Nous avons tous des préjugés et des croyances. N’en privons donc pas nos personnages. C’est essentiel pour construire leurs personnalités. Considérons notre héroïne ou notre héros et adoptons leur point de vue sur le problème qu’il ou elle désire résoudre ou qu’il leur faut combler parce que vital pour eux.
J’ai ainsi posé un problème à mon personnage (certes de manière tout à fait arbitraire, mais c’est mon personnage après tout) et déterminé s’il s’agit d’un conflit personnel (ce qui me paraît plus fécond à travailler) ou un conflit extérieur qui relève davantage du désir souvent illusoire que du besoin. Alors, nous avons un protagoniste qui a un problème, mais qui ne le perçoit pas clairement précisément à cause de ses préjugés et de ses croyances.
Il faut se demander quelles sont les expériences (ou dit autrement, les scènes) qui rendraient évidents un comportement actuel comme de croire qu’on ne change jamais pour nier les efforts que fait pourtant l’autre. Et cet autre pourrait être nous-mêmes. Vous rappelez-vous de Matt (The Descendants (2011) de Alexander Payne)) ?
Matt se croit fort et rationnel. En fait, il est totalement déconnecté émotionnellement. Il délaisse sa femme et ses filles et lorsque l’impensable se produit, il découvre avec horreur que tout n’est qu’une façade. Une scène particulièrement éprouvante pour Matt est sa confrontation avec sa fille Alexandra au cours de laquelle il comprend la trahison de sa femme et qu’il est responsable de cette situation.
S’ensuit une quête pour retrouver cet amant, mais ce n’est pas un désir. C’est à un voyage intérieur auquel nous assistons avec un Matt qui prend progressivement conscience de ses erreurs, de ses jugements bien trop précipités pour être justes. L’arc dramatique de Matt apparaît : il apprend à faire preuve d’empathie et à renoncer à ses préjugés. Le dénouement autour de l’héritage familial qu’il décide de conserver est un symbole de son identité retrouvée.
Les indispensables failles
Tout comme nous, un personnage est faillible. Qu’il soit orgueilleux, lâche, égoïste ou naïf, ces traits de sa personnalité interviennent directement dans sa manière d’appréhender son problème. Il sera préférable qu’ils soient des entraves à la solution du problème, mais seulement vu que cela nous permet d’ouvrir un arc narratif et de permettre au personnage de se dépasser, d’atteindre cet autre qu’il est vraiment. Dans Her (2013) de Spike Jonze, Théodore est un être solitaire et hypersensible. Il tombe amoureux d’une intelligence artificielle qui le sortira de sa bulle émotionnelle. Il voit en Samantha, l’IA, le seul être capable de combler ses besoins, mais il ne fait que détourner le regard sur ses propres incapacités.
En particulier, celle d’assumer ses responsabilités relationnelles ; c’est la thématique du récit : sa dépendance envers Samantha caractérise son refus des relations humaines. C’est ce conflit qu’il doit vaincre. Il y parvient non de lui-même, car il a fallu qu’il perde Samantha pour se réconcilier avec les autres et avec lui-même, pour comprendre enfin qu’être capable de véritablement aimer fait de nous notre humanité.
Les dilemmes
Nous possédons nos valeurs : elles guident nos décisions et notre perception très subjective du monde ; Idem pour nos personnages, puisque pour eux aussi, la condition humaine s’applique même s’ils ne sont qu’anthropomorphes. Les situations dans lesquelles l’autrice et l’auteur jettent leurs personnages consistent pour ceux-ci à renégocier les principes qui leur furent arbitrairement donnés.
Par sa nature même, un personnage se plie à des obligations morales : un médecin sauve des vies, peu importe les circonstances. Sauf que face aux devoirs, il y a des réalités souvent contingentes (car on ne maîtrise pas vraiment tout dans nos vies, et, en particulier, nos passions).
Alors, l’absolutisme moral est-il si nécessaire ? C’est là que se crée le dilemme. Notre médecin, malgré son serment, trouvera dans l’euthanasie un compromis à la souffrance d’un patient. La situation conflictuelle est celle d’un idéalisme moral qui se confronte aux conséquences pratiques des choix que nous faisons parce que nous sommes libres. La vie de Keller (Prisoners (2013) de Denis Villeneuve) bascule lorsque sa fille Anna disparaît. Certes, la personnalité de Keller le prédispose à la violence ; c’est seulement une question de cohérence avec les actes qu’il est amené à perpétrer pour le bien de sa fille. La sûreté de la famille est un droit fondamental pour Keller, alors la violence devient légitime en situation de crise.
Keller est un homme libre et il assume sa violence comme une nécessité. Le conflit moral invoqué n’est pas tant celui de Keller qui se laissera consumer par ses choix ; c’est à nous qu’il s’adresse : si nos passions s’enchaînent aux circonstances, nos valeurs morales ne deviennent-elles pas des vices ? Lorsque les choses deviennent concrètes, jusqu’où le devoir peut-il résister ?
De même, le dilemme permet de trouver du sens là où il n’y en a pas.