Quoi qu’on en pense, ce qui décrit le mieux une histoire est le conflit. Sans conflit, on a un portrait ou bien encore une jolie peinture sociale sans signification ou encore des éléments posés là sans cause ni effet. C’est-à-dire qu’on peut avoir à peu près tout sans le conflit mais nous n’aurons pas une histoire.
Comment traduire le conflit en fiction dramatique ? C’est tout ce qui va venir s’opposer à la quête du héros. Et quelle que soit cette quête. Le conflit fait son apparition traditionnellement dans l’acte Un. Cette apparaissance n’est pas gratuite. Par le conflit, l’auteur donne du sens à son histoire.
L’incident déclencheur peut être un bon moment pour présenter le conflit potentiel au lecteur, la nature de la menace que devra braver le personnage principal. Le hero’s Journey, le parcours du héros à travers toute l’intrigue jusqu’à son dénouement, ne peut être lancé sans que l’on sache contre quoi notre personnage principal devra lutter.
Gardez en tête qu’il existe de très nombreuses formes de lutte. Et que sans cette lutte, le lecteur ne pourra pas s’investir dans le personnage principal. Et sans cet investissement, l’auteur va avoir un gros travail pour que soit appréciée son œuvre.
L’incident déclencheur, le tout premier nœud dramatique
Ce moment dramatique qui constitue une des toutes premières étapes de la construction d’une histoire se produit habituellement au cours de l’acte Un. En fait, il serait le seul élément dramatique de l’acte Un qui ne soit pas descriptif. Le premier acte est affaire d’exposition. On présente les personnages, on décrit parfois en quelques mots (ou didascalies) l’environnement qu’ils peupleront, en fait, on met en place la situation.
L’incident déclencheur propose une aventure au protagoniste. Celle-ci a besoin de sens. Il est possible alors que cet incident pointe sur la nature du conflit (il n’est pas essentiel que l’antagonisme soit incarné à cette étape).
Si cet événement (pour quelque raison qu’il soit) ne présente pas le conflit, il devra néanmoins être mentionné quelque part dans l’acte Un quelques indices qui permettront de préciser la menace qui couve.
Le conflit a un rôle important à jouer dans la caractérisation du protagoniste. Sa personnalité sera dessinée d’après le conflit qui l’attend et qui se déploiera au cours de l’intrigue après qu’il est décidé de prendre en charge son problème (cette décision correspond au passage dans l’acte Deux). Nous gardons en tête que l’intrigue est le personnage et réciproquement. On ne peut concevoir l’un sans l’autre.
Mais un personnage de fiction tout comme l’individu réel est un être complexe. Il est difficile d’en saisir immédiatement toute la matière. C’est souvent un être écartelé entre deux états psychologiques. Le personnage principal d’une histoire est un être en devenir.
Ce qu’il a besoin d’accomplir dans l’histoire, ce qu’il va vivre dans celle-ci devra alors être reconnu par le lecteur pour que ce dernier puisse éprouver une certaine compassion, une certaine empathie envers le personnage principal. Ce lien intime qui se crée entre un personnage de fiction et le lecteur exige un fondement pour s’établir. Lorsque nous découvrons pour la toute première fois (idéalement dans la première scène après un éventuel prologue) le personnage principal, c’est d’abord à sa persona (c’est-à-dire au masque social qu’il porte) que nous avons affaire.
Un conflit révélateur
Lorsqu’il fait mention d’un conflit potentiel, le personnage principal y apportera une réponse. Cette réponse singulière est toute façonnée non pas par la persona mais par des éléments psychologiques bien plus proches de la véritable nature de ce personnage. A ce moment de l’histoire, lorsque cet au-delà du personnage se manifeste, les actions et décisions qu’il prend nous indique ou bien nous montre un personnage qui a besoin de changer, qui doit encore évoluer.
Parce que dans l’acte Un, le personnage principal est un être incomplet qui doit aller à la rencontre de lui-même pour s’accomplir pleinement. C’est une question d’arc dramatique (ce que la théorie narrative Dramatica nomme comme la ligne dramatique du personnage principal).
Quelle est la finalité de cet arc dramatique ? Admettons que concrètement, les actions et décisions du personnage principal ne seront pas motivés par les mêmes motifs entre le début de l’histoire et son dénouement.
Par exemple, un personnage qui fait montre de lâcheté dans le premier acte peut apprendre à surmonter cette faiblesse dans l’intrigue (par les leçons des tribulations qu’il éprouvera) et faire une brillante démonstration de courage au moment du climax.
Ce résultat portera alors témoignage (si c’est l’intention de l’auteur) que son héros a grandi de ses mésaventures, qu’il est devenu quelqu’un d’autre.
La personnalité du personnage principal telle qu’elle nous est présentée dans l’acte Un (c’est-à-dire ce qui se cache sous l’apparence de la persona) est toute empreinte par un événement tragique (un trauma dans l’enfance est souvent employé). Cet événement explique le personnage tel qu’il nous apparaît dans l’acte Un.
Mais c’est un état nullement figé. Cela signifie seulement que le personnage n’avance plus dans sa vie. Il est limité par ses croyances actuelles, par ses vieux démons. Cette opacité qui recouvre le personnage, qui l’englue dans des comportements qui ne reflètent pas ce qu’il est réellement, n’est pas irréversible.
Le véritable conflit
Au cours de l’intrigue, le protagoniste confronte des barrières extérieures qui obstruent son avancée vers l’objectif qu’il s’est fixé dans l’histoire. Mais ces barrières physiques ne le sont que parce que le personnage principal possède encore des barrières psychologiques qu’il doit s’efforcer de comprendre s’il espère surmonter les obstacles extérieurs.
La véritable histoire, le vrai message de l’auteur, est de démontrer comment son héros parvient à vaincre ses démons intérieurs, c’est-à-dire de faire la démonstration que le personnage a réussi à intégrer la blessure qui a fait de lui ce qu’il est lorsque nous faisons sa connaissance.