Est-ce que ma pensée existe indépendamment de mon langage ? Celui-ci ne serait alors qu’un simple instrument afin que nous exprimions ce que nous pensons. C’est donc d’idéation que je devrais parler, c’est-à-dire tout ce qui se rapporte au processus de formation ou de création des idées. Cela peut inclure la génération de nouvelles idées, la conceptualisation, l’imagination ou l’anticipation.
Est-ce que je peux expliquer à une autrice ou un auteur de scénarios que leur acte de penser se distingue radicalement des mots avec lesquels ils couvrent le néant d’une page blanche ? Quand on pose une idée sur une page blanche, on lui donne de la matière. C’est celle-ci que les autres s’approprient quand nous voulons qu’ils soient les destinataires de notre pensée.
Avec un tel type de questionnement, je me demande aussi si ces autres ne violent pas mon intériorité, à savoir mes jugements, mes raisonnements, mes idées. Et si je décide de suspendre mes jugements, de ne pas succomber aux opinions faciles, les autres ne seraient-ils pas tentés de m’en donner qui ne m’appartiennent pas ?
Donc, si je souhaite extérioriser mes idées et pour qu’elles soient interprétées dans le sens où je l’entends, il m’est utile d’être attentif au choix de mes mots. Platon les disait imparfaits, car, somme toute, ils sont approximatifs. Ils projettent de ma pensée une image que Bergson qualifierait d’intermédiaire. On perçoit l’image, non ma pensée. Je rejoins ainsi John Locke et David Hume, ces chantres de l’empirisme, qui fonde tout sur l’impression sensible. Et le langage devient signe. Si je dis d’un auteur ou d’une autrice qu’ils ont un style sauvage, le langage qu’ils utilisent devient volonté de rupture, c’est-à-dire une écriture qui refuse les codes, que ce soit l’ordre des mots ou les mots eux-mêmes.
Un partage
Pourtant, il me semble indéniable que le langage participe d’une expérience partagée. Cette expérience que Ludwig Wittgenstein désignait comme forme de vie. Admirez comme l’expression tente de traduire l’idée que le langage s’insère nécessairement dans un contexte social, culturel, pratique. Il serait peut-être un peu trop réducteur de dire que le langage se situe d’emblée dans une activité humaine. Je peux très bien imaginer deux entités non humaines qui partagent une façon commune de voir et de juger leur monde.
Ma pensée peut-elle exister hors du langage ?