Tomber ensemble, voilà ce que signifie coïncidence. Deux choses que tout sépare se lie et cela donne du sens. Est-ce un ordre si discret qu’on l’imputerait aux voies de la Providence ? Ou alors est-ce totalement contingent, c’est-à-dire qui peut ou ne peut pas advenir ?
Épicure a une théorie atomiste, les atomes errent dans le vide et, par quelques manières, s’agrègent ce qui lui permet d’expliquer tout le hasard du monde. Un hasard qui était pour lui une forme de liberté, d’autodétermination dans un monde autrement déterministe. Cette synchronicité prend chez Jung un lien significatif entre des événements sans lien causal. En effet, il est habituel de penser que les faits ont toujours une cause, si ténue soit celle-ci ; mais pas pour Jung.
Alors, la coïncidence est-elle un pur hasard ou, apparemment du moins, une nécessité ? En tant qu’autrice et auteur, la question que nous devrions nous poser est de connaître jusqu’à quel point nous pouvons espérer de la suspension du jugement de notre lecteur/spectateur avant que notre récit ne perde toute crédibilité.
Paul Auster
Appuyons-nous sur cet auteur, chantre de la coïncidence narrative. C’est une technique narrative qui permet à des événements improbables de se succéder et d’avoir du sens dans le récit. On n’accumule pas du hasard, on structure le récit avec du hasard. Et c’est précisément cela qu’Alejandro González Iñárritu fait avec Babel (2006). Ce film dit choral nous conte plusieurs récits dans des lieux différents du globe et seulement liés entre eux par un événement tragique.
La véritable question est : mais quelle est donc la nature du réel ? Que percevons-nous ? Et les interrogations ne cessent : existent-ils d’autres formes de réalités au-delà de ce que nos sens nous renvoient ? Peut-être spirituelles ? Merleau-Ponty ne se contentait pas des impressions sensorielles comme moyen de connaître ce qui nous entoure : il y a une interaction entre nous et le monde ou dit autrement une expérience de notre présence au monde. Et pour Bergson, nous connaissons une expérience subjective et continue du temps qu’il nomma durée et tablait sur l’intuition pour nous permettre de saisir la réalité.
Lorsqu’on crée un incident déclencheur, faut-il vraiment y chercher une cause ? Il n’y a réellement aucune raison de croire que pour advenir, une rencontre devrait être raisonnée. Dans l’écriture d’une fiction, il y a probablement une nécessité à ce qu’un événement vienne bouleverser le monde ordinaire du héros ou de l’héroïne, mais la rencontre peut sembler tout à fait fortuite.
En vérité, je peux accumuler des événements qui n’ont apparemment aucun rapport entre eux tant que j’ai une intention et qu’une fois mis bout à bout, tous ces événements, toutes ces coïncidences si décriées prennent sens. Ils suivent une trajectoire que j’ai, en somme, prédéterminée. Les liens secrets qui forment mon intention confèrent à mon récit un effet de révélation. Et, effectivement, il existe un réseau de liens, mais qui se dévoileront au fil du récit. C’est ce qui rend la chose passionnante pour l’autrice et l’auteur. Après tout, cette témérité à jouer avec des correspondances qui ne sont pas évidentes du tout, n’est-ce pas leur donner une portée universelle ? L’Insoutenable Légèreté de l’être (1988) de Philip Kaufman explore à sa manière les coïncidences, le possible du destin et les rapports étranges qui peuvent exister entre des faits dont la distance abyssale ne laisse rien soupçonner.
Toutes ces vies qui se croisent au gré des chemins, toutes ces rencontres tissent certes des récits individuels sur fond d’un contexte historique et ce qui paraît fragmenté se révèle être significatif dans sa totalité.
Une structure
Pour que notre lecteur/spectateur nous garde sa confiance, il faut une structure même si elle ne lui est pas immédiatement accessible. Partout, il y a une structure : dans le langage, dans notre éducation, dans notre fond social et culturel. Notre récit n’y échappe pas.
La soudaineté ou l’incongruité d’un fait peut surprendre de prime abord. Or, c’est précisément l’effet dramatique qui est recherché ici. Marie, cette jeune fille qui engendra un enfant sans aucune semence, paraît absurde et pourtant, quand on découvre qui est cet enfant qu’elle porte en son sein, cet événement prend une ampleur universelle.
Les événements ont beau nous étonner, et néanmoins, ils se lient ensemble. Tout n’est aléatoire qu’en apparence. Il y a une logique cachée. Nous ne jouons pas avec des artifices ici : c’est notre manière bien à nous de nous saisir du monde, entre hasard et nécessité, entre contingence et déterminisme. Tantôt, nous posons une cause matérielle, logique, tantôt de la signification, mais elle n’aura rien d’évident sur le moment.
Nous pouvons penser que le hasard tisse du sens ou du moins, telle une ponctuation dans une phrase, voilà qu’il exhale un souffle émotionnel.