Dans l’article précédent, nous avons vu le système des quaternités qui permettent de détailler la nature d’un problème et de ses ramifications dans l’histoire. Le problème devient ainsi un fait observable.
Comprendre la nature de ce problème, cependant, ne fait que le décrire à la fois pour les personnages mais aussi pour le lecteur.
Cependant, nous avons besoin de savoir d’où nous observons ce fait. Et c’est essentiellement là où l’auteur veut nous situer en regard du problème ou du sujet étudié.
Il existe en fait quatre points de vue :
- Celui du personnage principal qui représente l’angle du JE dans l’histoire. C’est par lui que nous pouvons expérimenter le plus personnellement et le plus passionnément la nature du problème de l’histoire.
- Puis il y a la perspective du TU. Cet angle de vue permet au lecteur d’observer un point de vue alternatif à celui du personnage principal. Il s’agit vraiment d’une observation. Ce TU ne nous permet pas d’expérimenter les choses comme avec le personnage principal.
Nous examinons ce point de vue de l’extérieur tout comme si nous regardions un objet.
Mais sans que celui-ci ne provoque une quelconque émotion ou réaction passionnelle en nous (contrairement à la perspective du personnage principal). Pour Dramatica, cet angle de vue du TU est comme l’avocat du diable dans notre esprit. C’est cette petite voix qui nous incite à reconsidérer notre approche d’un certain problème ou à remettre en cause ce en quoi l’on croit mais à laquelle nous ne cédons jamais.
Car si nous y avions cédé, nous aurions déjà changé. Nous sommes plutôt dans une sorte de contemplation et nous nous demandons qui nous aurions pu devenir si nous avions suivi ce point de vue.
Ce TU est incarné par ce que Dramatica nomme un Influence Character car c’est un personnage qui va véritablement avoir un impact ou une influence sur le personnage principal. - Maintenant si nous examinons la relation qui existe entre le personnage principal (le JE) et son Influence Character (le TU), nous pouvons constater la lutte qu’ils se livrent au sein du Storymind. Ils cherchent mutuellement à gagner la suprématie sur l’autre. On peut même parler d’un mouvement dialectique parce que cette confrontation permet à leur relation d’évoluer.
Cette relation est un troisième point de vue à partir duquel nous pouvons évaluer l’histoire. Cette lutte entre deux idéaux est le NOUS de l’histoire.
Conformément au principe que Dramatica est une analogie avec le fonctionnement de notre esprit, le personnage principal et l’Influence Character sont deux aspects de nous-mêmes qui manifestement ne partagent pas les mêmes idées sur un sujet donné.
Le mouvement dialectique que cause cette confrontation personnelle en nous aboutit à la décision soit de conserver le point de vue initial et de s’y tenir fermement, soit de changer en adoptant le nouveau point de vue. Cette relation singulière entre le personnage principal et l’Influence Character est l’aspect subjectif de l’histoire (c’est-à-dire son côté émotionnel, passionnel qui lui donne toute sa saveur). - Le quatrième point de vue est celui de tous les autres personnages. C’est le ILS. Il faut comprendre que selon Dramatica, le JE et le TU créent une argumentation (ou un débat) qui aboutit à un NOUS dans lequel les autres ne sont pas impliqués. Tous ces autres personnages représentent autant de facettes de notre esprit qui tentent de résoudre les aspects logistiques de la nature du problème. En somme, les effets de celui-ci dans l’histoire alors que notre perception de soi (éminemment subjective et incarnée par le personnage principal) est en train de s’expliquer franchement avec une vue opposée qui met en avant ce que nous pourrions devenir si nous changions (et qui est véhiculée ou informée par l’Influence Character).
Subjectivité et Objectivité
Notre propre esprit possède plusieurs facettes. Parfois la raison l’emporte et d’autres fois, nous pouvons être foncièrement sceptiques sur les choses. Ces facettes quelles qu’elles soient sont représentées dans une fiction par des personnages bien distincts (ce sont les archétypes au sens de Dramatica). Ce sont des personnages que le lecteur observe de l’extérieur.
Ces facettes sont autant de traits de personnalité qui s’affrontent les uns les autres et c’est ainsi que l’auteur peut soutenir son propos concernant laquelle de ces approches (ou traits de personnalité) serait la plus apte à résoudre ou du moins à essayer de résoudre ce type particulier de problème qui est au centre de cette histoire singulière.
En nous-mêmes, non seulement nous possédons ces traits ou qualités mais aussi nous avons construit une image de nous-mêmes (c’est la façon dont nous nous percevons à la manière de Descartes, je pense donc je suis).
Ce cogito est représenté par le personnage principal. Celui-ci n’illustre pas un trait de personnalité (ce serait plutôt l’apanage de ceux qui gravitent autour de lui). Le personnage principal est notre conscience de soi, la conscience de notre propre existence qui se projette sur notre propre nature.
