Une scène se décompose elle-même en segments qui se suffisent bien qu’ils appartiennent à une structure plus large. Chacun de ces moments possède un arc narratif, un enjeu et un ou plusieurs nœuds dramatiques. Admettons le classique début, milieu et une fin : ce que cela implique est que cette partie de la scène a quelque chose à raconter. Laissez-moi tenter d’expliciter avec une scène de La Fille au bracelet (2019) de Stéphane Demoustier. Lise est à la barre des témoins. Nous avons d’abord l’entrée de Lise qui est appelée à témoigner. L’enjeu de cette partie de la scène semble évident : nous attendons des réponses. Le nœud dramatique de ce moment de la scène est la décision que doit prendre Lise : coopérera-t-elle ?
Le cœur de la scène est l’interrogatoire sur la relation de Lise avec la victime. Ce segment a pour enjeu de connaître la nature exacte de la relation de Lise avec Flora et si cette relation influencera ou non le jugement. Le nœud dramatique se concentre sur Lise qui hésite à dévoiler des détails qui ne seraient pas sans conséquence.
Cette partie de la scène se termine sur la présentation de preuves matérielles. Lise est brusquement en difficulté, car l’enjeu est que sa crédibilité est questionnée. C’est alors que Lise doit se décider à avouer ou affirmer son innocence malgré les preuves qui paraissent irréfutables.
Une fonction
J’ai donc posé que les moments d’une scène sont autonomes. Néanmoins, ils participent à la progression de la scène qui les enveloppe. Gardons à l’esprit que nous nous adressons à un lecteur/spectateur : les moments d’une scène tout comme la scène elle-même nous font traverser un paysage d’émotions. Autre exemple : Les Herbes folles (2009) de Alain Resnais. Une rencontre, et surtout si c’est la première fois, est un trope régulier des récits, quel que soit le genre. Ici, cette rencontre s’analyse en trois scènes et elles forment donc une séquence. La première scène est la rencontre elle-même, toute imprégnée de tension puisque les personnages se retrouvent enfin face à face après leurs échanges indirects.
Au centre, nous nous apercevons que Georges devient plus intrusif, ce qui met Marguerite mal à l’aise. Nous sentons que la relation prend un nouveau tour : c’est absolument nécessaire car cette relation est le cœur du récit. La résolution de la séquence est la fuite de Marguerite. Mais nous comprenons qu’une dynamique s’est mise en place entre eux et que cette fuite n’est qu’un commencement d’autres perturbations.
Une séquence permet au récit d’évoluer. Chaque scène à l’intérieur d’une séquence permet à la séquence d’évoluer. Interrogeons-nous alors si cette progression est sensible ou non. Je me penche sur un des personnages de Magnolia (1999) de Paul Thomas Anderson : Donnie. Donnie est un enfant prodige qui a gagné beaucoup lors de jeux télévisés pour enfants, mais ses parents ont accaparé tous ses gains. Voilà pour la biographie du personnage. Maintenant, voyons la séquence dans laquelle l’arc dramatique de Donnie, fou amoureux d’un barman, se construit de manière presque inexorable. Lorsque Donnie se prépare pour se rendre au bar où travaille son impossible amour, nous percevons ses faiblesses. Cela est utile de connaître l’état émotionnel de Donnie à ce moment, car ce contexte prépare le terrain des événements à venir.
Dans le bar, Donnie tente d’attirer et de retenir l’attention de Brad, le barman. Mais son enthousiasme apparent ne masque pas son désespoir. Nous sentons que le besoin d’attention et de reconnaissance de Donnie s’élève et mène d’une manière paradoxalement logique à la décision irrationnelle qui clôt la séquence : la décision de voler l’argent de son ex-employeur pour financer les mêmes implants dentaires que l’objet de son amour.
