ne serait-ce que pour essayer de comprendre un peu mieux notre monde, on aboutit à quelque chose d’encore plus impénétrable. En somme, la raison y perd son latin.
Les personnages
Le principe directeur des personnages est que l’on ne distingue en eux aucune complexité, aucun critère qui pourrait faire la différence entre ce qui est bien ou ce qui est mal. On tend ainsi vers le nihilisme qui n’attribue aucune valeur particulière à la vie.
On peut étendre géographiquement la portée du nihilisme déployé par Pulp Fiction. Le surréalisme est universel dans sa lutte contre les valeurs reçues.
Les personnages de Pulp Fiction sont donc en conflit avec la logique fragmentée du monde. Seules les associations permettent alors d’expliquer, de donner du sens à leur comportement.
Par exemple, Jules récite consciencieusement l’extrait de la Bible hébraïque (Ézéchiel) juste avant qu’il ne tue quelqu’un.
Alors que cette citation est un guide qui suggère que l’on doit vivre selon la morale et l’éthique, ironiquement, ceci est absent de la vie de Jules et il reconnaît lui-même qu’il n’a jamais prêté attention à la signification de cette citation et que c’est juste quelque chose qu’il a l’habitude de dire avant de tuer.
Néanmoins, l’association créée est si puissante qu’elle incite Jules et Vincent à ouvrir le feu simultanément. Et soudain, les deux ne font plus qu’un. Ils sont indissolublement liés. C’est en cela que nos personnages luttent contre la logique du monde particulièrement décousue. Il n’y a pas de véritable profondeur psychologique chez ces personnages. Ils sont plutôt des fragments, des clichés de la pop culture que Tarantino colle à la manière des surréalistes comme n’importe lequel de ses autres éléments dramatiques.
Le surréalisme se caractérise par l’élément de surprise, des juxtapositions inattendues et le non sequitur (la conclusion ne suit pas les prémisses).
C’est une forme d’expression où le personnage n’est pas tout. Il est au service de l’expression (assez subversive d’ailleurs) du surréalisme et participe à l’esthétique de la chose, ce qui peut expliquer pourquoi il serait inutile de chercher une quelconque profondeur psychologique dans l’élaboration des personnages.
Le monde des rêves et l’inconscient peut se passer de la psychologisation dont certains auteurs se croit obligé. Pour considérer des exemples du surréalisme en littérature, par exemple, vous pourriez lire William S. Burroughs, Alice Carter, Gabriel Garcia Marquez ou Salman Rushdie.
Ce qui compte, c’est que vous suiviez votre envie, votre propre esthétique même si vous sentez que vous allez faire éclater en morceaux certains dogmes.
Emparez-vous de clichés, juxtaposez-les et faites en émaner une signification. Vous pourriez faire de même avec des archétypes prêts à l’emploi (sans les retravailler psychologiquement) et parvenir à écrire un bon scénario bien qu’apparemment, vous avez brisé des règles supposées immuables.
Pour compléter ce paragraphe, je vous renvoie vers l’article PERSONNAGE : MARSELLUS WALLACE (PULP FICTION)
L’intrigue
Parvenu à ce point de mon article, vous avez compris que les auteurs de Pulp Fiction (Quentin Tarantino et Roger Avary) ont conçu trois lignes dramatiques, les ont fragmentées puis réunies en un apparent désordre à la manière de la technique du collage des surréalistes.
Le lecteur/spectateur est alors incité à mettre en branle son imaginaire afin de créer les liens nécessaires à sa compréhension. En un mot, le discours de Pulp Fiction ne se donne pas de manière arbitraire. Il ne cherche pas à contrôler les pensées de son lecteur/spectateur mais plutôt l’invite dans un espace de liberté hors de toutes contraintes entre lesquelles un langage cinématographique conventionnel et ordonné pourrait le confiner.
Prendre comme modèle de scénario Pulp Fiction, cela consiste d’abord à écrire une intrigue linéaire, de la découper en morceaux et de la réarranger au montage (qui sera suggéré par le scénario) par un collage.
L’astuce narrative sera alors de s’assurer que le dernier fragment renvoie au prologue afin que toute l’histoire puisse converger sur une signification d’ensemble.
Le ton
Le ton de Pulp Fiction est lui-même un assemblage poétique, de violences, de philosophie. Il est cauchemardesque et absurde à la fois. C’est ainsi que fonctionnent les rêves. Ils n’ont aucune limite. Ils peuvent passer de la douceur à l’horreur en un instant.
