Vos personnages seront plus riches si vous envisagez lors de leur élaboration leur propre conception du mal. C’est d’abord un système de croyances dont il faut comprendre l’origine, ainsi que la finalité.
Parce que cette conception du mal singulière à chaque personnage colorera chacune de ses émotions et de ses actions.
Le conflit, élément fondamental de toute fiction, sera bien plus dramatique par l’opposition et la confrontation de systèmes de croyances différents.
L’arc dramatique d’un personnage peut aussi se dessiner par l’adoption de nouvelles croyances à la fin de l’histoire. Ou bien d’un manque de foi à une illumination…
Le mal est d’abord une notion subjective.
Si l’on considère la mort, par exemple. les chrétiens la considère comme une punition à la suite du péché originel.
Les bouddhistes quant à eux la voit comme une délivrance des souffrances terrestres.
Le roi Musafa dans Le roi lion a une conception de la mort semblable à celle des hindous . Elle fait partie du cycle de la vie.
En somme, on peut voir le mal comme une simple perception des choses qui dépend essentiellement du chemin de vie des individus. D’autres croyances assènent l’existence du mal comme une réalité indépendante.
Le mal est une question de perspective
La définition du mal que vous assignerez à vos personnages dépend de votre vision des choses.
Pour Jane Austen, le mal dans Orgueil et Préjugés est cette structure sociale dans laquelle les sœurs Bennet sont confinées et personnalisée par ces gens d’une classe supérieure qui reconnaissent à peine l’existence des autres.
Leur mère aussi à sa façon représente le mal.
Si une histoire oppose des vampires et des loups-garous, chacune de ces entités jugent et justifient ce qui est bien et mal alors que les humains les considèrent toutes deux comme étant l’incarnation du mal.
Le mal serait donc une question de point de vue.
il est donc important de donner des indications claires sur ce que les personnages de votre monde considèrent entre ce qui est bien et ce qui est mal.
Le lecteur a besoin de se faire une idée de qui est contre qui et pourquoi.
Le mal dépends de qui décide ce qui est mal
Certaines traditions divulguent que le combat entre Lucifer et l’archange Michel était un combat de l’intellect contre l’émotion. Michel, l’émotion, l’emporta et depuis ce jour, les passions manipulent les êtres humains et les mènent à l’erreur.
Lucifer représentait la faculté de juger, de prévoir et de prendre les décisions de manière raisonnée. L’émotion par son expression de la foi obscurcissait la connaissance et devenait un outil puissant pour contrôler les esprits faibles.
De manière plus concrète, la peur, autre expression d’une émotion, permet de contrôler les masses. La peur est entretenue par la désinformation, par l’assassinat d’intellectuels.
Les cultes à mystère qui se sont concrétisés en parcours initiatiques ont aussi leurs propres visions du mal et du bien. Partant du principe que le miroir renvoie la bête qui est en nous, cette initiation oriente alors la perspective que le prosélyte portera sur le monde.
Le libre-arbitre peut être considéré comme un mal lorsqu’il nous laisse libre de choisir le mal alors que nous savons pertinemment que nous agissons mal.
Comme lorsque nous savons que nous blessons quelqu’un et que nous ne pouvons nous en empêcher car il nous faut bien nourrir cette gueule sombre, coupable et honteuse tapie en notre for intérieur. Une abomination.
D’un point de vue pratique, plus vos personnages auront cet aspect sombre de leur personnalité suffisamment détaillé et puissant, plus le conflit sera dramatique.
Quelle nécessité pour le mal ?
Pour vos personnages de fiction, s’entend. Car leurs croyances influencent leurs motivations et leurs actions.
Par exemple, ceux qui croient en l’au-delà auront une tendance au sacrifice plus forte que d’autres qui accordent une importance à la vie. Ou bien s’ils sont persuadés d’une récompense pour leurs actes.
Le dualisme entre le bien et le mal, entre la lumière et les ténèbres signifie une lutte continuelle pour la prédominance. Et il n’y a que dans les contes de fée que le bien l’emporte systématiquement sur le mal.
Mais de nouveau, chaque partie a un point de vue inverse à celui de son opposant. Dans Kingdom of Heaven, par exemple, les croisés sont convaincus que Dieu leur apportera la victoire.
Et de leur côté, les musulmans sont persuadés que Allah leur donnera cette victoire.
Et le dualisme n’est pas la seule forme possible. On peut très bien admettre qu’il n’y a pas opposition mais un entrelacement comme l’illustre le Yin et le Yang.
Mais pourquoi le mal ?
Essayer de comprendre pourquoi un personnage fait le mal est donc une affaire de perspective.
Car pour le personnage concerné, il est convaincu d’agir selon des valeurs que seuls les autres considèrent comme mauvaises.
Comme il est bon d’expliquer ses personnages, petit tour d’horizon sur les origines du mal chez certains de nos personnages.
