Le regard caméra est une très ancienne technique (aux racines théâtrales) qui désigne ces moments où les personnages prennent conscience qu’ils sont dans une œuvre de fiction.
Le personnage s’adresse simplement au lecteur/spectateur en posant son regard en quelque sorte dans le sien.
Cela crée un lien intime avec le lecteur à un niveau beaucoup plus personnel. Le lecteur/spectateur ne se contente plus d’être un observateur. Il est directement sollicité par le personnage. Celui-ci devient véritablement une conscience qui dépasse le statut d’objet de fiction.
Le lecteur/spectateur le perçoit comme une présence soudaine et se sent regardé par le personnage.
Néanmoins, le regard caméra doit être utilisé sinon avec parcimonie du moins avec prudence. Si l’élan de votre histoire a, par exemple, été long à se mettre en place (parce qu’elle l’exigeait), un regard caméra mal amené peut tout détruire.
Deadpool est très efficace avec cette technique. Petit tour d’horizon sur quatre façons de bien gérer le regard caméra dans son scénario.
La comédie
Il y a des genres qui se prêtent bien au regard caméra. La comédie est l’un d’entre eux. Mais votre scénario ne devrait pas être parsemé de trop de ces regards particuliers.
Il vaut mieux en faire l’économie afin de préserver l’impact de l’effet de surprise qu’il occasionne. Deadpool n’aide pas beaucoup pour comprendre l’utilité d’un tel procédé car il se fonde précisément sur ce procédé pour exister.
Pour fonctionner correctement, le regard caméra doit rompre avec l’histoire. C’est-à-dire que vous arrêtez la scène et le personnage fait ou dit quelque chose qui n’a aucun rapport même lointain avec l’histoire.
On ne peut se contenter d’un clin d’œil, d’une complicité fugace avec le lecteur/spectateur. Le regard caméra doit s’adresser directement à lui avec une intention différente de celle de la scène dans laquelle il s’invite. Il s’agit véritablement d’une intrusion.
Alfie le drageur de Bill Naughton nous introduit à Alfie, un coureur de jupons invétéré. Alfie interrompt régulièrement le fil de l’intrigue pour expliquer au spectateur ses escapades sexuelles. Parler ainsi au lecteur/spectateur fait entrer indirectement ce dernier dans les activités de Alfie. Nous devenons presque des complices en bénéficiant ainsi de ses confidences.
Une intimité singulière
Le regard caméra ouvre un horizon intime avec un personnage. Que ce soit un drame ou une comédie, dès que le regard caméra cesse, la connexion est établie.
Y a t-il une magie à l’œuvre que de voir un personnage de fiction s’adresser à nous ? Sa présence est indéniablement plus forte.
Mais ne serait-ce pas plutôt que le regard caméra est un dialogue d’un sujet à un autre sujet ? Bien que nous soyons rarement le seul à visionner un film.
L’effet est encore plus puissant avec le streaming pendant lequel le spectateur est souvent seul devant l’écran de l’ordinateur.
Cependant, du point de vue narratif, ce qui compte est que le regard caméra crée une intimité avec chacun de nous.
Cela signifie que nous sommes malgré nous pris dans les rets de la fiction. Le regard caméra nous absorbe dans le scénario. Il nous entraîne dans le mouvement. Il nous arrache à notre réalité encore plus fortement que l’histoire ne le fait déjà.
Peut-être aussi, si l’histoire est vraiment complexe, que le regard caméra est une astuce qui permet au personnage principal de partager ses pensées et ses sentiments avec le lecteur.
Car, par ailleurs, ses sentiments auraient trop alourdies, trop plombés le rythme de l’histoire.
Astuce dramatique ou volonté de l’auteur pour renforcer le lien avec son personnage, le regard caméra fait définitivement partie de la narration et du scénario même s’il ne participe pas à la ligne dramatique de l’histoire.
Remémorez-vous la scène dans Annie Hall où lors de la file d’attente au cinéma, Alvy fait intervenir Marshall Mcluhan pour damer le pion à un pseudo intellectuel.
Woody Allen ne se livre à aucune digression. Sa réplique à la fin de la scène « Si la vie pouvait être aussi simple » renvoie à son exploration continuelle de la machinerie narrative. Quelque chose qu’il a toujours suivi dans ses scénarios.
Et puis cela renvoie aussi au thème de Annie Hall. Car même dans un monde imaginaire (malléable par nature), sa relation avec Annie sera un échec.
Résoudre l’information
Lorsque l’histoire fait appel à des termes ou bien à des situations qui ne sont pas en quelque sorte connues du plus grand nombre, il est souvent nécessaire de passer par un narrateur pour expliquer les situations.
Ce qu’il advient parfois, c’est qu’un personnage prenne la parole et explique au spectateur le fonctionnement de la suite de l’histoire.
Ainsi le lecteur possède les informations nécessaires à la compréhension de ce qu’il va suivre sans qu’il ait besoin d’aller chercher dans sa mémoire une référence à ce qu’est en train de raconter l’histoire (si tant est qu’elle y soit).
Si les références sont relativement récentes, l’information peut faire mouche chez le lecteur. Mais qu’en sera-t-il d’un spectateur qui voit un film 10 voire 15 ans après les événements auxquels fait référence l’histoire ?
Le regard caméra devient celui qui passe l’information, un peu comme dans les traditions orales. Et la façon dont est mis en scène ce regard caméra par l’auteur peut être très originale et rafraîchissante (sans se vêtir de lourds atours académiques).
Et encore une fois, ce regard caméra se produit hors de la ligne dramatique de l’histoire.
En ce sens, un personnage principal pourrait même communiquer une information capitale sur son passé en s’adressant directement au lecteur. Cela crée une ironie dramatique qui peut servir l’histoire.
Après une forte tension, un regard caméra peut participer au relâchement et permettre au héros et au lecteur de reprendre leur souffle.
Tension et relâchement crée du rythme. En amenant le regard caméra sur un temps faible, vous ne brisez pas l’élan de votre histoire.
Dans Les Affranchis, Henry Hill est le narrateur. A la fin de l’histoire, Hill raconte les conséquences des événements que nous avons vus se dérouler précédemment directement au spectateur. Des informations importantes ont été communiquées d’une manière originale et économique (sans alourdir le dénouement) appuyées ensuite par des informations écrites sur le devenir des principaux personnages.
Et cela crée même un moment d’intimité avec Henry Hill.
La cerise sur le gâteau : créer un malaise chez le lecteur
Apanage du thriller et de l’horreur, le regard inquiétant du personnage regarde droit dans les yeux (ou du moins semble fixer) chacun d’entre nous afin de provoquer une angoisse qui ne demande par ailleurs qu’à jaillir.
Que le personnage soit effrayant en lui-même ou simplement que ce regard est annonciateur de malheur, il a pour but de concrétiser au mieux la présence de la menace à nos côtés.
Ce type de regard tend à minimiser la distance qui nous permet d’éprouver les dangers que vivent les personnages tout en étant nous-mêmes en sécurité.
Depuis 2014, nous partageons avec vous toutes les informations que nous voulons vous être utiles. Vous nous confirmez qu’elles vous sont utiles et nous vous remercions pour cela.
Cependant, Scenar Mag a un coût et je ne vous le cache pas, il est difficile à supporter. Aidez-nous à vous aider par vos dons. 100 % de vos dons vont au fonctionnement de Scenar Mag. Merci pour vos encouragements.