Je vous renvoie à cet article PULP FICTION : ANALYSE DU SCÉNARIO pour compléter ce chapitre.
Écrire comme le surréalisme
Traditionnellement, le lecteur s’engage dans l’histoire par empathie (envers le personnage principal essentiellement) et par le suspense généré par l’intrigue. Le surréalisme cependant a tendance à minimiser ces deux processus dramatiques parce que plusieurs personnages sont au cœur de leur propre intrigue et l’aspect onirique recherché par l’auteur modère les enjeux et rend moins indispensables leurs conclusions.
Puisqu’un lien empathique ne peut être utilisé, l’astuce consiste alors à faire en sorte que le lecteur/spectateur accompagne les personnages dans leur étrange parcours. Cela peut être réalisé en travaillant chacune des scènes sur deux niveaux.
Considérons ce moment :
Avant autre chose, il faut bien comprendre qu’il y a l’image et les mots. Avec Quentin Tarantino et Roger Avary, les mots servent une esthétique. Ils sont un matériau comme le marbre pour le sculpteur.
Mais ils ne sont pas négligés et l’auteur sera respectueux envers ses mots tout comme Tarantino et Avary dont le génie des dialogues de Pulp Fiction est un modèle d’inspiration.
Dans cette scène, Jules vient de connaître une conversion religieuse. Il est persuadé que Dieu est intervenu et a dévié les balles qui devait le tuer. Vincent est sceptique.
L’un est animé d’un esprit théologique ou métaphysique et l’autre décidément pragmatique.
Apparemment, le couple se désagrège. Mais cette destruction n’est pas l’intention des auteurs. La maladresse de Vincent plonge le lecteur/spectateur dans la même situation chaotique que Jules et Vincent.
Il n’y a pas d’identification avec l’un ou l’autre des personnages présents. Le lecteur/spectateur pourrait être un témoin de l’état mental de Jules et Vincent et assister passivement à leur séparation.
Au lieu de cela, le lecteur/spectateur est invité viscéralement à ressentir l’expérience de la désorientation des personnages (renforcée par le constat qu’ils sont en perdition : Vincent ne connaît pas la ville et Jules tente d’appeler un de ses associés sans y croire vraiment).
Ce qu’il faut retenir de cette scène (comme modèle pour écrire son propre scénario), c’est l’événement inattendu qui va choquer les personnages. La condition préalable pour faire entrer le lecteur dans la situation est de lui faire ressentir que la raison et la causalité ont volé en éclats.
Alors que Jules panique à l’idée d’être arrêté par la police avec du sang partout, Vincent tente de le rassurer. Les personnages cessent alors de s’affronter (ce que la répétition des répliques suggère : abri par exemple ou Toluca Lake).
En effet, ce qui est visé par cette répétition de mots (qui n’est pas une reformulation) est de lisser la transition entre deux états psychologiques.
Nous n’observons pas un personnage qui passe par exemple de la colère à la douceur (c’est ce qu’il s’est passé avec Butch lorsqu’il comprend que Fabienne a oublié la montre). Nous observons un couple qui retrouve son unité par le dialogue. Le lien est renforcé par la répétition des mots de l’un et de l’autre.
Les dialogues deviennent alors le fil qui va maintenir toute la scène en place. Les deux personnages trouvent une harmonie, ce qui paraissait fragmenté (le jeu du collage chez les surréalistes) donne à la scène une unité.
Cette unité apparaît dans une sorte d’union intellectuelle entre deux personnages. Alors qu’il s’écartait irrémédiablement l’un de l’autre, dans une sorte d’incompatibilité nouvelle, un incident leur permet de retrouver cette harmonie intellectuelle dont ils ont besoin pour exister (ou mieux affronter le monde).
Pour résumer, si l’on souhaite s’inspirer de l’écriture particulière du scénario de Pulp Fiction, on peut envisager des scènes où deux personnages argumentent jusqu’au point de se séparer et ponctuer ce moment difficile d’un événement choquant et inattendu.
C’est ce que l’on peut admettre comme la technique du collage chez les surréalistes censé provoquer l’imaginaire du lecteur. C’est ce partage immatériel, intelligible qui se met en place entre les personnages mais aussi non pas entre les personnages et le lecteur, davantage entre le lecteur et le scénario.
Si vous avez la possibilité de m’aider à améliorer Scenar Mag pour qu’il vous soit encore plus proche, Merci de votre soutien (100 % de vos dons vont au fonctionnement de Scenar Mag).