Le refus
Le premier chapitre de Le paradis perdu de John Milton en 1667 décrit la chute de Satan en Enfer.
A l’origine, c’est une révolte d’une certaine partie des anges contre Dieu.
Mais pourquoi cette rébellion ?
D’abord, Dieu a créé des êtres libres de leur choix (on en revient à l’idée du libre-arbitre comme source du mal).
Satan ayant le choix et par le principe de la liberté d’indifférence a choisi de faire le mal alors qu’il avait l’évidence de la vérité face à lui.
L’orgueil (Satan désirant devenir son propre Dieu) est à l’origine de ce refus d’un Dieu qui lui aurait été imposé.
Satan est le péché, la tentation et à l’origine de la chute de l’homme qu’il a poussé à la désobéissance.
Dans la religion islamique, Iblis a refusé de se prosterner devant Adam. Il a fait le choix de l’insubordination face à la demande de Dieu.
Iblis se serait élevé contre la volonté de Allah.
C’est de nouveau le refus par orgueil qui est mis en avant. Bien que Iblis ait reconquit la terre en chassant ou détruisant les Djinns qui y commettaient le mal,
Dans le zoroastrime, Ahriman est l’esprit démoniaque opposé au dieu Ahura-Mazdâ.
Initialement, Ahura-Mazdâ crée une dualité entre un esprit du bien et un esprit du mal. Mais celle-ci sera estompée par la conquête de l’esprit du mal par le bien.
Ainsi, la rébellion est perçu comme le mal parce qu’elle refuse une identité éthique qu’on lui impose. Les valeurs défendues ne sont pas les mêmes.
Nous pourrions aller plus loin dans la digression mais cela dépasserait certainement le cadre de notre article ainsi que celui de mes connaissances.
Limitons-nous à l’aspect pratique de cette formulation du mal.
Un conflit pour être dramatique ou du moins pour l’élever au statut de drame consiste à donner aux personnages différentes interprétations quasi philosophiques qui s’opposeront.
Il y a un mouvement à l’œuvre, une dialectique donc, dans la confrontation de points de vue opposés. Chacun se représente le mal chez l’autre.
Mais que veut le mal ?
Une révélation de ce que nous mûrissons en nous-même
La mythologie apporte son lot de monstres, de démons et nombre de tentations sous les formes les plus variées.
Certains érudits ont posé que ces entités servaient à explorer le tréfonds de notre humanité et à atteindre à la rédemption en prenant conscience de ce qui enténèbrent notre âme (ou notre esprit selon vos convictions religieuses).
En l’intégrant, en effet, nous nous libérons du même coup.
N’est-ce pas aussi cela que représente Alex Forrest dans
Liaison Fatale ?
Le nom de famille Forrest n’a pas été choisi au hasard. Il connote avec forest (forêt) et se réfère à la symbolique païenne des forêts.
La philosophie moderne a fait des profondeurs mystérieuses des forêts un symbole de l’inconscient de l’être humain.
Et que penser de Catherine Tramell (Basic Instinct) ?
Dans ces deux histoires, les hommes sont fascinés, voire effrayés mais toujours contrôlés par ces femmes dangereusement puissantes.
Tramell est une figure captivante et intéressante par sa personnalité forte capable de contrôler les hommes et la sexualité. Ce n’est pas l’archétype de Femme fatale qui importe ici. Le meurtre est commun chez ce modèle.
Ce qu’il faut d’abord retenir chez Tramell, c’est qu’elle ne donne aucune explication, ni excuse pour sa bisexualité et ne favorise jamais un corps par rapport à un autre.
Catherine Tramell révèle la menace que représente une femme bisexuelle, pratique et indépendante pour les hommes ainsi que la fragilité du contrôle que ceux-ci peuvent exercer sur elle.
Quant à Alex Forrest, elle représente la peur que suscite les passions dans la culture occidentale.
Beth Gallagher est une femme séduisante. Pourtant pour Dan Gallagher, elle n’inspire aucune passion.
Il est possible que pour James Dearden (l’auteur) le foyer familial doit être quelque chose de dépassionné afin de pouvoir fonctionner de manière stable.
Afin de vivre sa passion avec Alex, Dan doit s’éloigner du foyer familial ce qui est démontré par l’interruption de Helen lorsque Dan et Alex s’apprêtait à faire l’amour.
Et lorsque le foyer doit être reconsolidé, il est dans la logique des choses que Alex doit disparaître.
Alex décrit une peur de la passion elle-même avec son pouvoir et ses possibilités sur la nature humaine.
Lorsque la protection devient le mal
Il semble que la science a démontré que la peur de l’étranger était foncièrement ancrée dans l’esprit humain. Nous pouvons dire qu’il s’agit globalement d’une peur du monde extérieur.
Certains individus (personnifiés par nos personnages) mettent en place des mécanismes de défense au cours de leur enfance (pour se protéger du monde extérieur).
