Un arc dramatique consiste en l’évolution d’un personnage tout au long de l’histoire. L’arc le plus important est celui du protagoniste qui est au début de son aventure quelque peu inachevé (il lui manque quelque chose dans sa vie). Il peut être aussi émotionnellement blessé voire complètement perdu.
Même s’il semble se contenter de son quotidien, il n’est pas véritablement heureux. Il lui manque quelque chose et c’est en évoluant qu’il pourra combler ce manque.
La vie est ainsi faite que nous nous efforçons d’atteindre le meilleur que l’on puisse donner de nous-mêmes. Mais elle est aussi ainsi faite que nous avons à combattre nos propres faiblesses ou démons, c’est-à-dire les attributs négatifs qui constituent aussi notre personnalité.
Un idéal ?
Nous possédons tous un côté sombre. Certains de nos défauts sont pratiquement insignifiants. D’autres, cependant, obscurcissent nos vies et nous empêchent d’évoluer, comme si nous étions retenus en arrière par une quelconque force invisible.
Et ces défauts volent au personnage son droit à être heureux. Au début de l’histoire, le protagoniste (c’est souvent lui mais il peut ne pas être le seul) possède une faille fatale dans son caractère. Cette faille explique souvent son quotidien, son monde ordinaire. Et pour compliquer les choses, il interprète de manière erronée cette faiblesse. Il la considère comme une force. En quelque sorte, il se ment à lui-même.
Il ne se rend pas compte que c’est exactement cela qui contrarie ou déjoue ses tentatives pour obtenir ce qu’il désire le plus. Ce n’est pas tant l’antagoniste qui vient interférer dans sa vie. C’est en lui qu’il doit trouver la force de vaincre cette faille. Il doit la conquérir pour se sentir enfin un être complet.
La tragédie ne joue pas de cette transfiguration souhaité du héros parce que justement, ce genre explique qu’il ne peut vaincre cette peur qui le paralyse. Il ne change pas et la tragédie a lieu.
D’où vient la faille ?
Et surtout pourquoi a t-elle un contrôle si marqué sur le comportement d’un personnage ? C’est dans le passé du personnage et la description d’une profonde blessure émotionnelle que l’on peut trouver la réponse.
Cette blessure résulte d’une expérience si douloureuse que le personnage est prêt à tout pour éviter de ressentir à nouveau la même peine. Elle s’est produite généralement dans l’enfance du personnage et a modelé durablement les attitudes, postures et comportements de celui-ci.
Par exemple, un enfant abandonné pourrait considérer tous les adultes comme des êtres peu dignes de confiance et devenu adulte lui-même être incapable d’accorder sa confiance à quiconque.
Quelques soient les circonstances, cette blessure sape le bonheur que le personnage méritait. Il a une vision du monde contaminée par cette expérience et ne peut ainsi s’accomplir.
Pour se protéger, le personnage va alors se mentir à lui-même. C’est-à-dire qu’il va se forger certaines croyances sur lui-même (se dire par exemple qu’il est un être très prudent pour masquer sa profonde lâcheté qu’il faudra par ailleurs expliquer au lecteur).
L’enfant abandonné pourrait par exemple justifier son abandon en s’expliquant à lui-même qu’il n’était pas digne de ses parents. C’est évidemment faux mais c’est là où se situe le mensonge parce qu’en quelque sorte, ce refus de voir la vérité le rassure.
Ce mensonge en fait est ce que le personnage craint le plus, c’est la vérité qu’il ne peut affronter. Et pourtant, il devra faire face à son tourment s’il veut devenir enfin un être complet et meilleur.
Un personnage en quatre morceaux
Quatre briques peuvent résumer un personnage. Sa motivation illustre ce qu’il désire dans l’histoire. Ce désir est extérieur au personnage. Par exemple, le héros veut sauver la princesse. La princesse est en danger et la motivation du héros à agir est ce sauvetage de la princesse. Son but est de sauver la princesse.
Et si la princesse ressent le besoin d’être sauvée, c’est parce qu’une menace extérieure plane sur l’intrigue.
La seconde pièce qui constitue un personnage se concrétise dans l’opposition que le héros va rencontrer en tentant d’accomplir son but pour lequel il est motivé.
Par ailleurs, il est préférable que l’auteur explique aussi les raisons de cette motivation. Par exemple, pourquoi le héros serait-il aussi déterminé à sauver la princesse ? Parce que le roi détient la mère du héros en otage et qu’il lui a promis les pires sévices s’il ne lui ramenait pas sa fille. Ainsi, pour notre personnage principal, nous avons un objectif motivé.
Maintenant, il serait trop facile et bien peu passionnant que le voyage du héros soit un bref aller-retour. Il faut qu’il rencontre des obstacles le long du chemin et ces obstacles et épreuves qui attendent le héros sont souvent personnifiés et sont la source d’un conflit extérieur au personnage.
Comme exemple de ces deux constantes d’un héros, considérez Jason Bourne. Sa motivation, son but est de découvrir qui il est. En effet, Bourne connaît une grave crise identitaire.
Il sera cependant contrarié dans cette démarche par des agents (personnification d’une entité) qui veulent le tuer. Cette opposition sera le conflit majeur de toute l’intrigue.
Et les faiblesses entrent en jeu
Le troisième élément qui déterminent un personnage est ce par quoi l’antagoniste peut le mieux l’atteindre. Un personnage, tout comme dans la vie réelle, possède des forces. Et il en aura besoin s’il veut vraiment réussir ce pour quoi il existe dans cette histoire (car il ne sait pas encore qu’il doit devenir un être meilleur, en somme, c’est cela la finalité d’un héros).
