PENSER SON PERSONNAGE

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Quand on pense un personnage, il y a trois notions qui pourraient s’avérer utiles : le déterminisme, l’identité et la liberté individuelle. Le déterminisme est essentiellement un conditionnement : notre milieu social, notre éducation, notre histoire personnelle (y compris celle de notre corps) conditionnent nos comportements et nos actions, nos pensées… en fait, notre manière d’être au monde.

Choisir s’apparente à la liberté bien que nos choix ne sont jamais absolus. Le déterminisme implique que tout effet a sa cause ; on est donc en droit de se demander quel choix véritable avons-nous dans nos décisions. Un personnage pour lequel nous insistons sur son déterminisme signifie qu’il est fortement influencé par son passé et son environnement, ce qui lui laisse peu de possibilités pour écrire sa destinée, mais lui trace toutefois un destin déjà écrit.

L’identité est un ensemble de traits de personnalité. Elle définit l’histoire personnelle, les valeurs, les croyances et les relations qu’un individu entretient non seulement avec autrui, mais aussi avec lui-même. D’ailleurs, je peux citer Paul Ricœur qui distingue chez un être l’ipséité, c’est-à-dire son vécu qui, sans nécessairement façonner son identité, du moins la révèle surtout dans ses aspects changeants et la mêmeté qu’il considère comme stable, car elle est une identité sociale, une image que nous voulons renvoyer aux autres sans que jamais le regard de ceux-ci sur nous change.
Quelle sera donc l’identité d’un personnage fictif ? Nous pouvons tabler sur ses choix, ses origines et élément très important dans l’écriture de fictions : l’arc dramatique qui décrit son évolution au cours de l’intrigue, car celle-ci aura un effet sur le devenir de notre personnage qui apprend ainsi à dompter cet autre qu’il est en lui-même.

Alors la liberté ? Nous sommes sûrs de penser, d’agir et de choisir par nous-mêmes. Certes, nous ne sommes pas exempts de contraintes, néanmoins nous privilégions notre libre-arbitre face au déterminisme. Ainsi, un être de fiction remet en question son passé, ses préjugés et autres opinions ou les normes établies par d’autres que lui. La question que nous devrions nous poser, nous, c’est de savoir si nous sommes vraiment capables d’un libre-arbitre.

L’habitus

Lantier GerminalUn individu est marqué par les structures sociales. Prenons appui sur Lantier du Germinal de Victor Hugo. C’est bien son cadre social qui façonne sa perception du monde, entre misère et exploitation. Les conditions matérielles déterminent sa souffrance et sa lutte. Hugo élabore patiemment l’identité de Lantier à travers sa prise de conscience des injustices faites aux mineurs et son éveil politique à travers ses expériences hors et dans la mine.
Ses relations aux autres mineurs sont la clef de son identité. Que peut-on en déduire ? Qu’un personnage de fiction n’est pas entièrement libre : ses choix, ses ambitions, ses désirs sont marqués du sceau de son environnement. Celui-ci constitue un horizon de conscience pour le personnage, c’est-à-dire, de sa perspective, ce qu’il croit possible ou impossible.

C’est un peu abstrait de dire qu’on projette une image ou inversement qu’on prenne conscience de soi, n’est-ce pas un récit que nous nous racontons à nous-mêmes ? Le milieu social devient le point de départ de nos conflits personnels : cherchons-nous à nous en émanciper ou bien à en préserver les valeurs ? Alors se constitue l’histoire de notre personnage : éprouve-t-il une honte d’appartenir à tel milieu ? S’engage-t-il à le sauver jusqu’au sacrifice ? Je ne sais si vous me suivez bien ici : c’est comme si le personnage s’inventait son histoire avec les données qu’il a à sa portée. Qu’il soit éphèbe ou qu’elle soit virago, l’un comme l’autre se racontent leur propre histoire qui se fonde précisément sur ces manières d’êtres. Ou bien un savant qui imagine quelque chose d’extraordinaire et qui avoue lui-même qu’il n’y aurait jamais songé s’il n’avait suivi une formation de chercheur.

Le dépassement

Ce qu’on peut admettre, néanmoins, c’est que, bien que conditionné par un cadre dans lequel nous sommes tombés, par on ne sait quelle fortune, cet environnement ne nous définit pas totalement. Nous avons toujours la possibilité, si volonté il y a, de nous arracher à ce qui nous ceint dans un contexte que nous n’avons pas choisi.

C’est l’essence de ce qu’on nomme habituellement l’arc du personnage, c’est-à-dire un parcours jalonné de quelques étapes vers cet autre lui-même qui est déjà en lui, mais qu’il ignorait. Et de manière très classique, ces étapes sont des situations conflictuelles, car il faut faire l’effort de changer. Il y a donc une tension entre un ancrage dans une situation initiale, un monde ordinaire, dont le personnage, avouons-le, s’accommode fort bien quoiqu’il ressente parfois l’étrange malaise d’un manque et, de l’autre côté, un dépassement, une espèce de transcendance vers un état meilleur ou, si l’auteur ou l’autrice en décide ainsi, vers le tragique.

En somme, soit le personnage se soumet à ses déterminismes, soit il combat, en intérieur comme en extérieur, pour son autonomie et son authenticité. Je reste convaincu, cependant, que nous avons toujours la possibilité d’imprimer notre liberté dans le monde qui nous est donné.

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