Le pilote habituel est celui d’un incident déclencheur qui bouleverse le monde ordinaire du héros ou de l’héroïne (tel que l’a théorisé Joseph Campbell dans son monomyth). Un événement que je peux considérer comme incident déclencheur transforme alors la vie des personnages. À partir de ce moment, la dynamique globale de la série est lancée. C’est-à-dire que les tensions, les relations, les objectifs et les conflits qui façonneront la série au fil des épisodes et peut-être des saisons ont le vent en poupe. Ils évoluent à partir du pilote.
Ils sont l’impulsion pour les actions et les enjeux. La rupture du monde ordinaire est la source de cette dynamique. Fringe (entre 2008 et 2013, une centaine d’épisodes tout de même) de J.J. Abrams, Alex Kurtzman et Roberto Orci, a, dès son tout premier épisode, un mystère et ce mystère nous donne en quelque sorte un avant-goût de toute la série. La relation entre Olivia et Walter, issue d’une rencontre extrêmement étoffée dès ce pilote, sera le fondement de tout le récit.
Ici, le pilote nous apprend sans ambiguïté quels seront les objectifs de chacun (du moins pour la première saison). Ce qui est intéressant avec cette façon de présenter les choses est qu’il y a un avant et un après. Je vous l’ai dit : c’est très classique ; quelque chose change dans le monde ordinaire parce que celui-ci est imparfait, même parfois sous l’apparence trompeuse du bonheur. L’intention est qu’il y ait transformation pour un monde meilleur en quelque sorte : une situation, une communauté, un individu deviennent autres (souhaitons-leur le meilleur, mais ce n’est pas garanti).
Le second type de pilote fait l’économie de l’incident déclencheur. Le monde ordinaire n’est pas déstabilisé. Ce qui compte ici sont les arcs dramatiques à la fois des personnages pris individuellement et de leurs relations qui évoluent indépendamment des personnages eux-mêmes. Une comédie, par exemple, alors que les événements qui s’y produisent sont si extraordinaires qu’ils ne sauraient se produire dans la vie réelle, n’en sont pas moins tirés de la réalité.
C’est en effet la vie elle-même avec ses hauts et ses bas que ce second type de pilote nous propose. Nous avons un lieu, une famille ou une communauté qui contiennent en eux-mêmes les germes de tensions, d’obstacles et d’humour qui constituent la série entière, qui en sont l’essence en quelque sorte.
Depuis 2020, une comédie Ted Lasso rencontre le succès et pourtant, sa dynamique ne repose sur aucun bouleversement initial. Le monde des soccer qu’il rejoint n’est nullement dérangé par son arrivée : c’est plutôt sa personnalité qui fait tout le charme de cette série. Mais bien sûr qu’il y a de la tension ; celle-ci est induite par les différences culturelles et par les relations qui sont déjà en place avant le pilote, comme un a priori forcément nécessaire.
Les relations
En misant sur des relations a priori ou bien parce qu’elles sont le fruit d’une rencontre dès le pilote, nous nous assurons l’attention du lecteur/spectateur. Celui-ci devient le témoin des routines des personnages, de leurs quotidiens et habitudes, des tensions ouvertes ou qui couvent déjà sous la surface, des obstacles qui se dressent devant eux ou devant leur relation non pas parce qu’un événement exceptionnel s’est produit ; d’une manière étonnamment simple, parce qu’ils partagent le même espace.
Nous assistons à une relation qui s’éploie devant nous au fil des épisodes : nous partageons le vécu des personnages, leurs expériences, les moments de complicité et les malentendus. Il n’y a donc pas de véritables menaces extérieures ; seulement des failles, des aspirations secrètes et des volontés qui ne sont pas toujours harmonieuses.
Tenons compte donc qu’une conversation banale ou bien une petite action du quotidien révélera quelque chose de plus intime sur un personnage ou sur ses relations. En un mot, ces personnages sont authentiques.