Son véritable problème, cependant, n’est pas la qualité de l’opposant qu’il doit vaincre. Son souci au héros, c’est qu’il s’est persuadé que les forces dont il a tant besoin sont des faiblesses. Et cette croyance est un mensonge qu’il se fait à lui-même. Et inversement : il peut aussi croire que ses véritables forces sont des faiblesses.
Ce mensonge que le personnage croit illustre la faille ou la faiblesse dans sa personnalité qui l’empêchent de donner ou d’être le meilleur de lui-même.
Le troisième élément est donc constitué d’attributs négatifs et c’est une perception que l’auteur souhaite partager avec son lecteur. Il la renforce d’ailleurs en la soulignant par les autres personnages.
Le quatrième élément de caractérisation d’un personnage est la double description d’un besoin personnel et du conflit que celui-ci engendre en l’intérieur du personnage.
Cela complique quelque peu l’histoire mais c’est pour son bien. L’itinéraire extérieur du héros tout au long de l’aventure ne suffit pas à lui seul à faire une bonne histoire. Il est nécessaire qu’un parcours psychologique reflète cette trajectoire extérieure.
Nous avons vu dans l’exemple du héros à vouloir sauver la princesse que sa motivation à agir était parce que le père de celle-ci détenait et menaçait la mère du héros. Mais pourquoi veut-il vraiment réaliser son objectif ? Qu’est-ce qui le pousse vraiment à risquer sa vie (l’indéniable sacrifice du héros) à sauver en fin de compte non pas la princesse mais sa mère ?
La réponse à cette question se situe dans la motivation intérieure du personnage.
En fait, la relation entre la mère du héros et le héros est très compliquée. Le cordon ombilical n’est pas coupé. La maman du héros est véritablement une femme très possessive. Elle l’étouffe littéralement.
En réussissant à sauver la princesse, peut-être que le héros trouvera l’amour mais surtout, il se libérera de l’emprise de sa mère et pourra enfin assumer sa vie d’adulte.
Une motivation , un conflit
Lorsqu’on a un besoin en nous à satisfaire (même si l’on ne le perçoit pas clairement), il s’accompagne toujours d’un conflit entre deux valeurs personnelles. Et pendant que l’on débat inlassablement à résoudre ce conflit, on n’évolue plus.
Le conflit s’accompagne de doutes et d’échecs personnels. Pourquoi rejeter la faute de nos propres manquements sur les autres ? alors que le problème se situe en nous.
Les revers que va connaître le héros au cours de son aventure sont intéressant d’un point de vue dramatique mais ils sont surtout des leçons pour le personnage principal.
Le héros doit connaître une réformation de sa personnalité. Pour cela, il doit se libérer de ce qui le retient d’avancer, c’est-à-dire la faiblesse majeure de sa personnalité. Mais pour prendre conscience de ce défaut, il faut que celui-ci le blesse. Ce sont les échecs personnels qu’il éprouvera au cours de l’intrigue.
Plus le combat sera difficile et plus cela impliquera que la peine est profonde. Et plus le lecteur trouvera du sens au voyage du héros.
Jason Bourne par exemple doit trouver qui il est, c’est son objectif. Mais pourquoi est-ce si important pour lui ? Parce qu’il doit se prouver à lui-même qu’il n’est pas le tueur implacable que tout semble confirmer.
Quelles sont alors les valeurs conflictuelles à l’œuvre en son for intérieur ? Il refuse d’admettre qu’il y a peut-être quelques vérités dans ce que les autres disent de lui et surtout qu’il a peut-être choisi volontairement cette vie.
Et pour notre héros qui veut sauver la princesse ? Il est partagé entre l’amour d’une mère (et il le lui rend bien) et son désir de voler de ses propres ailes qui le culpabilise. Il craint de trahir sa mère. Son aspiration légitime à vivre sa vie d’adulte serait comme d’abandonner sa mère.
Un arc dramatique en dents de scie
L’évolution d’un héros est faite de hauts et de bas. Elle suit le mouvement de l’intrigue. Tout au long de celle-ci, il va subir des épreuves et cela va interpeller et mettre en branle un conflit intérieur. Tant qu’il ne parviendra pas à résoudre tous les aspects de ce débat personnel, cela érodera son développement personnel.
Parfois, avant le climax (c’est-à-dire avant sa rencontre ultime avec l’antagoniste), le héros fera face à l’exacte situation qui lui a laissé une telle cicatrice émotionnelle et changé sa vie. Cette fois, le résultat sera différent. Il vaincra sa peur et pourra alors affronter son ennemi dans les meilleures conditions.
Alors que les forces morales du personnage avaient été obscurcies par un événement décisif dans son enfance, lorsqu’il vainc ce qui l’effraie le plus, des traits de personnalité positifs se manifestent puissamment.
Mais ils n’apparaissent pas de l’éther. Le personnage les a toujours eus. Il faut simplement qu’il en prenne conscience pour sortir des ténèbres dans lesquelles il se complaît depuis bien trop longtemps.
La conclusion de l’arc dramatique consiste à imposer une valeur contraire à celle que le héros tenait pour acquise depuis le début de l’histoire. Reprenons la faiblesse de notre sauveur de princesse.
Il s’est persuadé que sa mère mourrait de chagrin s’il devait quitter le foyer familial pour vivre sa vie. On peut d’ailleurs appuyer cette conviction en faisant de la mère une veuve.
Lorsqu’il arrivera au bout de son arc dramatique, notre héros éprouvera un tout autre sentiment. Il aura compris que sa mère ne mourra pas de le voir partir et qu’elle lui donnera certainement sa bénédiction.