QUI ES-TU ?

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Pour qu’une scène semble authentique, il nous faut connaître la vérité des personnages qui y sont présents. C’est insuffisant de se contenter de dire qu’une héroïne est blonde ou qu’un personnage est obèse (à moins que cette obésité ait une signification dans la construction du personnage et partant, de sa participation dans l’intrigue).

Pensons-les plutôt de l’intérieur. Connaître qui ils sont, c’est apprendre de leurs désirs, de leurs traumatismes, de leurs conflits intérieurs. Chacun son approche, alors, comme il faut bien commencer quelque part, pourquoi ne pas se pencher sur son inconscient ? C’est-à-dire, comme pour nous-mêmes, ce qui nous guide souvent à notre insu et nos personnages ne sont pas différents.

Voyons du côté de Freud, par exemple. Ses célèbres çà, moi et surmoi constitueront une base pour notre réflexion concernant les pulsions, les dilemmes et pourquoi un personnage agit comme il le fait. Le çà, c’est la satisfaction immédiate. C’est la part animale d’un être humain, ses instincts comme la pulsion de vie dont les désirs sexuels ou de mort, une pulsion que Freud lie à l’agressivité.
Le çà se moque délibérément (si tant est que la volonté ou la raison entrent en jeu à moins qu’elles ne soient perverties) des règles morales. Dans une scène, quand le personnage se laisse aller à la violence ou succombe totalement à une passion comme la colère ou l’ambition, c’est cette caractéristique de l’inconscient qui se manifeste. Colin Smith dans La Solitude du Coureur de fond (1962) de Tony Richardson a souvent un comportement impulsif, refuse la figure d’autorité et de se plier aux normes ; cette part de sa personnalité peut s’attribuer au çà en lui. Sonny, dans Le Parrain (1973), est un être complètement dominé par ses pulsions : c’est très bien démontré lorsqu’il apprend que sa sœur a été agressée. Il agit aussitôt sans se soucier des conséquences, cédant à la violence et cela le mènera à sa perte.

Alors, nous avons le moi. C’est le négociateur en nous. C’est ce qui met en œuvre notre besoin du vivre ensemble. Contrairement à ce que pense Rousseau pour qui la société est la source du mal (comme la jalousie parce que nous ne cessons de nous comparer aux autres), le moi intervient pour nous dire que nous devons envisager les conséquences possibles de nos actions. Je prends un exemple : une jeune fille et son amie se rendent à une fête. Quelques regards, une ambiance quelque peu délétère et la jeune fille s’isole avec un garçon. À ce moment, ce sont les pulsions qui parlent dans cette attirance.
Je continue, car mon propos sera plus dramatique : le jeune homme accuse soudain d’une attitude qui déplaît à la jeune fille. C’est le moi de celle-ci qui se met à l’œuvre puisque lorsque nos valeurs sont heurtées, nous évaluons et adaptons nos actions pour rétablir celles-ci dans leur plein droit. Ce n’est pas l’amour-propre de la jeune fille qui est interpellé ici ; elle ne cherche pas à dominer le jeune homme par orgueil ou par mépris. Elle est bouleversée par l’attitude du jeune homme et veut fuir.

À ce moment, les amis du jeune homme le rejoignent. La jeune fille est seule contre tous. Maintenant sonne la part la plus sombre de notre animalité. Le çà des jeunes hommes les domine totalement et ne voit en la jeune fille qu’une chair à conquérir.

Et quant au surmoi ? Considérons-le comme une institution. Par lui, nous ressentons de la honte ou de la culpabilité. Le surmoi, c’est ce qui fait que nous nous imposons des contraintes, comme de répondre favorablement à ce qu’on attend de nous ou bien-sûr, lorsque nous luttons contre cette attente d’autrui. Considérons Norman Bates (Psycho (1960)), il est constamment influencé par le souvenir de sa mère qui agit sur lui comme un surmoi. C’est parce qu’il est sous l’influence de cette voix intérieure que nous pouvons juger de circonstances atténuantes et éprouver envers sa condition une certaine empathie. Car c’est notre surmoi qui répond à ce personnage.

La relation

Dans la définition d’un personnage, il faut tenir compte de ses relations. Celles-ci peuvent révéler en effet des signes d’une personnalité. Admettons que notre comportement actuel est le résultat de notre vécu, de nos expériences passées. Par souci d’économie, surtout dans un scénario, nous appliquerons alors l’effet du passé sur le comportement actuel d’un personnage dans sa relation sans avoir recours à des analepses si celles-ci ne sont pas nécessaires à l’intrigue. C’est une imitation de comportements passés dans la relation présente ; un transfert du passé dans l’ici et maintenant d’un personnage. Camille, dans Le Mépris (1963) de Godard est déchirée entre son amour pour Paul et ses désillusions lorsqu’il se compromet avec les investisseurs. Cette désillusion n’est pas rationnelle aux regards du commun des mortels, c’est-à-dire nous, en tant que lecteur/spectateur, mais elle s’explique par l’influence de ses désillusions passées qui se renouvellent douloureusement dans son présent et sa relation avec Paul.

On peut tenir une réflexion similaire avec le personnage de Grégoire dans Un linceul n’a pas de poches (1974) de Jean-Pierre Mocky. Les réactions de Grégoire envers ses antagonismes semblent répétitives, mais ce sentiment du devoir, son obstination et son besoin de justice ; cette répétition du passé finit par le confronter à des forces bien trop puissantes pour lui ; c’est comme si le vécu de Grégoire le pousse vers un déterminisme tragique.

Connaître un personnage n’est donc pas de lui donner un objectif à réaliser, une espèce de mission qu’il doit accomplir pour que s’accomplisse l’intrigue. Quand on lui demande qui il est, c’est à ses refoulements qu’on s’intéresse. Que cache-t-il malgré lui dans son for intérieur ? Nous ne prétendons pas à l’universalisme, ce serait téméraire, mais forer dans l’âme d’un personnage fictif, c’est s’adresser à notre humanité.

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