Cependant, objectivement, le personnage principal peut à n’importe quel moment de l’histoire emprunter l’un de ces traits de personnalité. Par exemple, dans telle histoire, le personnage principal pourrait être lié à un trait de personnalité que l’on pourrait assimiler par exemple à la voix de la raison.
Ce qui signifie (et c’est ce que l’auteur tentera de communiquer) que cette perception de soi (rapportée au Storymind) sera empreinte d’une position de raison pour solutionner le problème particulier constitutif de l’histoire.
Donc ce personnage principal représentera la position du lecteur dans l’histoire (c’est par lui que le lecteur peut participer à l’histoire) et dans le même coup portera le message de l’auteur que la raison est la voie qu’il faut suivre pour résoudre le problème de cette histoire.
Mais pour que cela soit possible, il faut faire intervenir l’Influence Character qui proposera une autre solution (tout à fait légitime, d’ailleurs), pour résoudre le problème. Il dira que l’émotion, la passion, en somme, tout ce qui fait notre humanité est la solution au problème.
Quant aux autres traits de caractère dont pourrait avoir besoin l’histoire, ils seront représentés par les autres personnages, c’est-à-dire le ILS (et ELLES). Ce sont des personnages que nous observons. Ce qui ne signifie pas qu’on s’en moque et que l’auteur ne doit pas les considérer sans grande attention.
Mais dans l’optique de Dramatica, nous nous préoccupons davantage de nous (ce qui n’empêche pas l’altruisme). Et cet aspect ou peut-être cette différence, nous la partageons avec le personnage principal.
Pour résumer, et pour toutes fictions, chacun des quatre types de problèmes (ou domaines) – UNIVERSE, MIND, PHYSICS & PSYCHOLOGY – sera exploré par l’un des quatre points de vue – JE (le personnage principal), TU (Influence Character), NOUS (c’est l’illustration de la relation entre le personnage principal et l’Influence Character. C’est l’aspect le plus subjectif de l’histoire, celui qui porte l’émotion) et ILS (le point de vue objectif sur l’histoire).
A un type de problème, il sera assigné un point de vue spécifique sur ce problème.
Lorsque nous assignons un point de vue à un aspect de ce que nous observons, nous créons de la perspective. Et c’est cette perspective qui donne du sens à l’histoire. En somme, les choses ressemblent à quelque chose d’un point de vue donné et d’un autre point de vue ou angle de vision sur les choses, celles-ci ressemblent à quelque chose d’autre.
On pourrait reprocher à toutes les théories qu’elles contraignent l’auteur en des limites qui tuent sa créativité. Mais une structure n’a jamais déterminé ce qu’un auteur avait à dire. L’auteur n’est pas déterminé par la structure qu’il suit pour s’exprimer. Il l’est seulement par le message qu’il souhaite communiquer.
Une structure ne porte pas en soi une vérité. Elle ne propose aucune morale. Ce n’est pas par la structure que l’on peut décider de ce qui est juste ou vrai et de ce qui est faux ou immoral.
Des traits de personnalité placés dans un contexte donné peuvent bien mieux manifester à leur manière ce qui est juste et ce qui ne l’est pas.
Dans ce réel inventé qu’est la fiction, et par le sujet qu’un réel inventé particulier manifeste par la structure, celle-ci n’est pas capable de décider qu’une philosophie particulière sur les choses sera bonne ou non. L’auteur se sert de la structure pour passer son message.
La structure lui permet de mettre en place une situation, un jeu de circonstances (et il a un choix infini pour ce faire) et dans ce jeu singulier, il peut affirmer que quelque chose est soit vrai, soit faux. La structure ne lui dicte pas si ce quelque chose est vrai ou faux. Il conserve sa liberté (et sa créativité).
Selon Dramatica, la structure (c’est-à-dire l’assemblage fonctionnel de tous les éléments dramatiques : domaines, classes, archétypes, personnage principal…) autorisera l’auteur à créer une argumentation complète qui lui permettra d’assoir son message sur une base solide et cohérente. Il n’existera pas de manque qui pourrait mettre à mal toute l’histoire.
Le personnage principal est un point de contact avec notre propre moi en tant que lecteur. Quant aux personnages objectifs, ceux que nous observons sans que cela provoque en nous une quelconque réaction émotionnelle, ils illustrent toutes nos qualités ou nos traits de caractère qui sont présents en notre esprit et qui interviennent à leur manière dans une histoire.
Déterminer la nature du problème nous informe sur le problème à l’œuvre au cœur de l’histoire. Et les perspectives créées en associant chaque point de vue qui donne un angle différent sur l’approche du problème émulent la façon dont les problèmes se présentent dans la vie réelle et les différentes façons dont nous pouvons les aborder.
Nous continuerons dans le prochain article.