QUELQUES IDÉES SUR L’ACTE

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Assembler des faits nécessite une structure. La tradition, c’est trois actes. Dans le premier, connu comme l’exposition, on nous présente l’héroïne ou le héros et le monde dans lequel ils vivent. C’est un monde illusoire, c’est d’ailleurs pour cela qu’on le dit ordinaire ce qui implique aussi qu’il est fragile.
Et, en effet, il se produit une perturbation. Le faux équilibre de ce monde ordinaire est bouleversé moyennant un événement. D’abord réticent à accepter l’exigence ou plutôt l’urgence à changer, l’héroïne ou le héros hésite. Mais alors un second événement achève de les convaincre de la gravité de leur situation.

L’acte Deux commence. C’est la confrontation : obstacles et conflits se succèdent et une alchimie s’opère. Le personnage prend de plus en plus conscience de ce qu’il est vraiment et il est amené à faire des choses dont il ne se soupçonnait même pas capable. En un mot, il s’ouvre à lui-même par l’expérience de la souffrance.

C’est au point médian du récit et sous la forme d’un retournement de situation (peripeteia) que le personnage prend conscience de son action dans sa destinée. La durée du point médian ne peut être que de quelques pages ou lignes d’ailleurs et prendre place au moment le plus adéquat sans être forcé à l’exact instant d’un milieu physique du récit.

Habituellement, à la fin de l’acte Deux, s’initie le climax : c’est l’ultime confrontation avec l’adversité quelle que soit la forme sous laquelle elle se présente et c’est, en effet, un moment maximal de tension.
La réponse à la question dramatique qu’a posée le récit (en gros, est-ce que le personnage réussira ou non ce pour quoi il existe dans ce récit qui est le sien ?) ne nous est donné qu’une fois le climax accompli. C’est enfin la résolution du conflit et nous avons un dénouement en forme de conclusion (plus ou moins définitive lorsque l’autrice et l’auteur nous convient à interpréter cette conclusion qu’ils ont écrite).

L’organisation du récit

Je distingue la chronologie parce qu’il faut bien que les événements s’ordonnent dans le temps et l’agencement de ceux-ci qui confèrent aux faits nulle nécessité à être ainsi ordonnés, car l’effet recherché doit être dramatique. Kogonada nous propose After Yang (2022), une œuvre fragmentée et contemplative qui alterne les souvenirs, les analepses qui appartiennent tout autant à la mémoire, mais aussi des perceptions subjectives, des sensations passées au crible de nos regards afin d’examiner la question du deuil.

Alors qu’Aristote dans sa Poétique insiste fortement sur la causalité (chaque fait trouve sa source dans ce qui le précède), dans After Yang, l’agencement des scènes s’explique par un rapprochement des émotions ou des thèmes. C’est ainsi qu’on ne montre pas les conséquences de la panne de l’androïde qui serait alors comme une dénonciation de notre aliénation à la technologie, mais plutôt l’importance qu’avait prise cette machine au sein de la famille.
Excellemment représentatif de ce concept est aussi Strawberry Mansion (2021) de Kentucker Audley & Albert Birney. L’agencement du récit est conçu selon un effet poétique. La structure est, comment dirai-je, onirique. L’intrigue oscille entre rêve et réalité sans jamais prendre position. L’idée est de briser l’arbitraire du temps. On ne sait si ce que l’on voit appartient au présent, au passé ou à un rêve. Tout comme le héros, nous sommes perdus entre songe et réalité.

Regardez comme la causalité peut être possible, il est naturel après tout qu’un effet soit la conséquence d’une cause quelconque. Pourtant, et Henri Bergson l’a dit avant moi, nous bénéficions néanmoins d’une liberté qui nous permet de créer des événements sans que ceux-ci aient un quelconque motif qui les explique. Ils auront cependant (voire peut-être) un mobile, c’est-à-dire pour quelle raison, dans quel but, dans quel dessein cet événement qui ne se source pas dans une cause possible puisse exister dans l’intrigue.

Je retiendrai d’Aristote l’idée d’unité que j’explique ainsi : si un événement ne participe pas à l’avancée du récit, c’est d’ailleurs quelque chose que l’on perçoit souvent après quelques révisions et relectures, alors on le supprime.

Peripeteia et Anagnorisis

Dans une intrigue, il faut des péripéties (peripeteia). Ce sont des rebondissements, des retournements de situation. Cela rend davantage attentif le lecteur/spectateur. Puis, il y a les vérités que cache le récit : soudain, elles se révèlent et dissipent les incertitudes qu’auraient pu nous laisser l’intrigue. C’est ce qu’Aristote nomme anagnorisis, une reconnaissance. Les choses prennent enfin sens à travers la péripétie ou la reconnaissance, c’est-à-dire après qu’elles sont advenues. Sur le moment, il faut qu’elles soient quelque peu obscures. Ce n’est qu’à la fin que se donne sens tout ce qui a précédé.

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