Nous avons abordé dans l’article précédent le chapitre 10 de la théorie narrative Dramatica sur les personnages subjectifs.
Continuons sur notre lancée.
Sommaire de tous les articles de cette passionnante théorie (ardue à déchiffrer mais définitivement bénéfique pour comprendre ses propres mécanismes d’écriture) :
DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE
Un point de vue alternatif
Il y a aussi un autre personnage très spécial qui représente l’argument d’un point de vue alternatif. Le personnage qui passe toute l’histoire à plaider pour le changement du personnage principal est appelé Influence Character. A noter que dans un premier temps, Dramatica nommait ce personnage Impact Character parce qu’il impactait véritablement la destinée du personnage principal. Il est devenu Influence Character parce que cette dénomination reflétait avec plus d’exactitude l’influence qu’il avait sur le personnage principal.
Cet Influence Character agit comme un obstacle sur le chemin que prendrait le personnage principal s’il était laissé à lui-même. Comme avec chacun d’entre nous, la dernière chose que nous questionnons lorsque nous examinons un problème, c’est nous-mêmes. Nous recherchons toutes sortes de solutions à la fois externes et internes avant que finalement (éventuellement) nous n’en venions à nous demander si peut-être nous devrions changer la nature de qui nous sommes et apprendre à voir les choses différemment.
Nous pouvons apprendre à aimer ce que nous détestions, mais cela demande beaucoup de persuasion pour faire ce saut.
Lorsqu’un personnage principal fait le traditionnel acte de foi avant le climax , il a exploré tous les moyens possibles de résoudre un problème sauf celui de changer qui il est.
Un terme qui conviendrait mieux que cet acte de foi qui est la traduction littérale du vocabulaire de Dramatica serait anagnorisis, une révélation en quelque sorte, qui est certainement la prise de conscience parfois très bouleversante que connaît un personnage, habituellement le personnage principal.
L‘Influence Character (dont la traduction littérale en personnage influent sied convenablement) a passé toute l’intrigue à essayer de convaincre le personnage principal sur l’idée que le changement est une bonne chose et en fait, il pointe très précisément sur comment le personnage principal doit changer. Car le temps s’écoule ; les options vont manquer. Si le personnage principal ne se décide pas d’une manière ou d’une autre, alors l’échec est certain.
Mais que choisir ? Il n’y a pas de réponses évidentes selon la perspective du personnage principal.
Un passé de succès
Le personnage principal est introduit doté d’une méthode éprouvée quant au type de problème présenté dans le récit. Cette méthode a toujours fonctionné pour le personnage principal auparavant : les expériences n’ont pas manqué. Soudain, une situation apparaît où cette approche standard ne fonctionne plus, et peut-être même pour la première fois.
Cela marque le début de l’argumentation de l’histoire. Cette argumentation est la progression logique et émotionnelle de significations qui se combinent pour apporter la preuve du message porté par le récit. Le message de l’autrice et de l’auteur est prouvé par une progression de significations logiques (c’est-à-dire impassibles par la simple observation des faits, des événements sans réaction émotionnelle ni jugement) et de significations émotionnelles (c’est-à-dire empreintes d’émotions, de sentiments, de passions. L’aspect psychologique des choses, en somme).
Et cette preuve sera créée par l’interaction de personnages, de l’intrigue, du thème et du genre.
Le point de vue objectif (qui montre aussi le conflit) est l’affirmation (tout aussi conflictuelle) qu’une certaine approche est la plus appropriée pour résoudre un problème particulier ou atteindre un but dans un contexte donné. Le point de vue émotionnel est l’affirmation (non dénuée de conflit non plus) qu’une vision du monde est meilleure qu’une autre pour mener à la réalisation de soi. L’autrice et l’auteur peuvent utiliser leur argumentation pour communiquer directement leur message ou indirectement en l’inférant ou en l’exagérant (presque à l’outrance) afin de démontrer contre quoi il s’oppose.
Dans le cours de l’intrigue, le personnage principal essaie tout pour trouver un moyen de solutionner son problème gardant l’espoir que ce dernier se résoudra d’une manière ou d’une autre. Ou bien de lui-même ; ou encore le personnage principal peut penser que son problème sera résolu par la méthode éprouvée (comme le personnage principal l’a toujours fait).
Tout au long du chemin, l’Influence Character entre en jeu. Il dit au personnage principal qu’il y a un meilleur moyen, une approche plus effective qui non seulement résout les mêmes problèmes que la méthode déjà éprouvée par le personnage principal mais résoudra ce nouveau problème aussi bien.
Cela semble complètement chimérique et le personnage principal le voit de cette façon. Pourquoi abandonner cette bonne vieille ressource à cause juste d’une petite critique ?
