Notre liberté, autant dire notre existence tout entière humaine, est bien un ressort du récit. Elle n’est pas une thématique sans intérêt : elle pousse les personnages à agir et par là même est source de conflits. Conflits qui, à leur tour, décrivent les personnages. Et ce sont bien les faits marquants de cette description que le regard du lecteur/spectateur retient du récit auquel il vient d’assister (et même de participer).
En fiction, nous ne sommes pas dans la vie réelle et pourtant, les personnages sont confrontés à des décisions qu’ils doivent impérativement prendre et ainsi écrire leur propre destinée (je distingue le destin, en quelque sorte, nous serions guidés par une volonté supérieure, une grâce divine qui fait que, malgré l’apparente adversité, nous devons accepter que certaines choses sont mystérieuses et nous dépassent ; alors que notre destinée, nous en sommes les artisans).
Donc, face aux aléas de l’intrigue, les personnages agissent de manière autonome avec l’objet de leur désir en tête et avides de contrariétés, car ils savent en leur sein que cette souffrance leur est nécessaire. S’ils ne possédaient pas cette volonté, nous les sentirions manipulés. Et ce serait une contradiction envers la nature même d’une intrigue qui consiste à mettre en scène une intention.
Une intrigue n’est rien autre que des circonstances ou des situations contraignantes et c’est parce qu’un personnage est fondamentalement libre que son parcours en devient captivant pour le lecteur/spectateur et significatif pour l’autrice et l’auteur.
Lena de The Six Triple Eight (2024) de Tyler Perry prend la décision (et elle l’affirme clairement après la mort d’Abram qui sert d’élément déclencheur à l’intrigue qui advient) de s’engager dans l’armée. Lena n’est pas singulière dans ce récit : à elle seule, elle représente toutes ces femmes qui baignent dans des conditions de travail pénibles et des préjugés raciaux intolérables. C’est bien ce contexte qui permet à Lena et à toutes ces femmes d’exprimer leur liberté par leur force de caractère, leur courage et surtout leur engagement envers leurs convictions.
Quand la liberté s’énonce, ce sont les doutes et les hésitations qu’on entend. Et c’est d’autant mieux que le conflit est au cœur de tout récit. Lorsque deux libertés s’opposent, nous entrons en conflit. Sur le plan dramatique, il y a basculement d’un état de relative tranquillité (d’âme, pourrait-on dire) vers un état conflictuel. Par liberté, il faut entendre un désir, une volonté, c’est-à-dire un droit d’agir.
Donc, chaque personnage est porteur de sa propre liberté. Et lorsque la réalisation de la liberté de l’un a toutes les chances d’entraver celle de l’autre, cette incompatibilité des volontés ou des intérêts produit du conflit.
La tension dramatique gagne aussi dans cet effort. Un effort d’ailleurs qui ne se concentre pas seulement envers un autre personnage. D’autres contraintes existent qui proviennent de l’extérieur : l’autorité, des conditions d’existence, des normes sociales… Quel désir pouvons-nous évoquer de cette lutte ? Celui d’émancipation, bien entendu. Le Dictateur (1940) de Charlie Chaplin décrit un désir d’émancipation personnelle face aux contraintes imposées par un État totalitaire. D’apparence très semblable, V pour Vendetta (2005) de James McTeigue nous conte les aventures d’un mystérieux justicier dans un contexte de rébellion contre l’oppression étatique. Stéphane Brizé dans En Guerre (2018) déplace le concept de liberté dans la résistance contre des décisions économiques.