Cette défense devient alors névrotique chez l’adulte.
C’est cela que décrit Carrie Fisher dans Bons baisers d’Hollywood où elle relate ses démêlées avec sa mère Debbie Reynolds.
Cette dernière incarne le mal parce que Carrie Fisher lutte pour une reconnaissance malgré l’ombre que projette sur elle sa mère qui ne cesse de s’immiscer dans sa vie.
Ce qu’il faut comprendre est que cette surprotection du personnage principal durant l’enfance laisse une blessure qui altère la personnalité du personnage.
C’est une faille qu’il doit surmonter. Ainsi le mal participe activement à l’arc dramatique du héros.
Le mal à la recherche de sa propre rédemption
Un exemple célèbre est celui de Darth Vader. Au moment de sa mort, dans Return of the Jedi, il renoue avec son fils.
Le Colonel Kurtz dans Apocalypse Now a compris qu’il avait été trop loin dans la folie meurtrière et que le pardon sur cette terre ne pouvait plus lui être accordé.
Et il encourage le Capitaine Willard à le tuer pour le soulager de sa propre souffrance.
Le mal à la recherche du pouvoir, de la gloire ou simplement d’une revanche
Tueurs nés de Oliver Stone, Richard Rutowski et David Veloz, d’après un scénario original de Quentin Tarantino met davantage l’accent sur le cynisme des médias qui s’avèrent en fin de compte le véritable mal en participant activement à l’élaboration de la légende.
Par ailleurs, le vieil indien Navajo reconnaît en Mickey un démon qu’il va tenter d’expulser par des incantations. Ce démon représente la maltraitance qu’a vécue Mickey de la part de ses parents.
Cette position signifie que le mal n’est pas inné et que Mickey n’est que le résultat de son enfance. Il n’est que ce que l’on a fait de lui.
Les rivalités de bande comme dans Le Parrain ou la lutte pour le pouvoir comme dans Le Seigneur des Anneaux participent à cet aspect du mal chez les personnages.
Et une revanche à prendre est tout aussi puissante que le pouvoir ou la gloire pour animer quelques esprits du mal.
Dans les Bacchantes de Euripide, Dyonisos revient à Thèbes pour s’y faire reconnaître en tant que dieu après un long voyage d’errance et de rejet.
Mais le roi Penthée refuse le culte. Dyonisos se venge alors en embrasant le palais et semant folie et désordre.
Notez que le mal n’est pas figé dans une fonction. Il peut arriver que dans certaines séquences, un héros soit embué par le mal avant de retrouver une conduite qu’une voix intérieure et morale lui dictera pour distinguer le bien du mal.
Ce sont les exigences de l’histoire qui décide cela. Soyez ouvert à toutes les possibilités.
Destruction
Freddie Krueger est un personnage fondé sur un ancien démon qui prospérait sur la mort de personnes innocentes.
Amon Göth, le boucher de Hitler, est aussi très intéressant ici.
Tout comme La liste de Schindler reproduit le stéréotype malingre et agressif de l’homme juif, il présente la femme juive à la manière de la beauté sombre de Rebecca chez Ivanhoé de Walter Scott.
Pour la propagande nazie, cette apparente beauté cache une répulsion raciale.
La femme juive tente l’homme aryen au crime de métissage dont la progéniture monstrueuse révèle la laideur véritable de la femme juive.
En décrivant la femme juive qui tente les hommes dans des liaisons aux conséquences dangereuses, la propagande nazie suggère que la femme juive est la seule instigatrice des agressions et violences sexuelles dont elles sont pourtant les victimes.
Ce serait la femme juive qui projette sur elle le désir masculin.
La Liste de Schindler expose adroitement cet amalgame entre l’attrait de considérer la femme comme un objet, la peur et la révulsion à travers la relation trouble entre Amon Göth et Helen Hirsch. Il est dit d’ailleurs dans le film que ces filles vous ensorcellent.
Et Amon Göth admet que sa soif de destruction et de mort vient de ce désir qu’il éprouve pour une femme juive et qui le tourmente.
Dans votre projet
Quelle que soit la volonté du mal dans une histoire (un être incarné ou une entité), il doit être puissant et indéniable.
Sa fermeté à accomplir le mal est ce qui le légitime.
Vous devez connaître l’objectif de ce qui deviendra l’antagoniste, les événements qui l’ont conduit à remplir cette fonction, les situations qui l’ont façonné.
Le passé de l’antagoniste, le contexte dans lequel il évolue détermineront à la fois ses motivations et ses actions dans la durée de l’intrigue.
Dans l’élaboration de l’antagoniste, il faut comprendre qu’il possède la même résolution que le protagoniste pour réaliser son objectif. Et le protagoniste se battra contre cet objectif dédié au mal.
Notez que l’antagoniste est dans la même position. Selon son point de vue, l’objectif du protagoniste est le mal.