Comme le récit se développe, l’Influence Character justifie son point de vue. Lentement, un modèle alternatif se construit qui devient bientôt convaincant.
Avant le moment de vérité (que l’on peut assimiler au climax ou juste avant celui-ci) les succès de l’ancienne vue sont parfaitement équilibrés avec la nouvelle vue, peut-être plus grandiloquente mais non encore essayée.
Aucune vue ne prévaut et c’est pourquoi c’est bien un acte de foi de la part du personnage principal d’en choisir une plutôt que l’autre.
Il doit être noté que l’Influence Character n’a même pas besoin de savoir qu’il possède cette sorte d’effet sur le personnage principal. Il pourrait le savoir mais il pourrait tout aussi facilement n’en pas être conscient.
Les personnages principaux sont définis par leur point de vue. L’Influence Character l’est par l’impact sur ce point de vue. C’est pour cela que l’Influence Character peut sans souci revêtir la fonction de l’antagoniste si cela plaît à l’histoire (et à l’auteur).
La détermination du personnage principal
Le personnage principal doit-il changer à la fin de l’histoire ou rester immuable ?
En complète empathie avec le personnage principal, nous devenons pratiquement cette personne. Il y a certains mouvements que nous pouvons raisonnablement penser pouvoir déterminer chez un personnage principal comme nous expérimentons les choses depuis son point de vue.
L’un d’entre eux est sa détermination (ou Main Character Resolve).
En d’autres termes, le personnage est-il déterminé ou est-il en devenir ? Le personnage tel qu’il apparaît à la fin de l’histoire n’existe pas encore au début de celle-ci. Ce concept de Main Character Resolve sera étudié dans nos prochains articles)
Cette détermination du personnage principal (Main Character Resolve) répond à la question : Est-ce que le personnage principal change ou non à la fin de l’histoire ?
Au début du récit, le personnage principal est mû par une motivation spécifique. Lorsque l’histoire se termine, il est
- soit toujours mû par la même motivation (il est resté ferme dans ce qu’il était voire même a t-il affermi cette détermination en lui),
- soit il possède dorénavant une nouvelle motivation (il a donc changé).
Imaginons un personnage qui veuille devenir président au début de l’histoire. Il est motivé en cela par un désir de puissance. Après les pérégrinations de l’intrigue et différentes prises de conscience successives ou des révélations, il n’est dorénavant plus animé par un besoin de puissance, d’ascendance sur les autres.
Maintenant, son plus cher désir est de trouver la sérénité auprès des autres dans une harmonie totale. Il a changé.
Néanmoins, si son désir de puissance est non seulement satisfait à la fin de l’histoire en devenant président mais qu’il applique aussi son pouvoir à lui procurer encore plus de pouvoir, il est resté identique à lui-même (et même son désir de puissance s’est renforcé).
Cette détermination (Main Character Resolve) décrit dans les faits la relation qui unit le personnage principal et l’Influence Character.
L’impact (ou l’influence) de l’Influence Character est ce qui force le personnage principal à considérer l’idée d’un changement possible. Et si à la fin de l’histoire, le personnage principal change effectivement, c’est le résultat de l’effet de l’Influence Character sur la perspective du personnage principal. Reprenons notre personnage qui veut devenir président parce qu’il pense avoir un besoin de puissance. L’Influence Character pourrait alors être incarné par sa femme. Sa femme qui est un être très sensible pourrait alors lui faire découvrir une réalité misérable soit qu’il ignorait soit que son aveuglement occultait.
Prenant conscience de la misère humaine et du bien qu’il pourrait faire s’il était élu le fait donc changer (notez en un être meilleur. C’est à une véritable transformation du personnage à laquelle nous assistons. Comme s’il trouvait son salut en devenant un être meilleur, plus apte à rendre ce monde meilleur).
C’est donc bien sous l’influence (et non sous l’emprise) de sa femme que notre personnage change.
Si, par ailleurs, le personnage principal reste immuable, alors son impact sur l’Influence Character forcera celui-ci à changer. Dans notre exemple, il parvient à convaincre sa femme de la vanité de son action sociale et celle-ci se range à ses vues.
Quelques exemples :
Star Wars
- Le personnage principal Luke change.
- L’Influence Character Obi Wan Kenobi reste égal à lui-même.
Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur
- Le personnage principal Scout change.
- L‘Influence Character Boo Radley ne change pas.
Le Fugitif
- Le personnage principal Richard Kimble reste fidèle à lui-même du début à la fin de l’histoire.
- L’Influence Character Sam Gerard change.
Nous poursuivrons la lecture du chapitre 10 dans le prochain article.
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