UN ALLIÉ DANGEREUX

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Un allié n’est pas toujours sans risque. Lorsque l’héroïne et le héros sont devant des choix critiques, certains alliés, bien que leur intention soit amicale et sincère, par leur insistance mettent nos personnages principaux dans des situations périlleuses.

Ces alliés sont la matière des insuffisances du protagoniste. Face à ses propres limitations, il est normal qu’il doute et cette incertitude crée les conditions de son évolution. L’imperfection est une notion abstraite. Pour la rendre concrète, le recours à l’ami qui ne vous veut que du bien et qui, maladroitement, aiguillonne le manque qui nous caractérise tant, est un moyen efficace pour l’autrice et l’auteur d’expliciter non pas par la présence d’un trouble-fête le potentiel échec d’une action, mais bien que la tentative est à risques du fait même de notre propre incompétence ou manquements.

L’ami n’est pas dangereux en soi. Mais il est destructeur lorsque nous projetons sur lui des colères refoulées, notre propre sentiment d’infériorité ou nos doutes sur nous-mêmes. L’intrigue en profite parce que cette relation, qui n’est pas saine en fin de compte, crée des situations de crise propices à invoquer des démons que nous aimerions bien taire.

Un personnage, c’est quelqu’un de compliqué. Nous avons des faiblesses et des angoisses ; il nous faut donc les reporter sur les personnages que nous élaborons. Et alors que l’influence de l’allié semble négative, elle pousse le personnage principal à se dépasser. Car, à suivre Jung, l’allié qui cause problème n’est autre que notre propre ombre qu’il nous faut maintenant intégrer. L’individuation, c’est être un individu à part entière autant que possible. Faisons osciller nos personnages entre instinct de survie et pulsions autodestructrices. C’est un enseignement pour notre lecteur et notre lectrice, c’est surtout une façon amusante d’écrire.

Un personnage de fiction est un devenir. J’aime l’idée de volonté de puissance, puissamment optimiste chez Nietzsche. Certains personnages peuvent être animés d’une force qui les détruit et on en a besoin dans une intrigue, d’autres personnages sont par contre davantage créateurs en ce sens qu’il y a en eux une volonté à s’améliorer, même s’ils n’ont pas véritablement conscience de cette volonté à modeler la réalité selon leurs aspirations.

C’est dans ces moments que l’allié devient dangereux si l’héroïne ou le héros ne savent mettre à profit l’opportunité qu’il leur est ainsi donné pour devenir autre, devenir eux-mêmes. La relation entre George et Gremio dans Mona Lisa (1986) de Neil Jordan nous est d’abord exposée comme amicale et avec une vraie volonté de la part de Gremio d’aider George à sa sortie de prison. Mais l’influence de Gremio vise les vulnérabilités de George qui prend enfin conscience et développe chez lui un besoin de s’en libérer. Sans cette incitation provoquée par Gremio, l’arc narratif de George n’aurait pu se lancer.

Et Mister Archer dans Le Vent Sombre (1991) de Errol Morris ? Il n’est pas méchant en soi, mais les informations qu’il donne au détective Jim Chee font que celui-ci questionne son jugement, son propre instinct et en fin de compte l’incite à prendre conscience de ses peurs. Cette alliance forcée entre Jim et Mister Archer est quelque chose dont Jim n’aurait pu se passer parce qu’elle l’aide dans son enquête (et ainsi, la présence de Mister Archer aux côtés de Jim est justifiée) mais surtout, elle est une opportunité de croissance et d’émancipation pour Jim.

Pensons donc aux raisons d’être de nos personnages : pourquoi sont-ils nécessaires à l’intrigue ? Eduardo dans L’Anglais (1999) de Steven Sorderbergh encombre bien involontairement Wilson dans sa quête de vérité. Son insistance à se coller aux basques de Wilson aurait pu être comique si on ne connaît pas Sorderbergh car Eduardo ne laisse de rappeler à Wilson ce que Jenny représentait pour lui : une lumière et un espoir. Par Eduardo, la vengeance de Wilson prend un ton plus noble et instaure entre lui et Eduardo la mémoire de Jenny.

Le point médian

Le point médian est souvent l’articulation lorsque le héros ou l’héroïne connaît une nuit obscure de l’âme, tout semble perdu. Un tel moment n’émane pas du néant. Dans la vraie vie, on connaît des bas qui se sont lentement creusés. Si vous êtes à la peine pour inventer les différentes étapes qui mènent inexorablement à cette crise majeure de votre héros et de votre héroïne, alors l’allié dangereux vous sera utile.

Il n’existe pas de parole prophétique pour dire que votre personnage principal connaîtra un creux de vague si intense que son destin en sera scellé. Ce personnage écrit sa destinée de sa propre main (le destin est en effet écrit par quelque autre entité), néanmoins, par souci dramatique, il lui faut connaître une telle chute. Mickey dans Le Récidiviste (1978) de Ulu Grosbard est un vieil ami de Max, le héros. Mickey accompagne Max dans sa volonté de se ranger, mais la nature de Mickey est trop collée à sa peau et il entraîne Max de nouveau dans la criminalité. Malgré quelques succès, cette voie sera destructrice pour Max et il ne connaîtra la rédemption qu’au moment où il renvoie Jenny chez elle alors qu’il continue seul sa cavale.

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